Le chef de l’Etat a fait connaître sa colère devant les lenteurs de la campagne de vaccination. Fuite utile pour suggérer que sa responsabilité ne serait pas en jeu et qu’il subirait les déboires d’une administration technocratique, à la fois impuissante et hypertrophiée…
Mais les ratés de l’agence nationale Santé publique France dans la livraison des vaccins sont-ils vraiment dus à la médiocrité de ses personnels ? Ou bien plutôt à l’insuffisance de ses budgets et de ses effectifs ? Lui a-t-on donné des moyens à la hauteur de ses missions, alors que sa création, issue de la fusion entre des agences préexistantes, a donné lieu à de sérieuses coupes budgétaires ?
Les mêmes questions peuvent être posées au sujet des agences régionales de santé (ARS), tellement critiquées dans leur réponse à la première vague épidémique. Créées en 2009 pour coordonner les parcours de soins entre la médecine de ville et l’hôpital, elles n’ont jamais eu de réelles marges de manœuvre budgétaire.
Encore actuellement, elles ne disposent pour améliorer les parcours de soins que d’un petit budget appelé « fonds d’investissement régional », qui représente moins de 1,7 % des dépenses de santé couvertes par la sécurité sociale.
Au plus haut niveau
On le sait maintenant, la pénurie de masques, qui a exposé les professionnels de santé à l’épidémie et causé tant de décès dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), avant d’imposer un confinement strict mortifère pour l’activité du pays, résultait de la recherche d’économie sur une petite ligne budgétaire.
Les enquêtes ont montré que c’est au plus haut niveau du ministère de la santé, en dépit des recommandations d’experts et des demandes du directeur de Santé publique France, qu’il a été décidé de ne pas reconstituer le stock de masques nécessaires pour protéger la population, alors que le risque de pandémie était bien signalé par de nombreux rapports.
Dans ce cas, l’administration avait fait son travail et c’est au plus haut niveau que la décision a privilégié l’économie budgétaire de court terme, au détriment de la protection contre le risque. Le calcul économique le plus élémentaire montre pourtant que reconstituer le stock de masques aurait été une décision conforme à l’intérêt général.
Enfin, les hôpitaux ont été soumis à une austérité budgétaire sans précédent. Le pilotage des dépenses hospitalières vise essentiellement à les contenir, et même à les comprimer afin de compenser les dépenses non maîtrisées de la médecine de ville. Mais ce pilotage a entravé les mécanismes censés conduire à une efficience de la dépense, comme la tarification à l’activité.
Rigueur budgétaire
C’est probablement au plus haut niveau qu’il a été décidé de donner la priorité à la maîtrise à court terme du budget de la santé. Car cette stratégie permet d’éviter les sujets qui fâchent. La face cachée de la rigueur budgétaire est en effet l’absence de régulation de la dépense de la médecine de ville. Dans le contexte actuel de réduction des déficits, c’est parce que la dépense de ville est incontrôlée qu’une rigueur budgétaire sans faille étreint les autres composantes du système de soins.
« Les représentants des médecins continuent à défendre des positions contraires à l’intérêt général au nom de leur liberté, s’opposant au tiers payant ou revendiquant le monopole d’actes comme la vaccination »
Le sujet est sensible sur le plan politique car il y a une tradition française de la médecine libérale qui réclame pour le praticien une totale liberté de prescription, de localisation, voire de tarification. Certes, seule une minorité de praticiens est encore explicitement sur une ligne aussi dure. Mais les représentants des médecins continuent à défendre certaines positions contraires à l’intérêt général au nom de leur liberté, s’opposant à de possibles contraintes de localisation, au tiers payant, ou revendiquant le monopole d’actes comme la vaccination.
Les confusions du début de la campagne vaccinale ont illustré par l’absurde les difficultés de coordination liées à l’organisation de la médecine libérale en France. Après la décision de faire précéder la vaccination par une consultation prévaccinale, un tableau de facturation a été produit pour définir les tarifs des différents actes, y compris un forfait de 5,40 euros pour la saisie informatique de chaque injection ! Le choc est patent entre la logique du paiement à l’acte et l’impératif d’une mobilisation collective de tous les soignants pour réaliser rapidement une vaccination massive.
Il faut mettre en place des mécanismes pour que les médecins intègrent dans leurs décisions les enjeux d’égalité d’accès aux soins et de maîtrise de la dépense qui font partie du cahier des charges d’une assurance-maladie solidaire. Pour échapper à la rigueur budgétaire, notre système de soins doit gagner en efficacité. Et cela n’est possible qu’en intégrant à la médecine de ville des objectifs de santé publique.
Brigitte Dormont (Economiste)