Il y a eu Slumdog Millionaire pour Bombay, il y a désormais Le Tigre blanc pour Delhi. Treize ans après le succès mondial du film du Britannique Danny Boyle, qui avait mis en lumière les tréfonds de la capitale du Maharashtra, le réalisateur américain d’origine iranienne Ramin Bahrani livre un portrait terrifiant de Delhi. Étrangement, le “potentiel cinématographique” de la capitale de l’Inde “reste à ce jour sous-exploité”, relève l’Hindustan Times. C’est sans doute pourquoi la fiction mise en ligne sur Netflix vendredi 22 janvier est un choc pour la prétendue “plus grande démocratie du monde”.
À Bombay, les riches “ne peuvent jamais se cacher derrière leurs privilèges, car la pauvreté est perpétuellement à portée de vue”. À Delhi, “ville de ghettos”, les privilégiés “peuvent vivre dans leur tour d’ivoire et ignorer le monde d’en bas, caché comme il est sous un tapis d’arbres et de brouillard”. À Bombay, les vendeurs de thé “peuvent devenir millionnaires”, tandis qu’à Delhi “ils se font écraser dans la rue”.
Adapté du best-seller du même nom signé Aravind Adiga (traduit en français par Buchet/Chastel en 2011) et récompensé par le Booker Prize 2008, Le Tigre blanc reste hélas d’actualité. C’est un film “cynique” et un “cri de colère”, aux antipodes de l’empathique Slumdog Millionaire, note le journal. Un pamphlet contre le système des castes et l’oppression des minorités, thèmes pour lesquels les cinéastes indiens “manquent généralement de perspective culturelle”.
Né dans la région la plus pauvre de l’Inde, le Bihar, le personnage du jeune Balram décide de prendre son destin en main le jour où son père meurt “sous les coups de la corruption systémique”. Un peu comme les héros du film Parasite forçaient, à son insu, une riche famille de Séoul à les embaucher, Balram “s’accroche à l’homme le plus en vue de sa région”, dont le père a fait fortune à Delhi. Il devient son chauffeur et grimpe ainsi l’échelle sociale pour parachever son ascension “aussi violemment que le chef-d’œuvre oscarisé du réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho”.
“L’inégalité personnifiée”
Le récit déployé dans Le Tigre blanc a ceci d’original que, d’ordinaire, les Indiens ne “luttent que pour maintenir leur position sur l’échelle”. Empoisonnés par “un cocktail de peur et de religion”, ils se voient constamment rappeler “qu’il y aura toujours quelqu’un au-dessus d’eux, attendant de bondir, et quelqu’un en dessous, prêt à être attaqué”. Parfois comparé à Ken Loach, Ramin Bahrani a “un faible pour l’opprimé”, observe The Hindu. En témoigne sa filmographie depuis son premier film, Man Push Cart (2005), lequel suivait une ancienne rock star pakistanaise vendant des beignets et du café dans les rues de New York.
Bahrani partage cette sensibilité avec Aravind Adiga, qu’il a connu à la fac, lorsque tous deux étaient étudiants à l’université Columbia de New York. “Avec le Covid, les inégalités sont apparues là, visibles, inéluctables. Balram est cette inégalité personnifiée. Il est le livreur qui apporte votre repas, votre chauffeur Uber, le soignant qui n’a pas les moyens de se soigner lui-même”, dit-il.
L’acteur Adarsh Gourav, une révélation
Dans le rôle du riche, l’acteur Rajkummar Rao précise, à propos du personnage principal : “Les humains sont ainsi faits, ils sont surprenants et font des choses auxquelles nous ne nous attendons pas.” Priyanka Chopra, qui interprète son épouse arrivée tout droit des États-Unis, ajoute :
“Ce film invite à s’asseoir et à dire : ‘Eh bien, cela arrive en vrai. Qu’allons-nous faire pour que cela cesse ?’”
Le Tigre blanc est aussi la révélation d’un jeune comédien chansonnier, Adarsh Gourav, né comme son personnage, Balram, dans une campagne miséreuse, et qui a grandi dans une mégapole, Bombay. “Depuis son adolescence, il faisait des pubs à la télé”, relate l’Indian Express.
Celui en qui Bollywood voit déjà le digne successeur de Dev Patel, héros de Slumdog Millionaire, “n’avait fait jusqu’ici que des apparitions dans trois longs-métrages sous la direction des cinéastes Karan Johar, Anurag Kashyap et Ravi Udyawar”. Et dans des séries, notamment Leila, sur Netflix, et Hostel Daze, sur Amazon Prime Video.
Guillaume Delacroix
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