Lorsque la manifestation paysanne géante a tourné à l’émeute en plein cœur de Delhi le jour de la fête nationale (le mardi 26 janvier), le Times of India a comparé ces événements “à l’assaut du Capitole de Washington” dans les derniers jours de la présidence de Donald Trump.
“En modifiant le tracé de leur défilé”, certains des 200 000 tracteurs présents “ont violemment forcé les barricades et attaqué les forces de l’ordre pour envahir le Fort Rouge, l’un des symboles de la république indienne”, a expliqué le plus grand quotidien anglophone du monde.
Le mouvement de protestation qui oppose depuis la fin de novembre le gouvernement Modi au monde paysan, à propos de la réforme des relations commerciales entre producteurs et distributeurs, a “perdu la sympathie que le public pouvait avoir pour sa cause”, les dirigeants syndicaux ayant manifestement “perdu le contrôle de leurs partisans”, estime-t-il. Un bilan officieux fait état d’un mort et de 394 blessés.
Deux jours après, la crise a pris une tout autre tournure. “Vingt-cinq leaders du mouvement ont été interpellés et priés de remettre leur passeport à la police pour éviter qu’ils ne quittent le territoire. Des enquêtes préliminaires ont été ouvertes à leur encontre”, rapporte l’Indian Express.
Entre-temps, une organisation syndicale a demandé à ses troupes “de renoncer au prochain rassemblement qui doit avoir lieu à Delhi le lundi 1er février”, à l’occasion de la présentation annuelle de la loi de finances par le gouvernement, tandis que “deux autres syndicats ont appelé les paysans à mettre fin à leur long sit-in aux portes de la ville”.
Les manifestants accusent le gouvernement
Face à ce qui ressemble à une reprise en main de la situation, la quasi-totalité des partis d’opposition ont décidé, le jeudi 28 janvier, “de boycotter le discours que doit prononcer le président de la République vendredi au Parlement” en préambule au débat budgétaire de la semaine prochaine. Selon l’Hindustan Times, les affrontements de mardi étaient sans doute “prémédités” : a posteriori, les organisateurs de la manifestation “tentent, sans preuve, de mettre la violence sur le dos du gouvernement Modi, mais pour la police il est clair que les dérives avaient été planifiées”.
Pour autant, relève le même quotidien dans un autre article, le scénario de mardi “n’est pas très différent de ce qui s’est passé à Delhi il y a exactement un an”. Après de longues semaines de blocage d’une autoroute dans le quartier de Shaheen Bagh, pour protester contre la réforme excluant les musulmans étrangers du droit d’asile en Inde, la capitale avait connu “les émeutes communautaires les plus sanglantes de ces trente-cinq dernières années”, avec 50 morts, majoritairement musulmans. Les manifestations avaient aussitôt pris fin, et on a appris depuis que les émeutes avaient été fomentées par des agitateurs proches du pouvoir.
Cette fois, l’exécutif a-t-il “ourdi une conspiration” contre les paysans, dans le but de mettre un terme au conflit social le plus dur qu’ait à affronter le nationaliste Narendra Modi depuis son arrivée aux commandes en 2014 ? C’est ce que suggère The Hindu, en relatant des faits troublants. D’après un syndicaliste aujourd’hui poursuivi en justice, “c’est la police elle-même qui a ouvert les barricades aux tracteurs d’une organisation qui avait prévenu vouloir en découdre”.
Par ailleurs, c’est Deep Sidhu, un acteur connu pour sa proximité avec les milieux nationalistes, “qui a incité les manifestants à hisser le drapeau sikh au Fort Rouge”, comme le montrent des vidéos relayées par India Today. Un geste qui a été interprété comme une provocation ultime, au terme d’une journée sombre pour le pays.
Guillaume Delacroix
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