Personne à qui parler, aucun vêtement de rechange, un niveau de bruit rendant le repos impossible : Harsh Mander a vécu un cauchemar lorsqu’il a dû se résigner à être hospitalisé à Delhi, au mois d’octobre, après avoir contracté le Covid-19. “Personne ne portait assistance aux patients, les infirmières et les aides-soignants communiquaient entre eux et avec les malades en criant. Personne pour vous permettre d’aller aux toilettes. On était constamment obligés de supplier”, raconte le célèbre militant des droits humains dans une interview choc accordée au site d’information indien Article 14.
Il pense avoir été contaminé dans une clinique pour sans-abri de Médecins sans frontières, “où le taux de cas positifs au Covid-19 était d’environ 15 %”. Quand il est lui-même tombé malade et que ses symptômes ont commencé à inquiéter ses proches, il a demandé à être admis à l’hôpital public, au lieu de se rendre dans une clinique privée comme le font tous ceux qui en ont les moyens en Inde. “Ce que j’y ai vécu est proche de ce que je m’imagine être l’enfer. Je n’exagère pas”, dit-il.
Mourir sans revoir sa famille
En essayant coûte que coûte de parler au personnel débordé, il a découvert que la plupart des aides-soignants “n’étaient pas formés”. “Il s’agissait de nouvelles recrues qui avaient perdu leur emploi ailleurs”, notamment d’anciens employés d’hôtels ayant dû fermer pendant le confinement, au printemps 2020. “Ces jeunes hommes avaient postulé pour travailler dans un service dédié au Covid-19, parce qu’ils étaient dans une situation financière désespérée”, explique Harsh Mander. Quant aux malades, ils n’avaient droit à aucune visite. “Certains étaient en panique, convaincus qu’ils allaient mourir” sans revoir leur famille.
Le militant, pour sa part, se souvient d’avoir demandé la permission de prendre un bain après deux jours au lit. Ensuite, plus rien. Le vide absolu. Pas de souvenir de ce qui s’est passé. Sa femme lui racontera plus tard que l’hôpital ayant cessé de lui donner des nouvelles de son mari, prétendument “en dépression”, elle s’est battue pour le faire revenir à la maison. “Je ne me souviens de rien”, dit-il.
“Il paraît que je ne pouvais ni manger ni parler, que je me plaignais de migraine et que je ne reconnaissais ni mon épouse ni ma fille.”
Lorsque Harsh Mander a été admis par la suite dans un établissement privé, sa famille a appris qu’il souffrait “d’une blessure sérieuse à la tête et d’une hémorragie cérébrale”.
Négligence médicale
Toujours positif au Covid-19, il est pris en charge dans un troisième établissement où il retrouve peu à peu la mémoire. “Si ma famille n’était pas intervenue à temps, j’aurais été un mort supplémentaire du Covid, alors que j’étais victime d’une négligence médicale épouvantable et choquante”, s’insurge-t-il, tout en s’interrogeant :
“Si cela m’est arrivé malgré le capital social dont je dispose – mes amis, mon niveau d’éducation –, à quel genre de traitement cruel les Indiens ordinaires ont-il droit dans ce genre de situation ?”
Selon lui, il n’est “pas vrai” de dire que le gouvernement Modi a fait tout ce qu’il pouvait pour les plus démunis lorsque la pandémie a déferlé sur le sous-continent. “Ce n’est pas le virus qui fait le plus souffrir les gens”, assure-t-il. Le fait que le Premier ministre ait instauré un confinement extrêmement strict montre qu’il “a oublié que la grande majorité des Indiens des villes n’ont même pas de maison ou qu’ils vivent dans des baraquements bondés”. Le samedi 19 décembre, l’Inde a passé le cap des 10 millions de cas de Covid-19 dépistés depuis février 2020. Plus de 146 000 personnes sont officiellement mortes de cette maladie dans le pays.
Natasha Badhwar
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