« La suspension de Jeremy Corbyn du Parti travailliste n’est pas une surprise pour ceux qui ont observé l’évolution de la situation au cours des dernières années », écrit Roger Benjamin. En effet, cette suspension n’a pas cessé d’être l’objectif des chasseurs de sorcières, qui mènent une guerre contre Corbyn depuis plusieurs années. Mais elle ne marque pas pour autant la fin de leur campagne comme le montre la lettre de la mal nommée « Campagne contre l’antisémitisme » adressée à Starmer [leader du Parti travailliste]. Ils exigent maintenant des mesures contre des dizaines de députéEs et d’autres membres de premier plan du parti – comme Diane Abbott, Rebecca Long Bailey, Angela Rayner et Zarah Sultana – et il serait surprenant que cette demande soit ignorée.
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L’issue ne peut être que mauvaise
Il est clair que cette étape a été planifiée et prévue. Comme pour la rétrogradation de Rebecca Long Bailey, Starmer saisit la première occasion qu’il pouvait trouver afin de se trouver une excuse spécieuse pour faire ce qu’il aurait fait tôt ou tard. Il a appris de l’échec de Corbyn à vaincre les intrigues montées contre lui que la cruauté est nécessaire, et porte ses fruits. C’est toujours une erreur de faire des concessions à ce genre de campagnes, et Corbyn paie maintenant le prix de sa tentative désespérée d’apaiser les attaquants.
Désormais l’issue ne peut être que mauvaise. Si Starmer fléchit et lève la suspension – ou si le NEC [exécutif national] refuse d’exclure Corbyn –, alors l’attaque implacable se poursuivra avec Starmer lui-même comme prochaine cible. Si Corbyn est expulsé, des milliers de personnes quitteront sûrement le parti en solidarité – y compris, très certainement, plusieurs députéEs. Et la chasse aux sorcières continuera. La pire option serait encore tout autre : que Corbyn lui-même se rétracte et s’excuse – légitimant ainsi de nouvelles attaques contre celles et ceux d’entre nous qui continuent de défendre les droits des PalestinienEs contre Israël et le sionisme.
Nous devons maintenant lutter politiquement contre cela. Même si Corbyn est contraint d’agir en justice pour défendre ses droits (et le fonds de défense s’élève maintenant à plus de 350.000 livres sterling), une victoire juridique ne représentera rien si les mêmes personnes continuent de contrôler le parti.
Malgré le fait que l’action contre Corbyn était prévisible, il est important de noter ceci : la première réponse du Parti travailliste à un rapport critique pointant son manque d’application régulière de la loi, de transparence et d’équité dans ses procédures disciplinaires… a été de suspendre l’ancien chef du parti avec un manque total d’équité, de transparence et d’application régulière de la loi.
Un rapport prédéterminé
Le rapport de la Commission de l’égalité et des droits de l’homme (CEDH) sur « l’antisémitisme au parti travailliste » a été conçu pour parvenir à ses conclusions prédéterminé. En effet, celles-ci ne reflètent pas les éléments de preuve que cite le rapport. Après avoir pris des exemples de traitement injuste des sujets de plaintes ; après avoir spécifiquement noté que les procédures employées contre des cibles telles que Jackie Walker et Chris Williamson [exclus du Parti travailliste en 2019] étaient irrégulières ; après avoir tenu le Parti travailliste lui-même pour responsable des actes de personnes qui faisaient des heures supplémentaires dans le bureau du parti dans le but de saboter la direction Corbyn, le rapport conclut que le parti « a commis du harcèlement illégal à l’encontre de ses membres, contrairement à l’article 101(4)a) de la Loi de 2010 sur l’égalité, lié à la race (ethnicité juive) » à deux reprises.
Concernant ces actes, ils ont été commis par des personnes identifiées par la CEDH comme agissant au titre d’agents du parti. L’un de ces incidents a été la déclaration de Ken Livingstone à l’appui du député Naz Shah, qui faisait face à des accusations disciplinaires pour avoir partagé un post Facebook de l’intellectuel juif new-yorkais Norman Finkelstein. Il est très difficile de discerner quoi que ce soit d’antisémite dans cette déclaration, et encore plus difficile de voir comment elle peut constituer un comportement illégal de la part du parti lui-même. L’autre cas a été une série de messages Facebook douteux par un conseiller, qui ont conduit à son expulsion du parti. Qu’on considère ou non ces publications comme antisémites, il est certainement exagéré de tenir le Parti travailliste légalement responsable d’elles, puisqu’elles ont conduit directement à l’expulsion de celui qui en était à l’origine.
Lorsqu’il examine la responsabilité des actes commis par le personnel du Parti travailliste préjudiciables à la bonne conduite des enquêtes, le rapport conclut ceci : « Notre analyse n’attache pas d’importance au fait que le processus formel ait été initié par le personnel du LOTO [leader of the opposition - chef de l’opposition] ou par le personnel de la GLU [Unité de gouvernance et juridique]. Ils étaient tous des employés du Parti travailliste qui agissaient dans le cadre de leur emploi lorsqu’ils ont mis en place ce système, c’est pourquoi le Parti travailliste est responsable de leurs actions ». Ce qui revient à dire que le Parti travailliste lui-même est tenu pour légalement responsable des actions des gens qui agissent consciemment pour saper son leadership.
Une commission loin d’être neutre
La CEDH n’est guère un organisme neutre. Il a été critiqué par un ancien dirigeant pour ne pas avoir un seul membre noir ou musulman, et pour son refus répété d’enquêter sur des centaines de plaintes pour islamophobie au sein du Parti conservateur. Il a également été accusé de « cibler injustement les employés ethniques noirs et minoritaires pour les licenciements obligatoires ». L’un des dix commissaires est un donateur financier du Parti conservateur, tandis qu’un autre est marié au donateur de la Campagne contre l’antisémitisme qui a déposé la plainte initiale. Deux autres sont employés par un cabinet d’avocats qui représente le Parti conservateur. Compte tenu de ces préjugés et conflits d’intérêts, les conclusions de la commission n’étaient guère surprenantes.
L’« offense » de Corbyn semble avoir été sa déclaration en réponse au rapport, où il déclare : « Un seul antisémite est un de trop, mais l’ampleur du problème a également été considérablement surestimée, pour des raisons politiques, par nos adversaires, à l’intérieur et à l’extérieur du parti, ainsi que par une grande partie des médias ». Cela est parfaitement vrai, ainsi que Roland Rance l’a déjà noté. Il est déplorable qu’un commentaire aussi anodin ait été utilisé pour marginaliser le premier – et toujours très populaire – chef du parti. Ce qui est tout aussi choquant, c’est l’échec de la plupart des soi-disant Travaillistes à défendre la déclaration de Corbyn. Bien qu’il y ait eu de nombreux appels en faveur de sa réintégration, ceux-ci étaient généralement fondés sur son passé, plutôt que sur la raison précise de sa suspension. Aucun député travailliste n’a explicitement approuvé l’analyse de Corbyn, et certains, tout en demandant sa réintégration, l’ont critiqué et l’ont appelé à s’excuser.
Pas de compromis
Mais il n’y a pas de place ici pour les concessions ou les compromis. Les chasseurs de sorcières ne seront pas satisfaits tant que Corbyn n’aura pas été humilié et chassé du parti, avec touTEs celles et ceux qui le soutiennent. Face à cette attaque, les appels à « l’unité du parti » sont des appels mal placés et seulement à même de faire capituler la gauche. Dans le même temps, les appels dégoûtés à quitter le parti sont une autre forme de reddition, susceptibles de donner aux chasseurs de sorcières une partie de ce qu’ils veulent. Les membres du Parti travailliste devraient rester dans le parti, et se battre pour le rétablissement immédiat et inconditionnel de l’adhésion de Jeremy Corbyn, ainsi que de touTEs celles et ceux qui ont été injustement sanctionnés au cours des dernières années. Il y aura des tentatives pour interdire ce combat, auxquelles il faudra résister. Et il y aura sans doute d’autres suspensions et expulsions mais, aussi longtemps que possible, ce combat doit se poursuivre.
En parallèle, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Parti travailliste, les militantEs doivent continuer à parler et à agir en faveur de la lutte du peuple palestinien pour sa libération, et contre le racisme sioniste et l’État d’apartheid israélien.
Socialist Resistance