Plus connu sous le nom de frelon asiatique, Vespa velutina nigrithorax est une espèce invasive arrivée en France vers 2004. Naturellement présente en Asie du Sud-est, elle est observée depuis quelques années en Corée du Sud, au Japon et en Europe. Ces populations, accidentellement introduites dans ces territoires du fait du commerce international, proviennent de Chine, notamment de provinces autour de Shanghai. Elles ont accompagné, fortuitement, des containers de marchandises et se sont installées et reproduit une fois arrivées à destination.
Depuis son introduction, probablement par un ou quelques individus, le frelon asiatique a colonisé quasiment toute la France, et s’est étendu au-delà du territoire national. Il est désormais présent au Portugal, en Espagne, sur l’île de Majorque, dans le nord de l’Italie, en Suisse, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, dans les îles anglo-normandes et en Angleterre. Grâce à des modèles mathématiques, des études scientifiques ont simulé son expansion territoriale et démontré que celui-ci pourra sans grande difficulté, continuer à s’étendre en Europe, toujours grâce aux échanges commerciaux.
Après une quinzaine d’années d’études, que savons-nous aujourd’hui de cette espèce ? Quels problèmes crée-t-elle ? Est-elle dangereuse ? Est-il possible de l’éradiquer ?
Portrait robot de Vespa velutina
Vespa velutina est plus petit que le frelon européen Vespa crabro. Ce dernier est jaune rayé de noir, tandis que son cousin asiatique est plutôt noir avec une large bande orangée sur l’abdomen en position dorsale. Sa face est orangée et l’extrémité de ses pattes jaunes – d’où le nom parfois utilisé de frelon à pattes jaunes.
Chaque colonie est créée par une seule femelle, la reine. Celle-ci est une reproductrice (ou gyne) qui fonde son nid au printemps, quand les conditions climatiques s’y prêtent. Le nid, élaboré en général sous abri, est constitué d’une dizaine d’alvéoles au bout d’un pédicelle fixé sur un support, le tout entouré par une enveloppe. Pour le construire, la femelle fondatrice collecte des fibres de bois qu’elle broie avec ses mandibules en y ajoutant des sécrétions salivaires. La boulette malléable et humide ainsi obtenue lui sert de matériaux de construction. Chaque alvéole accueillera un œuf.
Jusqu’à la fin de l’été, tous les œufs donneront classiquement des ouvrières. Toutefois, certaines colonies produisent des mâles « précoces » (ils sont censés n’être produits qu’à partir de septembre) en raison d’un problème de consanguinité dont souffre la population invasive européenne. Les ouvrières, une fois adultes, s’occupent de la collecte de tout ce qui est nécessaire à la colonie (nourriture, matériaux), du soin au couvain et de sa protection. Dès que des ouvrières adultes sont présentes, la reine ne se charge plus que de la ponte.
À partir de septembre, la colonie entre dans la phase de reproduction en produisant des individus reproducteurs (mâles et gynes) en plus des ouvrières. Une fois adultes, ils quittent après quelques jours leur nid pour s’accoupler. Les mâles meurent après l’accouplement, les gynes se dispersent et vont passer l’hiver endormies à l’abri (dans une cavité souterraine, dans une souche de bois, dans un grenier…). La reine mère meurt vers fin novembre, entraînant ainsi le déclin et la mort à brève échéance de la colonie. Le nid une fois vide ne sera pas réutilisé l’année suivante. Il arrive toutefois que l’on trouve des nids encore habités en janvier, lorsque l’hiver est relativement clément.
Prédateur redoutable
Si l’arrivée du frelon asiatique inquiète tant, c’est que cette espèce pose de nombreux problèmes. Chasseur d’insectes, dont les abeilles, sa présence peut entraîner un stress des colonies, une baisse de leur production, et parfois leur mort. Outre les activités apicoles, d’autres secteurs économiques sont également touchés, le secteur agricole notamment. En chassant les insectes pollinisateurs, le frelon peut provoquer une baisse de la pollinisation et ainsi freiner la reproduction des plantes cultivées. Il s’attaque également directement aux récoltes, en prélevant le sucre des fruits (raisins, framboises…).
Les ouvrières sont par ailleurs des charognards. Sur les étals de viandes et de poissons dans les marchés en plein air, elles ne se gênent pas pour collecter de la viande sur les cadavres d’animaux. Cette présence, parfois massive, est une source d’inquiétude pour les clients et donc une menace pour les professionnels.
Le frelon représente enfin un risque non négligeable pour l’humain. Le contact avec une colonie dans un arbre, dans un buisson ou sous un abri peut entraîner des piqûres, parfois mortelles.
Mais l’espèce fait elle aussi face à des prédateurs naturels. Depuis son introduction en Europe, il est la proie de certains oiseaux (guêpiers, rapaces…). D’autres, comme la mésange, la pie ou les corneilles s’attaquent à son nid, en général en fin de saison quand il reste peu de frelons présents. Au printemps, des mouches parasitoïdes (Conops vesicularis) sont également capables de parasiter une fondatrice et de la tuer. Le vers nématode du genre Pheromermis parasite de son côté les frelons au stade larvaire, pour les tuer ensuite au stade adulte. L’espèce n’est par ailleurs pas à l’abri d’être infecté par des bactéries et de virus (connus chez l’abeille notamment).
Le frelon, un mets prisé des Chinois
Les apiculteurs chinois font face aux mêmes problèmes que leurs homologues européens. Les abeilles Apis mellifera et A. cerana sont elles aussi menacées par ce redoutable prédateur. Si A. cerana peut se défendre lors d’une attaque de quelques frelons, elle reste démunie, comme sa cousine A. mellifera, face à une attaque massive.
Malgré ces problèmes communs, les Chinois appréhendent le problème différemment que nous Européens. Plutôt que de les fuir, ils recherchent avec intérêt les nids de frelons afin d’en récupérer les larves et les nymphes, qu’ils vendent ensuite à des restaurants. Les plats à base de frelons et guêpes, onéreux, sont très appréciés des gourmets chinois. Les frelons adultes sont également collectés pour être mis en bouteille avec de l’alcool. Pour cette raison, dans certaines zones du Yunnan en Chine, les colonies sont tellement collectées que les populations y sont de plus en plus rares.
Vivants, ils peuvent aussi être utilisés dans le cadre de la médecine traditionnelle : l’insecte est alors utilisé pour piquer le patient sur un point d’acupuncture et le nid lui-même peut servir d’ingrédient pour certains médicaments.
En Europe, la lutte est engagée
Face aux problèmes engendrés par le frelon asiatique, il est important de mettre en place en Europe des moyens de lutte adaptés, efficaces et sélectifs. Il est largement reconnu que les pièges actuels, fabriqués artisanalement ou commercialisés ne répondent pas totalement à ces critères.
Au sein de l’IRBI (Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte), un laboratoire de l’université de Tours et du CNRS, des scientifiques travaillent depuis plusieurs années au développement de plusieurs dispositifs de défense des ruchers (pièges avec appâts sélectifs à base de phéromones, répulsifs contre ce frelon, etc.) et de destruction des colonies sans utilisation de pesticides. Ces travaux devraient donner lieu à des solutions à terme.
Il n’est pas certain que V. velutina puisse être éradiqué du territoire européen, mais l’espèce pourrait être jugulée, c’est-à-dire que sa population pourrait être ramenée à un niveau où elle ne posera plus de problèmes.
Pour en savoir plus : « Le frelon asiatique, un redoutable prédateur » (Éric Darrouzet), Éditions du SNA, 217 pages. N° ISBN : 978-2-901764-02-1. Une chaîne YouTube (E. Darrouzet) est consacrée également au frelon asiatique.< !—> http://theconversation.com/republishing-guidelines —>
Eric Darrouzet, Chercheur sur les insectes sociaux, spécialiste du frelon asiatique, Université de Tours et Laurence Berville, Ingénieure au CNRS, docteure en sciences de l’environnement, Université de Tours