Tout le monde connaissait José Carmelo Bislick, “un socialiste de toujours” qui soutenait le régime et le Psuv, le parti socialiste unifié du Venezuela, au pouvoir avec Nicolás Maduro, relate le New York Times. Son tee-shirt préféré était à l’effigie de Che Guevara.
Car Bislick, dans la populaire émission de radio intitulée Le peuple au combat (El pueblo en combate) qu’il animait, ne manquait jamais de complimenter Nicolás Maduro et de faire l’éloge du régime chaviste.
Jusqu’à ce jour où n’en pouvant plus des pénuries d’essence, il a reproché aux édiles locaux du parti, dans sa région portuaire de Güiria (au nord-est du pays) de bénéficier de passe-droits sur le carburant alors que “la majorité des gens faisaient la queue des jours durant devant des stations-service vides”.
Tout le monde connaissait Bislick, mais il a été retrouvé mort par balle après son interpellation, le 17 août dernier, “par quatre hommes cagoulés et armés” venus le cueillir à son domicile. Et jusqu’à aujourd’hui, ses assassins courent toujours, comme le silence qui entoure ce drame. Le maire de cette ville de 30 000 habitants n’a ni évoqué la mort de l’animateur, ni rendu visite à sa famille.
Des alliés devenus ennemis
Cette histoire et d’autres racontées par quatre journalistes vénézuéliens ou en poste à Caracas illustrent “la vague de répression” qui s’est abattue “sur les militants de gauche marginalisés par Nicolás Maduro”, estiment les auteurs. Le 6 décembre prochain, le dirigeant Maduro espère voir son parti remporter l’élection législative qu’il a convoquée, et que boycottent la majorité des opposants..
Une élection qui, ajoute le New York Times, “pourrait transformer ce qui était l’une des démocraties les plus ancrées d’Amérique latine en un État au parti unique”.
D’autres “alliés idéologiques déçus” sont ainsi attaqués par le pouvoir. Tous ont pourtant soutenu le régime chaviste, parfois depuis l’avènement de Hugo Chávez en 1999, et maintenant sous Nicolás Maduro. Néanmoins cette année, plusieurs d’entre eux ont décidé de faire cavaliers seuls à l’élection législative du 6 décembre, prenant leurs distances avec le parti au pouvoir.
Et ces militants de la première heure ou qui ont rejoint la révolution bolivarienne expriment leur mécontentement, leur lassitude ou leur indignation face à la situation critique de la population, aux coupures d’électricité, au manque d’eau et de nourriture.
Pénuries et supermarchés remplis
En août dernier, le dirigeant du parti d’extrême gauche Tupamaro, Ares di Fazio, a été écarté sur une décision du Tribunal suprême qui a procédé à une “restructuration” du parti en nommant une nouvelle direction à la tête de ce dernier.
Le mouvement Tupamaro est connu pour être dans une “mouvance rebelle” du chavisme, mais il avait protesté comme d’autres ces derniers mois contre la défaillance des services publics. Son chef José Pinto a été arrêté, accusé d’assassinat. Mais sans preuves.
Pourfendeur infatigable de l’opposition vénézuélienne, Oswaldo Rivero, un autre célèbre militant de gauche et animateur de la télévision nationale, est aujourd’hui la cible de menaces sur les réseaux sociaux et est dépeint comme “un traître” pour avoir évoqué la corruption.
“Pour les uns, il y a le poids des sanctions, pour d’autres des magasins bien remplis”, répète-t-il aux journalistes, évoquant les “Bodegones”, des supermarchés en dollars abondamment dotés de produits de luxe, que très peu de Vénézuéliens peuvent s’offrir.
Un autre parti de gauche, Patria para Todos (“La patrie pour tous”) a assisté à l’arrestation de 37 de ses membres sous des prétextes futiles, comme d’avoir peint sur le mur une exigence de “salaire digne”.
La liste est longue des cas évoqués par le New York Times, qui a sillonné le pays de bout en bout, là surtout où la voix des militants de gauche dénonçant la corruption et l’injustice a commencé à résonner très fort dans la rue. Un ancien collègue du défunt Bislick relate par exemple l’habitude qu’avaient prise les habitants, en cas de coupures d’électricité :
Ses dénonciations de la corruption locale étaient devenues si populaires que les habitants mettaient le son à fond dans leurs voitures pendant son émission.
De fait, assure un vétéran d’extrême gauche, Uzcátegui, brièvement arrêté lui aussi l’été dernier :
Le gouvernement n’a pas peur de la droite. Il a peur de la gauche, parce qu’il sait que c’est nous, la gauche, qui disons la vérité aux gens.
The New York Times
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