C’est l’application de traçage des cas de Covid-19 la plus utilisée au monde. Lancée en avril 2020 sur les téléphones portables de toute l’Inde, Aarogya Setu a été téléchargée à ce jour “par 160 millions de personnes”, indique le site d’information Scroll. Officiellement, elle a pour objectif de “permettre la recherche des gens entrés en contact avec des personnes contaminées” au moyen d’un système de localisation GPS et du Bluetooth, lequel “détecte les autres téléphones situés à proximité d’un utilisateur et alerte ce dernier, lorsque des cas de Covid-19 se trouvent aux alentours”.
L’application dispose également “d’une fonction d’autoévaluation”, afin que les gens considérés comme à risque puissent signaler d’éventuels symptômes. Les données collectées sont centralisées par “une plateforme spécifique” pilotée par l’Institut indien de technologie de Madras. “Mais tout ceci est-il efficace ?” s’interroge Scroll. Et “quel sens” cela a-t-il, alors que le nombre de cas comptabilisés depuis l’arrivée de la pandémie dans le sous-continent approche aujourd’hui des 9 millions ?
Réponse : “Les experts de la santé et des nouvelles technologies pensent qu’Aarogya Setu est limitée dans sa capacité à suivre les cas contacts et ne sert pas à grand-chose dans la gestion de la crise sanitaire”, écrit le site. Au-delà des habituelles inquiétudes que soulève ce type d’outil “s’agissant de la confidentialité des données partagées par les utilisateurs sur leur santé”, il s’avère que l’application donne lieu à des usages de plus en plus “abusifs”. Elle est en effet utilisée maintenant “pour restreindre l’accès à des immeubles de logements collectifs, des salles de sport, des centres commerciaux, aux bureaux de l’administration, ainsi qu’à des tas d’autres espaces publics ou privés” aux seules personnes l’ayant téléchargée.
Dérives et mauvais usages
De manière plus prosaïque, Aarogya Setu est confrontée aux réalités économiques et sociales d’un pays de 1,38 milliard d’habitants où règnent des écarts de revenus gigantesques. “Des millions de pauvres n’ont pas de smartphone et sont donc automatiquement exclus du système”, relève Scroll. Par ailleurs, l’application “ne peut pas vraiment modifier le comportement d’un individu” qui n’a pas d’autre choix que de se déplacer pour gagner sa vie ou pour occuper un emploi essentiel à la collectivité.
Un expert de santé publique d’Amritsar, au Pendjab, raconte que beaucoup d’Indiens “ne comprennent pas toujours comment utiliser l’application”. Certains cochent tous les symptômes proposés et quand les autorités leur téléphonent, “ils déclarent s’être trompés et n’avoir en réalité aucun symptôme”. S’ajoute ensuite la difficulté de retrouver les cas contacts sur le terrain, “le fait d’être positif au test du Covid-19 donnant souvent lieu à la stigmatisation”. Il arrive ainsi que des personnes repérées par Aarogya Setu “refusent catégoriquement de se faire tester”.
Même ceux qui avaient téléchargé l’application “avec enthousiasme” juste après son lancement disent qu’elle a déjà “perdu de son attrait et de son importance”. Un habitant de Delhi s’est par exemple aperçu que le cas positif repéré dans son immeuble, attribué dans un premier temps “à un ouvrier venu à son domicile réparer un câble”, était en fait “son voisin du dessus”. Cela lui a valu “des appels répétés des autorités” lui intimant l’ordre de se mettre en quarantaine et de déclarer des symptômes qu’il n’avait pas !
Aarefa Johari
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