De nombreux experts, des témoins se succèdent devant la caméra. On montre des documents, avec des extraits passés au Stabilo, tandis qu’une voix off pose, l’air grave, les questions qui dérangent… Tout cela sur fond de musique inquiétante. Pas de doute, le film Hold-Up – qui tente de montrer que la pandémie de Covid-19 a été créée de toutes pièces pour servir les intérêts des puissants – emprunte bien tous les codes du documentaire d’investigation.
Le film de Pierre Barnérias, qui accumule déjà près de trois millions de vues [1], sur différents supports de diffusion, comme l’a montré un récent décompte publié sur le site de France Inter, est une longue « enquête » – 2 h 40 – sur les dessous de la pandémie mondiale. Mais si à première vue, à travers une réalisation plutôt léchée, Hold-Up semble cocher les cases de l’enquête journalistique, il en est pourtant une version quasi parodique – un contre-exemple parfait à enseigner dans toutes les écoles de journalisme.
L’affiche du film « Hold-Up ». © Capture d’écran L’affiche du film « Hold-Up ». © Capture d’écran
Il y a bien sûr, elles sont les plus évidentes, les manipulations grossières ou les simples contrevérités dont le documentaire est truffé. Comme l’a déjà montré Libération [2], il est évidemment malhonnête de laisser entendre que le confinement a provoqué un pic de mortalité, en montrant que ce plus haut des décès intervient pendant cette période. C’est faire fi de la période d’incubation qui explique que ce pic arrive quelques semaines après le début du confinement.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS), contrairement à ce qu’indique un « expert » interrogé dans le film, n’a également jamais interdit les autopsies des patients décédés du Covid. L’institution a simplement mis en garde sur les risques de contamination et préconisé un protocole précis, aisément consultable.
Il est également faux d’affirmer, comme le fait la voix off, qu’avant le Covid, il n’y avait quasiment pas de virus se transmettant de l’animal à l’homme. Selon l’OMS [3], l’Institut Pasteur et quantité de publications scientifiques, 60 % des maladies infectieuses contractées par l’homme sont d’origine animale.
Hormis ces contrevérités flagrantes, et si facilement vérifiables, Hold-Up fonctionne aussi par l’accumulation d’allégations que rien ne vient étayer. Ainsi le pharmacien Jean-Bernard Fourtillan peut-il lancer, face caméra, sans apporter le moindre élément tangible, que l’Institut Pasteur a créé le Covid-19. « Ils ont inséré la séquence d’ADN de la malaria (dans le H1N1) », affirme-t-il évoquant un « brevet déposé en 2003 » à la suite d’un travail « commencé dans les années 1990 ».
À l’appui de sa « démonstration », il brandit une feuille A4 sur laquelle est inscrit « From Sars COV1 to Sars COV2 », qui ne prouve pas grand-chose. Le spectateur verra rapidement des documents défiler, portant différentes dates, certes soulignés au feutre jaune mais jamais explicitement sourcés. Qu’importe, des « documents » ont bien été produits, peut arguer le réalisateur.
Pour le reste, Hold-Up suggère d’ailleurs beaucoup plus qu’il n’affirme, en laissant croire au spectateur qu’il lui laisse le soin, devant tant d’éléments troublants, de se faire sa propre opinion. « Je trouve important de poser des questions comme le fait ce film », défend auprès de Mediapart la députée ex-La République en marche (LREM) Martine Wonner, qui intervient longuement dans Hold-Up0. « Pour ma part, je doute en permanence et il me semble que les médias devraient un peu plus s’interroger », ajoute-t-elle.
Sauf que, plus que le questionnement, c’est le sous-entendu et l’insinuation qui sont les principales figures rhétoriques employées par le documentaire. Il opère ainsi par rapprochements, censés être signifiants, entre différents faits, pour laisser croire qu’il s’agit d’un enchaînement logique ou causal. En clair des « tiens, tiens… » et des « bizarre » qui sont autant de clins d’œil adressés au téléspectateur qui doit remplir les « blancs » du raisonnement.
Bill Gates a alerté dès 2015 sur un risque de pandémie mondiale et le Covid-19 apparaît quelques années après… Bizarre. Jacques Attali avait prédit que Macron deviendrait président de la République ? Il le devient étonnamment en 2017… Curieux. L’AFP a fait une dépêche sur l’étude du Lancet mettant en cause l’hydroxychloroquine, et – comme par hasard – qui retrouve-t-on à la tête de l’AFP ? Un énarque, Fabrice Fries, ami de promo de Macron. Inutile de préciser que la plupart des journaux, indépendamment de l’AFP, ont évidemment relayé l’étude du Lancet… Un doute a été instillé dans l’esprit du spectateur, convaincu une fois de plus que tout ce petit monde se tient.
Pourquoi, s’interroge la généticienne Alexandra Henrion-Caude, les rapports de l’OMS sur le port du masque faisaient deux pages au début de la crise alors que les plus récents en font seize ? « Non mais de qui se moque-t-on ? », s’insurge-t-elle. Difficile de savoir ce qu’elle sous-entend, mais au ton courroucé de sa voix, le spectateur est censé comprendre que c’est très, très grave. Et puis « tiens, tiens… » pourquoi Gilead – le laboratoire fabriquant le remdésivir [4], médicament qui a raflé la mise une fois l’hydroxychloroquine écartée par l’OMS et « Big Pharma » – porte-t-il « un nom biblique » ? Étrange, non ?
Pour ressembler à un véritable travail d’enquête, Hold-Up affiche un nombre impressionnant d’experts, dont deux « prix Nobel », et un « ancien ministre de la santé », argument d’autorité oblige. Le premier, le chimiste Michael Levitt, tient des propos plutôt anodins en se demandant si la population pourrait accepter un deuxième confinement. C’est le premier à s’exprimer, il n’est là que pour servir de caution de sérieux au film. Le deuxième, le biologiste Luc Montagnier, avance des théories depuis plusieurs années – sur la téléportation de l’ADN – qui l’ont mis au ban de la communauté scientifique.
Quant à l’ex-ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy, qui tient dans le film des propos en faveur de l’usage de l’hydroxychloroquine pour traiter les patients du Covid-19, il explique à Mediapart avoir « le sentiment d’avoir été manipulé par le réalisateur ». « J’ai servi de caution, c’est clair ! », s’agace celui qui a, depuis qu’il a visionné le film, demandé à être coupé au montage.
Il y a bien sûr, parmi les « spécialistes » appelés à témoigner des hurluberlus notoires comme cet Olivier Vuillemin, présenté tour à tour comme un expert en « fraude scientifique » – qui n’a du reste rien publié sur le sujet –, et qui devient plus tard expert en « métrologie de la santé ». La séquence où il se livre à des rapprochements totalement hasardeux, à grand renfort d’anglicismes, entre l’internet des objets, la 5G et le Covid… est d’ailleurs devenue virale tant elle est absurde.
Hold-Up interroge également, comme un bonus à la fin du film, la « profileuse » Nadine Touzeau qui, à partir de photos, peut décrire le profil psychologique des personnes. « Cette personne est extrêmement fausse : ça se voit au niveau des commissures des lèvres et de son regard », dit-elle à partir d’une photo du docteur Laurent Alexandre, cofondateur du site Doctissimo. Ce qui fait, somme toute, assez peu progresser « l’enquête ».
Pour le reste, la plupart des « experts » appelés à témoigner n’ont – même lorsqu’ils sont issus du monde médical – aucune compétence en matière de virus ou de politique sanitaire. Ce qui explique, sans doute, l’impasse totale sur ce qu’ont vécu les hôpitaux depuis mars dernier dans ce film qui ne cesse de minimiser la gravité de l’épidémie. On entend ainsi, tour à tour, les avis d’une gynécologue, d’un oncologue, d’un radiologue et d’une sage-femme qui parlent, par ailleurs, rarement à partir de leur domaine de compétence, ce qui aboutit à un régime argumentatif assez particulier.
Ainsi, la gynécologue Violaine Guérin affirme avoir parlé avec une gendarme qui lui aurait dit qu’il y avait eu beaucoup de drames pendant le confinement : « Pendant le confinement j’étais en contact avec une gendarme de la brigade de protection des mineurs, elle me disait, c’est terrifiant, car on n’a aucun dépôt de plainte, on n’a rien sur qui se passe, les personnes étant confinées, [...] donc il y a eu énormément de drames pendant cette période », explique-t-elle. « Les plaintes pour viol auraient été multipliées par trois selon un expert psychiatre de la brigade des mineurs », appuie au conditionnel la voix off, sans citer sa source, et sans s’émouvoir qu’un « expert psychiatre » ne soit pas forcément le mieux placé pour donner ces chiffres par ailleurs officiels.
Le pharmacien Serge Rader, qui soutient dans le film qu’on a euthanasié les personnes âgées dans les Ehpad, assure qu’il est certain de ce qu’il dit pour une bonne et simple raison : « Je l’ai constaté, je suis ami avec un médecin qui s’occupe de trois Ephad. » « Non seulement on ne les a pas emmenés en réanimation, mais on leur a préparé la seringue de Rivotril avec un arrêté à la clé pour les achever complètement », ajoute-t-il.
La sage-femme Nathalie Derivaux, longuement interrogée, parle elle aussi de la politique menée dans les Ehpad à partir d’une expérience singulière. « J’ai une de mes belles-sœurs qui travaille dans une maison de retraite », avance-t-elle pour expliquer « d’où elle parle ». Ni la belle-sœur de Nathalie Derivaux, ni « l’ami » de Serge Rader ne sont en revanche interrogés.
Le clou de cette argumentation, en forme de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours, arrive lorsqu’un homme, présenté comme un « ancien agent du renseignement » – et dont on ne verra que le pull –, explique, lui, savoir que le virus a été inventé par l’homme car un responsable de l’Agence de sûreté nucléaire (ASN) le lui a dit. Et que dans ladite agence, on est évidemment particulièrement bien informé des pandémies…
Pour compléter ce tour de table d’« experts », le réalisateur choisit aussi, avec une condescendance qui ne semble pas trop l’embarrasser, de donner la parole à deux chauffeurs de taxi qui pestent sur les incohérences du gouvernement dans la gestion de la pandémie. Deux chauffeurs qu’on devine choisis au hasard et dont on ne connaîtra pas le nom. « Les chauffeurs sont de véritables décodeurs », plaide benoîtement Pierre Barnérias.
Plus le documentaire avance, plus il se perd dans un tourbillon de questionnements dont il devient de plus en plus difficile de suivre la cohérence. Les pistes s’accumulent. Pourquoi « l’informaticien » Bill Gates voudrait-il vacciner la terre entière ? Quel est son intérêt ? Comment expliquer la concomitance entre le développement de la 5G et la pandémie ? Pourquoi dans le livre sur la CIA préfacé par le journaliste Alexandre Adler était-il envisagé – dès 2009 – une pandémie venue de Chine ?
Le spectateur est peu à peu noyé, étourdi, et amené à se demander si les gouvernements mondiaux ont exagéré une « grippette » ou mis en œuvre un plan secret pour faire mourir une partie de l’humanité, non sans lui avoir au préalable posé une puce pour la faire payer en cryptomonnaie.
Heureusement, le film retombe assez rapidement sur la dénonciation de quelques « puissants » qui tirent les ficelles en secret : Bill Gates, David Rockefeller, Jacques Attali, qualifié ironiquement de « prophète » dans ce film aux relents antisémites constants et qui apparente ce documentaire à une sorte de Protocoles des sages de Sion 2.0. Aucune des personnalités mises en cause n’aura l’opportunité de faire valoir son point de vue, dans un documentaire sans aucun point de vue contradictoire.
La dernière demi-heure de Hold-Up est une sorte de bouquet final interprétatif avec une trame assez simple : les tenants d’une gouvernance mondiale, qui se retrouvent presque tous dans « l’Institut Berggruen », ont inventé la pandémie pour soumettre l’humanité au « Great reset », la grande réinitialisation. Tout y passe alors : la cryptomonnaie, les nanoparticules, la 5G… « J’ai le vertige : comment des hommes peuvent imaginer des scénarios aussi tordus ? », lance avant de clore son film le réalisateur, apparemment sans ironie.
Interrogé par France-Soir, grand soutien du film depuis le début, le producteur Christophe Cossé explique avoir choisi de travailler à ce projet car le sujet de la « désinformation » lui tenait à cœur. « J’ai décidé il y a une dizaine d’années de parfaire ma formation en faisant un master en psy et en PNL [programmation neuro-linguistique – ndlr] et c’est là que j’ai trouvé tous les outils de la manipulation » [5], affirmait-il. On ne saurait mieux dire.
Lucie Delaporte
Martine Wonner et Philippe Douste-Blazy ont été interrogés par téléphone vendredi 13 novembre. Pierre Barnérias, avec qui nous avons échangé par mails sur le principe d’un entretien, n’a pas répondu au téléphone, ni à nos questions adressées par courriel depuis vendredi.
Le producteur Christophe Cossé a expliqué à Mediapart vouloir faire le point auprès de ses conseils avant de nous répondre. Il n’a plus retourné nos appels depuis.
• MEDIAPART. 17 novembre 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/171120/le-documentaire-hold-une-parodie-d-investigation ?
« Hold-Up » : les QAnon et l’extrême droite en embuscade
Le documentaire fait la part belle aux intervenants proches de l’extrême droite et en particulier à la nébuleuse QAnon, qui estime que Trump va sauver l’humanité des sombres visées d’un gouvernement mondial secret. Il reprend aussi – à la limite du plagiat – les thèses du film conspirationniste américain Plandemic.
« Le spectaculaire succès du documentaire contesté sur le Covid-19, Hold-Up, est l’expression d’un rejet de la pensée unique imposée par l’ordre sanitaire. Cette fronde populaire annonce d’autres insurrections », s’est réjoui sur Twitter le très droitier journaliste du Figaro Ivan Rioufol.
Si la présidente du Rassemblement national a expliqué qu’elle ne croyait pas aux conclusions du film de Pierre Barnérias – le Covid-19 aurait été inventé de toutes pièces pour permettre le « great reset » ou la grande réinitialisation –, il a été en revanche salué et abondamment relayé par toute la fachosphère.
Les médias proches de la droite de la droite, comme CNews, Sud Radio ou France-Soir, qui ne compte plus aucun journaliste, ainsi que l’a récemment révélé Libération [6], lui ont donné, avant même sa sortie officielle, un écho considérable. Le jour de sa sortie en vidéo à la demande sur la plateforme Vimeo, Pascal Praud recevait, sans le moindre contradicteur, le producteur Christophe Cossé.
Il faut dire que derrière la neutralité politique affichée du documentaire de Pierre Barnérias, l’extrême droite a table ouverte dans Hold-Up.
Parmi les « experts » convoqués dans le film, si certains n’ont pas d’engagement politique connu (et si l’on met à part les cas de Philippe Douste-Blazy et de la sociologue Monique Pinçon-Charlot – qui se sont désolidarisés du film), une grande partie est proche de la droite extrême.
C’est le cas de l’avocate en droit privé Valérie Bugault, interrogée à plusieurs reprises dans le documentaire, et qui est une figure bien connue de la fachosphère. Cette habituée de la « Fête du pays réel », à l’initiative de l’organisation d’extrême droite Civitas, participait cette année au cycle de formation d’Égalité et Réconciliation, de l’essayiste antisémite Alain Soral.
Depuis le début de la pandémie, celle-ci soutient que le Covid est le fait d’« un petit groupe de gens, cachés derrière l’anonymat des capitaux et des institutions internationales et mené par quelques banquiers privés, [qui] organisent des chocs ou tirent parti de chocs afin de faire avancer leur agenda global de prise de contrôle politique du monde en instituant un “gouvernement mondial” », comme elle l’affirmait en avril dans la revue d’extrême droite Strategika [7].
La généticienne Alexandra Henrion-Caude, aujourd’hui désavouée par l’Inserm auquel elle était rattachée, et qui affirme, par exemple, que les test PCR visent à introduire des nanoparticules dans le cerveau à l’insu des patients, est proche des catholiques traditionalistes et est devenue, grâce à la pandémie, une star de la chaîne de « réinformation » TVLibertés. Le film Hold-Up l’interroge elle aussi très longuement.
Enfin, l’avocat italien Carlo Alberto Brusa, interrogé dans le film sur la question des libertés publiques, est un ancien candidat de Forza Italia et aujourd’hui un fervent soutien de l’extrême droite italienne de Matteo Salvini. Il intervient régulièrement sur la chaîne prorusse Russia Today.
Dans cette nébuleuse d’« experts » très marqués à la droite de la droite, un petit groupe a un statut particulier dans le film. À la fin du documentaire, comme une planche de salut au milieu d’un chaos où l’on ne peut plus se fier à personne, ni aux gouvernants, ni aux médias traditionnels, Hold-Up met en scène un groupe de « résistants » : « le club de L’Info en QuestionS ».
« En Suisse, des lanceurs d’alerte transforment leur salon pour remplacer des médias dogmatiques », explique la voix off, en montrant à l’image la blogueuse Ema Krusi, puis le chef d’entreprise et ancien youtubeur Silvano Trotta.
Mi-octobre, alors qu’il était en pleine levée de fonds pour terminer son documentaire, le réalisateur Pierre Bénarias a participé à l’émission d’Ema Krusi qu’il présentait en des termes élogieux [8]. « Je viens filmer une résistante et des résistants », assure-t-il auprès de 6 000 personnes connectées pour cette émission en direct.
« Ce documentaire, il va vous servir ! », s’enthousiasme Ema Krusi, très suivie sur les réseaux sociaux. « Vous êtes nombreux à nous dire : on ne sait plus comment convaincre les gens. Pierre s’en occupera pour vous », lance-t-elle, avant de préciser que ce film est « un travail d’équipe ».
Or Ema Krusi, femme d’affaires suisse, héritière de la maison Maison via Roma, est une des personnalités représentant la nébuleuse QAnon en Europe, comme l’a déjà montré Conspiracy Watch [9]. Dans une vidéo où elle célèbre la réouverture de son magasin, elle brandit la lettre « Q » sur la paume de sa main.
Ce mouvement apparu aux États-Unis en 2017, et qui connaît depuis le début de la pandémie une impressionnante phase d’expansion, estime que Trump va sauver le monde de la « secte pédo-sataniste » qui tient « l’État profond ». Les adeptes de « Q » – qui serait un officier des renseignements ou un haut fonctionnaire – attendent ses prédictions pour déjouer les plans du gouvernement mondial secret. Ils avancent souvent masqués et s’envoient entre eux des signes.
Sur Radio Lac [10], elle expliquait récemment que Bill Gates « est attaqué aujourd’hui par le gouvernement américain pour crime contre l’humanité » mais que « les médias ne le disent pas car Bill Gates les finance ». Des sous-entendus qui émaillent le documentaire de Pierre Barnérias.
Tout au long de l’émission où Ema Krusi a de nombreuses fois sollicité la générosité des spectateurs pour financer le documentaire de Pierre Bénarias, le tchat en direct laisse entendre que le public est bien à l’unisson. « Oui, Trump se bat contre cette mafia diabolique, abonde un commentateur. L’OMS est une maffia dirigée par le maffieux Bill Gates. » Quand un autre s’interroge : « Les satanistes vont-ils nous envoyer un virus bien plus létal que le VOV_19 [sic] ? »
Silvano Trotta, présenté lui aussi comme un « résistant » dans Hold-Up, est également connu pour sa proximité avec la nébuleuse QAnon. Censuré sur YouTube, où il avait plus de 100 000 abonnés, il diffuse ses vidéos désormais sur sa chaîne Odysee, une plateforme d’hébergement de vidéos propulsée par l’Américain Jeremy Kauffman [11], militant libertarien et actif soutien de Donald Trump.
Cet ufologue, spécialiste des ovnis donc, soutient notamment que la lune est creuse. On le voit dans une vidéo expliquer que « si la lune est creuse […], elle ne peut pas être naturelle, elle est donc artificielle ». Des scientifiques auraient établi le fait qu’« elle résonne comme une cloche […], beaucoup de ces expériences n’ont jamais été rendues publiques… Comme par hasard ». Malgré ses positions loufoques, en mai, sa vidéo sur l’hydroxychloroquine avait été vue près d’un million de fois sur YouTube, avant d’être supprimée.
Silvano Trotta diffusait également récemment une vidéo de la chaîne américaine pro-Trump RemnantTV affirmant que l’épidémie de Covid-19 avait commencé peu après le discours de Trump à l’ONU où il avait affirmé que « l’avenir n’appartient pas aux globalistes, l’avenir appartient aux patriotes ».
Sur sa chaîne Odysee [12], il se fait le relais des accusations de fraude électorale aux États-Unis à travers le logiciel Dominion. « C’est assez complexe à suivre mais sachez que les Clinton sont derrière ! », affirme celui qui a fait la promotion de Hold-Up, le jour de sa sortie, comme d’« une excellente idée de cadeau pour réveiller les endormis », dans la plus pure phraséologie des QAnon.
Pierre Barnérias met également en scène dans Hold-Up Eve Engerer, la médecin qui expliquait dans un reportage de BFM-TV que « le masque est un rituel des pédo-sataniques », l’obsession des QAnon. Dans Hold-Up, on la voit, l’air illuminé, expliquer qu’elle reçoit ces temps-ci « des appels des êtres de lumière qui sont un peu découragés ».
Le documentaire accumule d’ailleurs les clins d’œil à la nébuleuse QAnon, en agitant le spectre d’un « gouvernement mondial », en évoquant l’« État profond » ou la « grande réinitialisation » voulue par Bill Gates et ses amis. Il se termine d’ailleurs sur la lettre à Trump de Monseigneur Vigano, ancien ambassadeur au Vatican, qui reprend la plupart des lubies des QAnon et a été à l’origine diffusée par le mystérieux « Q ». Une élite mondialisée veut soumettre l’humanité à une grande réinitialisation et seul Donald Trump peut encore la sauver, explique la missive. « Le président Trump comme ultime recours face à une élite mondialiste… Il est temps que je m’arrête », dit alors la voix off.
L’autre grand tribut au conspirationnisme américain est que Hold-Up ressemble étrangement au film Plandemic de Mikki Willis, dont il reprend à peu près toutes les ficelles. L’épidémiologiste Judy Mikovits explique dans la première vidéo, sortie en mai 2020, que Bill Gates est derrière la pandémie de Covid-19, que le virus s’est échappé d’un laboratoire ou que les masques rendent malades.
Cette première version de Plandemic a connu un incroyable succès viral en étant initialement diffusée par les groupes proches de la mouvance QAnon. Celle que le réalisateur présente comme « l’une des plus grandes scientifiques de sa génération » est en réalité totalement discréditée par la communauté scientifique et n’exerce plus.
Fort du succès de sa première vidéo, Mikki Willis a récidivé le 18 août en publiant une version longue composée de nombreux entretiens et d’images d’archives. Le schéma est le même que dans Hold-Up : un chiropracteur qui fait l’éloge de la chloroquine, un « expert » qui met en doute l’origine du virus…
Hold-Up utilise les mêmes images d’archives que Plandemic sur « l’événement 201 », une simulation de pandémie mondiale organisée par le centre Johns Hopkins. Il montre les mêmes vidéos d’Anthony Fauci, le directeur de l’Institut américain des maladies infectieuses, aux côtés de Donald Trump, avec les mêmes commentaires. Jusqu’à quel point le réalisateur s’est-il inspiré de ce documentaire censuré aujourd’hui sur les grandes plateformes de diffusion ? Pierre Barnérias, questionné sur le sujet, n’a jamais répondu à Mediapart.
Lucie Delaporte
Le réalisateur Pierre Barnérias, contacté vendredi, n’a pas retourné nos appels ni n’a répondu à nos courriels. Le producteur Christophe Cossé, contacté vendredi, nous a dit attendre des conseils juridiques avant de nous répondre, puis n’a plus retourné nos appels.
• MEDIAPART. 17 novembre 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/171120/hold-les-qanon-et-l-extreme-droite-en-embuscade?utm_source=20201117