“La Russie a stoppé la guerre dans le Haut-Karabakh”, clame le journal russe Vzgliad, qui constate que Moscou “devient le garant de la sécurité dans la région”. Cette “nouvelle architecture” fait qu’Erevan se retrouve “dans une dépendance militaire totale” vis-à-vis de la Russie, désormais “seule en position d’empêcher l’Azerbaïdjan de récupérer la totalité du territoire du Haut-Karabakh”, analyse le quotidien proche du Kremlin.
Dans la nuit du 9 au 10 novembre, avec la médiation de la Russie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, en guerre depuis le 27 septembre, se sont accordés pour faire taire les armes dès minuit (heure de Moscou) dans le Haut-Karabakh. Les belligérants conservent les positions conquises avant la signature de l’accord. Ce dernier prévoit en outre le déploiement, pour une durée de cinq ans reconductibles, de 1 960 soldats russes de maintien de la paix.
Une opération qui a débuté aussitôt. Ces soldats ont pris position sur le pourtour du Haut-Karabakh et le long du corridor de Latchin, le cordon ombilical de 5 kilomètres entre la République indépendantiste et l’Arménie. Leur état-major sera basé à Stepanakert, la capitale du Haut-Karabakh. Le cessez-le-feu a permis, insiste Vzgliad, “d’empêcher une catastrophe pour les Arméniens”, dont les forces étaient en nette position de faiblesse face à la machine de guerre déployée par l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie.
Les conquêtes de l’Azerbaïdjan entérinées
L’Azerbaïdjan, que la Turquie a félicité pour sa “victoire importante”, comme le rapporte Vzgliad, récupérera trois régions entourant le Haut-Karabakh reconquises par la force en quarante-cinq jours de combats : Agdam, Kelbadjar et Latchin. Depuis 1994, ces régions vidées de leurs habitants, en ruines et entièrement contrôlées par les forces karabakhies, constituaient une zone tampon pour les Arméniens du Haut-Karabakh. Des monuments historiques, mais aussi l’ancienne capitale arménienne de Tigranakert, se situent sur ces terres perdues. Bakou prend par ailleurs la main sur la ville de Chouchi, ancienne capitale du Karabakh, théâtre de combats acharnés depuis plusieurs jours. Une perte forte en symboles pour les Arméniens.
Enfin, les personnes déplacées – notamment les Azéris chassés du Karabakh entre 1988 et 1994, lors de la première guerre – pourront retourner vers leur lieu d’habitation, et les infrastructures de transport et de commerce seront débloquées.
Dans une allocution à la nation, dans la nuit du 9 au 10 novembre, le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, a exprimé sa joie après “le règlement de ce vieux conflit dans le Karabakh”, avant d’annoncer que des Casques bleus turcs seraient également déployés dans la zone, rapporte le journal russe Komsomolskaïa Pravda.
De son côté, le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, s’est expliqué sur sa page Facebook :
“J’ai pris cette décision difficile, extrêmement difficile pour moi et pour nous tous.”
Et de souligner que le texte de la déclaration est “profondément douloureux” pour lui à titre personnel et pour le peuple arménien, mais qu’il s’agit de “la meilleure solution possible dans cette situation”, rapporte le site arménien Panarmenian.
Le président du Haut-Karabakh, Araïk Aroutiounian, a justifié ce cessez-le-feu par la nécessité d’éviter “des pertes humaines supplémentaires et la perte totale d’Artsakh [nom arménien du Haut-Karabakh]”, rapporte le média russe Lenta. Tandis qu’Armen Sarkissian, le président de l’Arménie, dont le rôle est honorifique, dit sur le site arménien Mamul avoir appris la nouvelle de la signature de l’accord tripartite “par la presse”, ignorant même jusqu’à l’existence “des pourparlers”, auxquels il n’a pas pris part.
Le Parlement d’Erevan envahi par la foule
Cette résignation au sommet de l’État n’est pas, en revanche, partagée par la rue. Et elle pourrait coûter sa place à Nikol Pachinian, porté au pouvoir en 2018 par une “révolution de couleur”. Quelques minutes à peine après la déclaration du Premier ministre, perçue comme une capitulation honteuse et une trahison nationale, des milliers d’Arméniens ont afflué vers le siège du gouvernement au cœur de la capitale arménienne à la recherche de Pachinian. “Où est Nikol ? Où est ce traître ?” scandait la foule.
“Erevan a vécu une nuit d’émeutes”, titre le journal arménien Novoïé Vremia ce 10 novembre. Les bâtiments du gouvernement et du Parlement ont été pris d’assaut et saccagés, le président du Parlement a été tabassé et secouru in extremis par des militaires. Ce 10 novembre, rapporte le journal en ligne arménien Verelq, les manifestants continuaient d’exiger de l’alliance Mon pas de Pachinian qu’elle “retire immédiatement sa signature” de l’accord tripartite.
Alda Engoian
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