De son côté, Emmanuel Macron entend bien répondre à cette pression en montrant qu’il s’active lui aussi. Le président de la République l’a encore répété mercredi soir : « Les actions, nous les avons décidées, nous les avons durcies, nous les mènerons jusqu’au bout. » « Toutes les réponses que nous pourrons apporter à cet acte odieux se feront dans ce cadre impérieux » qu’est l’État de droit, insiste son garde des Sceaux dans Le Parisien, en écho à ce que le chef de l’État affirmait encore au mois d’août, avant que l’émotion ne corrode la raison : « La lutte contre les groupes terroristes et la défense de la démocratie et de l’État de droit sont indissociables. En sortir, c’est provoquer l’instabilité et affaiblir notre combat. Ce n’est pas acceptable. »
Pour l’heure, l’exécutif exclut toute réforme constitutionnelle, mais réfléchit tout de même à la manière de border juridiquement les nouveaux textes qu’il prépare sous forme de projets de loi, qui sont soumis à l’examen du Conseil d’État, contrairement aux propositions de loi. En clair : il compte bien aller au bout des idées retoquées par le Conseil constitutionnel – la loi Avia, mais aussi celle de sa collègue Yaël Braun-Pivet sur les mesures de sûreté pour les terroristes sortant de prison –, en s’évitant un nouveau soufflet institutionnel. Comme le disait Emmanuel Macron dès janvier 2018, « l’État de droit est le cœur de la démocratie politique », mais « les attaques djihadistes » qui visent à le fragiliser « doivent nous inviter à une adaptation constante et rapide ».
Le président de la République l’avait énoncé le 2 octobre, en marge de son discours sur le « séparatisme islamiste ». Le projet de loi, qui sera présenté en conseil des ministres le 9 décembre, passera d’abord par le tamis du Conseil d’État, avant d’arriver au Parlement, et d’être soumis au Conseil constitutionnel. « Je n’ai pas d’autre chose à dire que de protéger ce bon fonctionnement de nos institutions », avait-il indiqué ce jour-là, avant de préciser toutefois, comme une mise en garde : « Nous avons tous à cœur, et nos juges constitutionnels aussi, de donner toutes les chances à notre République de réussir dans une société que nous partageons tous. Nos juges constitutionnels sont les meilleurs experts du droit, mais ils vivent dans la même société que nous. »
Au sein de la majorité, cette phrase a résonné à l’oreille des quelques députés qui observent depuis trois ans, et de façon pour le moins circonspecte, la conception toute personnelle que se fait Emmanuel Macron des institutions dont il est le garant. Sur la question de la séparation des pouvoirs, entre l’exécutif, le judiciaire et le législatif. Sur le poids réellement accordé au Parlement. Sur la façon même dont les décisions publiques sont aujourd’hui tranchées, à savoir le plus souvent au sein du noyau resserré que constitue le conseil de défense, « domaine réservé » du chef de l’État.
Le sujet avait déjà été soulevé par Xavier Bertrand, fin septembre, à propos de la gestion de la crise sanitaire. « Le Haut Conseil de défense, c’est ce qui est en train de remplacer le conseil des ministres, en ce moment, c’est ça ? », avait-il lancé devant la commission d’enquête du Sénat sur l’évaluation des politiques publiques face aux pandémies. « Il y a une évolution constitutionnelle, politique… Je ne vais pas en dire plus mais ça donne le sentiment que le conseil des ministres n’est plus là et que c’est maintenant le Haut Conseil de défense qui décide de tout. Vous avez compris mon point de vue. Il y a des institutions, il y a des instances : les respecter c’est mieux. »
Ce constat avait déjà gagné les rangs de LREM au printemps dernier, lors de la première vague de Covid-19. À ce moment-là, plusieurs élus s’étaient en effet étonnés des critiques récurrentes, émanant de l’Élysée, contre « les technos de Matignon » – comprendre l’ancien premier ministre Édouard Philippe, celui qui dirigeait son cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas, et l’ex-secrétaire général du gouvernement (SGG) Marc Guillaume. Ces trois conseillers d’État étaient alors accusés par certains de freiner les décisions du président de la République, en rappelant un peu trop souvent ce que la loi permet ou ne permet pas de faire. « C’était quand même bien d’avoir quelques personnes qui rappelaient les règles fondamentales du droit », souffle aujourd’hui un marcheur de la première heure.
L’attentat de Conflans-Sainte-Honorine, la communication sans limites de Gérald Darmanin, et les accents martiaux subitement adoptés par le président de la République ont ravivé les doutes de ceux qui craignent la remise en cause de nos fondamentaux. « On cède sur un certain nombre de principes pour faire de l’urgence, de l’émotion, sous prétexte qu’on est dans le camp du bien », déplore un élu LREM, pour qui ce « glissement institutionnel » n’augure rien de bon. « Que ferons-nous si l’extrême droite arrive un jour au pouvoir et que nous lui avons donné tous les outils pour l’exercer sans garde-fous ? »
Ellen Salvi