La France de 2020 n’est évidemment pas l’Allemagne de 1933. Mais les mêmes forces, qui œuvrèrent là-bas à la victoire du nazisme et chez nous à la collaboration avec lui, hurlent à nouveau leur haine, dans un contexte nationaliste mondial très inquiétant. L’« islamo-gauchisme » a remplacé dans leur bouche le « judéo-bolchevisme ». Au nom de la défense de la liberté d’expression, elles veulent en réalité étouffer notre liberté d’expression.
Je ne suis pas un fan d’Éric Dupond-Moretti, mais il a d’emblée répondu à Léa Salamé (en fait, je crois, à Gérald Darmanin) : « L’exploitation de l’émotion à des fins politiciennes me dégoûte. » C’est tout l’objet de ce billet.
Oui, il faut combattre les tueurs islamistes. Oui, il faut défendre la loi de 1905 – toute la loi mais rien que la loi. Oui, la laïcité est le seul régime qui puisse nous permettre de vivre ensemble dans notre diversité sociale, politique, idéologique et religieuse. Mais faut-il débattre encore de l’utilité d’une réécriture des Livres saints – au pluriel, car l’Ancien Testament contient au moins autant d’appels au génocide que les sourates guerrières du Coran ? Nul besoin cependant d’être grand clerc pour savoir que cette perspective n’a guère de chance de se réaliser avant des décennies, sinon des siècles. Combien de temps a-t-il fallu à l’Église catholique, avec ses papes et ses conciles, pour renoncer à accuser les juifs d’avoir tué le Christ (sans cependant modifier la Bible) ? Imagine-t-on l’islam, dépourvu de hiérarchie, réécrire demain le Coran ? Quant au blasphème, toute personne informée sait qu’il n’est ni prôné ni interdit, notion religieuse qui ne figure – évidemment – dans aucune loi d’un État laïque comme le nôtre.
Franchement, la priorité n’est pas là. Charognarde, l’extrême droite s’empare du cadavre de l’enseignant assassiné pour appeler à une épuration à l’envers. Irresponsables, des ministres lui emboîtent le pas[1]. Les idiots utiles de l’Hiver républicain de Gilles Clavreul suivent le mouvement : pour mieux servir les ambitions frustrées de l’ex-futur maire de Barcelone ? Et, hélas, nombre de « Je suis Charlie », indiscutablement sincères, entérinent bon gré malgré l’amalgame entre islamisme et islam, au risque de repousser les plus fragiles des musulmans, déjà souvent humiliés et discriminés, dans les bras des fondamentalistes. Et pourtant, contre ces derniers, il faut de toute évidence unir, et non diviser.
L’ex-président de France-Israël, Gilles William Goldnadel, vient d’appeler à « venger Samuel Paty[2] ». J’ose espérer que sa langue a fourché. Car des esprits enfiévrés par toute cette propagande pourraient passer des paroles aux actes et s’en prendre à des musulmans, assimilés du fait de leur foi aux tueurs qui s’en réclament, voire à leurs soi-disant « complices ». La semaine dernière, une courageuse main anonyme a tagué « collabo » sur le siège du Parti communiste français (PCF), place du Colonel Fabien – quel paradoxe, un descendant spirituel des véritables collabos accusant de cette infamie les héritiers du principal parti de la Résistance française !
Sont-ils conscients du danger ? Certains n’hésitent pas à accuser nommément des responsables politiques :
• Gérald Darmanin semble champion toutes catégories dans cet exercice. Ce ministre d’État, qui revendique dans l’enquête pour viol qui le vise une présomption d’innocence qu’il refuse au Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), a répondu à Alexis Corbière à l’Assemblée nationale : « Je ne m’explique pas qu’un parti comme le vôtre, qui a dénoncé pendant longtemps l’“opium du peuple” en soit désormais lié avec un islamo-gauchisme qui a détruit ( ?) la République[3]. »
• Jean-Michel Blanquer, lui aussi, dans le Journal du Dimanche[4], désigne à l’opprobre publique Jean-Luc Mélenchon – Marine Le Pen l’avait fait avant lui – ainsi que… Edwy Plenel. Sa vindicte englobe les universités et plus généralement les sciences sociales « gangrenées » par une « vision du monde qui converge avec les intérêts islamistes ».
• Ô surprise, l’ineffable Manuel Valls participe également à la curée contre le leader des Insoumis : « Il a été d’une très grande complicité, il a une très grande responsabilité dans tout ce qui s’est passé, dans tout le rapport de la gauche avec la lutte contre l’islamisme. » Conclusion : Mélenchon n’est « plus dans le camp des républicains[5] ».
• Même l’ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve fustige (sans précision il est vrai) « un islamo-gauchisme qui regarde avec les yeux de Chimène certaines organisations communautaristes qui ont en elles une défiance, pour une pas dire une forme de haine, de la République[6] ».
• Valeurs actuelles, il y a un an[7], présentait à sa « une », un « panel » plus large d’« islamo-collabos ».
• À Tribune juive, Élisabeth Badinter assure : « Cela ne peut plus se régler dans le pacifisme, car c’est allé trop loin. C’est une guerre que nous devons mener. » Et de dénoncer : « À nouveau, une partie de la population se dira que, peut-être, on exagère la menace. Nos adversaires vont jouer là-dessus, avec la complicité de leurs alliés à gauche, que ce soit une bonne partie des Insoumis, comme dans les universités où des clusters vont développer cette argumentation victimaire[8]. »
• Une autre Élisabeth (Lévy), avec un prodigieux sens de la prémonition, avait tout prévu voici quatre ans : « Certains, comme les indigènes de la République et tous ceux qui rejouent sans arrêt la guerre d’Algérie, ne sont pas des idiots utiles de l’islamisme mais des complices assumés. En revanche, il y a effectivement, à l’extrême gauche du paysage médiatique, un parti de l’Islam qui fait le jeu, sous couvert de libertés, de l’islam le plus archaïque. Plenel ou Lancelin se sentiront toujours plus proches d’un Tariq Ramadan ou peut-être pire, que d’Alain Finkielkraut[9]. »
• La newsletter du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) ne pouvait rester à l’écart : le réalisateur Yves Azéroual (dont le film accusateur a été déprogrammé… à Neuilly) en est certain, « l’islamo-gauchisme est avant tout une idéologie qui passe par une alliance objective entre la gauche radicale et l’islam politique ». Et de se demander « pourquoi cette gauche prétendument anticléricale a-t-elle conclu cette alliance avec l’islamisme[10] ? »
• Dans la même veine mais à la manière de Je suis partout, Dreuz.info[11]. rebaptisait le chroniqueur quotidien de France Inter « Claude Mohammed Askolovitch », formule reprise par plusieurs sites ultra-sionistes.
• Philippe Karsenty, sur celui de Causeur[12], fait porter à Charles Enderlin la responsabilité de l’assassinat de Samuel Paty – basse vengeance du débouté de l’affaire Al-Doura.
• Last but not least, plus récemment, dans l’émission 28 minutes d’Arte, Pascal Bruckner se répand en diatribes antiféministes pour mieux attribuer rétroactivement à Rokhaya Diallo la responsabilité de l’attentat sanglant contre Charlie[13].
• À propos de Charlie, enfin, un « ami » me traite sur Facebook d’« assassin » parce que… je critique des « unes » signées de Riss – à qui, comme à tout caricaturiste, il est arrivé de déraper, sans doute plus souvent qu’à son tour…
Je le répète : la France de 2020 n’est pas l’Allemagne de 1932, a fortiori de 1942. Il faut néanmoins tirer les leçons du passé. Les aïeux des islamophobes les plus hystériques d’aujourd’hui étaient alors des antisémites non moins hystériques. Faites l’expérience réalisée il y a longtemps par Esther Benbassa : remplacez, dans les pires des textes d’incitation à la haine de l’islam, le mot « musulman » par le mot « juif »… Ceux qui s’en prenaient aux « youpins » dans l’entre-deux-guerres se rendaient-ils compte que leurs cibles se finiraient à Auschwitz. Et que leur propagande ignoble aurait ainsi contribué à l’extermination de six millions d’entre elles, avec tant de Tsiganes, de Slaves, de handicapés et d’homosexuels…
À chacun sa sensibilité, à chacun son histoire. Parmi les déportés de ma famille paternelle, tous sont revenus, excepté mon grand père Nissim, mort à Dachau en mai 1945, après la libération du camp par l’armée américaine. Mon père, Haïm, est revenu de Birkenau et des Marches de la mort. Ma grand-mère Esther et ses filles Adèle et Germaine de Ravensbrück. Mon oncle Jacques a survécu à Buchenwald et à Dachau. Sauvée par les protestants du Chambon-sur-Lignon, où l’avaient cachée ses parents entrés dans la Résistance, ma mère Jacqueline a été marquée à vie comme tant d’enfants cachés – c’est d’ailleurs pourquoi elle est devenue « porteuse de valises » pendant la Guerre d’Algérie. En leur mémoire, je l’écris comme je le pense : un Éric Zemmour, récidiviste multi-condamné, qui continue à déblatérer sur les musulmans dans les émissions de CNews, ne vaut pas mieux qu’un Philippe Henriot honnissant les juifs sur Radio Paris – même si je ne lui souhaite pas la fin du Goebbels de Vichy.
Comparaison indigne entre deux époques, me disent certains « amis » sur Facebook. Et pourquoi ? C’est oublier que la longue tradition arabophobe ancrée dans la colonisation ne fut pas que verbale : des Français ont humilié, torturé, assassiné des millions de musulmans à commencer par les Algériens. Ressaisissez-vous ! Croyez-vous sincèrement qu’on puisse associer la mémoire de Samuel Paty aux diatribes contre les musulmans de France, y compris ces enfants arabes qu’il a, comme tous les autres, tant aimés ? Avez-vous oublié qu’il emmenait ses classes à l’Institut du monde arabe ?
« Venger » Samuel Paty, c’est d’abord combattre les djihadistes et leurs complices. Je témoigne que les associations de solidarité avec la Palestine ont dénoncé publiquement depuis des années le Collectif Cheikh Yassine et son chef Abdelhakim Sefrioui, d’ailleurs lié à l’extrême droite comme des photographies l’attestent[14], sans que les « services » ne sévissent. Il aura fallu qu’il soit impliqué dans le drame de Conflans pour que le Conseil des ministres dissolve son groupuscule. « Venger » Samuel Paty, c’est aussi combattre d’un même mouvement les prêcheurs de haine islamistes et islamophobes. C’est enfin rassembler toutes les forces démocratiques et républicaines contre l’extrême droite et ses alliés/rivaux au sein du gouvernement.
No pasarán !
Dominique Vidal
Notes
[1] Irresponsables ou calculateurs ? Indépendamment des ambitions à peine dissimulées de Gérald Darmanin, on peut légitimement se demander si ses provocations répétées ne visent pas aussi à faire oublier l’échec de ses services : Mediapart a montré que l’assassin de Samuel Paty avait à plusieurs reprises s’était exprimé à plusieurs reprises sur Internet, interventions signalées à Pharos et à la police. Si celle-ci était avait réagi rapidement, l’enseignant de Conflans serait peut-être sain et sauf. Une manière aussi de détourner l’attention de la faillite de la politique sanitaire d’Olivier Véran et Jérôme Salomon…
[2] CNews, 21 octobre.
[3] LCP, 6 octobre 2020.
[4] 25 octobre.
[5] Site du Huffington Post, 18 octobre.
[6] Le Parisien, 17 octobre.
[7] 13 novembre 2019.
[8] 25 octobre.
[9] Site d’Europe Israël, 11 septembre 2016.
[10] 22 octobre.
[11] 20 février 2018.
[12] 24 octobre.
[13] La présentatrice, la d’ordinaire excellente Élisabeth Quin, l’a-t-elle contredit ? Impossible de le savoir : le replay de l’émission du 21 octobre ne fonctionne pas. Lors de la matinale de France Inter, le lendemain, Bruckner, avec un stupéfiant cynisme, déclare : « Ma deuxième inquiétude, c’est l’action d’un déséquilibré, d’un extrémiste, qui va commencer, on a déjà vu l’exemple peut-être au Champ-de-Mars, qui va aller tirer sur une mosquée, qui va vouloir aller frapper des femmes voilées, et si un tel événement se produisait ou se répétait plusieurs fois, nous perdrions l’avantage moral que nous avons gagné en tant que nation victime du terrorisme islamiste. »
[14] Le site antifasciste La Horde vient de publier un dossier très complet sur le Collectif Cheikh Yassine, dont une photographie montre Frédéric Chatillon et Alex Loustau manifestant avec ce groupe en 2009 : https://lahorde.samizdat.net/2020/10/20/a-propos-dabdelhakim-sefrioui-et-du-collectif-cheikh-yassine/
• Blog : Dominique Vidal sur Mediapart. 25 oct. 2020 :
https://blogs.mediapart.fr/dominique-vidal/blog/251020/contre-l-extreme-droite-et-ses-idiots-utiles-no-pasaran
Contre le terrorisme et son exploitation liberticide
Au-delà de l’émotion, le pouvoir macronien n’effectue-t-il pas un virage vers l’extrême droite ? Sur fond de déclarations irresponsables et provocatrices, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, semble orchestrer cette opération dont les principales victimes seront les libertés d’opinion, d’expression et d’association.
Le défi du terrorisme est redoutable. En décapitant un enseignant, Samuel Paty, Abdoulakh Anzorov a franchi une étape qualitative inédite dans l’escalade lancée par Mohammed Merah, relayée par les frères Kouachi (Charlie hebdo) et Amedy Coulibaly (Montrouge et l’Hypercasher), puis par les trois tueurs du Bataclan, suivis de Mohamed Bouhlel (Nice) et des quatre assassins du Père Jacques Hamel (Saint-Étienne du Rouvray) – et tant d’autres en France et bien sûr ailleurs.
Combattre ce phénomène qui menace, au-delà de ses victimes, notre société tout entière constitue un impératif qui s’impose évidemment à tous les démocrates. Mais comment ? Deux conditions sine qua non me semblent devoir être entre autres remplies :
• Ce combat doit se mener dans le respect scrupuleux de notre Constitution et de nos lois. Pas seulement pour éviter la manipulation des événements par des forces rêvant d’une transformation autoritaire, voire totalitaire de la République : c’est aussi une nécessité absolue afin de mobiliser toutes les forces dont l’union permettra de triompher de la barbarie ;
• Cette perspective exige que l’on rejette tout ce qui divise et que l’on encourage au contraire tout ce qui rassemble. Pratiquer l’amalgame entre terrorisme et islam, pointer un doigt accusateur sur les fidèles de la deuxième religion du pays, humilier des millions d’hommes et de femmes déjà si souvent discriminés ne risque pas seulement de pousser les plus fragiles dans les bras des extrémistes, mais aussi de priver la lutte contre le terrorisme de leur indispensable participation.
Bref, l’intransigeance face aux tueurs et à leurs complices doit aller de pair avec la plus grande ouverture – j’allais dire le plus grand respect – envers tous ceux qui se réclament des principes et des valeurs de notre démocratie. Voilà qui implique pour les responsables politiques et médiatiques un grand esprit de responsabilité et un sang-froid de tous les instants.
Ce ne sont pas, hélas, les caractéristiques de bien des déclarations actuelles, à commencer par celles, répétées, du ministre de l’Intérieur, qui paraissent irresponsables, sinon provocatrices. En voici un bref florilège limité à la période du 18 au 21 octobre. Chacune mériterait un commentaire, que je laisse au lecteur le soin de faire :
- « Pour la première fois, l’islam politique a mené directement à un attentat. Quand on fait le procès de Charlie Hebdo, quand on republie les caricatures (de Mahomet), oui, des gens ne l’acceptent pas (...). Nous sommes en guerre, il faut accepter qu’il puisse y avoir des attentats (
- « Ils ont manifestement lancé une fatwa contre le professeur. Le gouvernement et le Parlement ont essayé de lutter contre la haine en ligne avec la loi Avia. Une loi refusée par le Conseil Constitutionnel (
- « Depuis ce matin, et à la suite du Conseil de défense, des opérations de police ont lieu et auront lieu dans les heures, dans les jours qui viennent. » Ces opérations « très nombreuses concernent des dizaines d’individus pas en lien forcément avec l’enquête (…) Nous avons manifestement envie de passer un message : pas une minute de répit pour les ennemis de la République (
- « Je vais proposer la dissolution du CCIF et de BarakaCity, des associations ennemies de la République. Il faut arrêter d’être naïfs et voir la vérité en face : il n’y a aucun accommodement possible avec l’islamisme radical. Tout compromis est une compromission (
- Du CCIF, Darmanin précise : « C’est une association qui touche des subventions d’État, des déductions fiscales et qui dénonce l’islamophobie d’État. Je le souhaite car un certain nombre d’éléments nous permettent de penser que c’est un ennemi de la République (
- « Le problème de l’islam de France, c’est qu’il est le fruit, parfois le jouet, d’États étrangers (
- « Ça m’a toujours choqué de rentrer dans un hypermarché et de voir qu’il y a un rayon de telle cuisine communautaire, c’est comme ça que ça commence le communautarisme (
- « Je défendrai toujours l’honneur de la Police nationale. Je dépose plainte contre le blog de Mediapart pour diffamation publique (
- Ceci explique cela : « Je préfère, explique le ministre l’Intérieur, le bon sens du boucher-charcutier au snobisme des intellectuels parisiens. Vous intellectualisez tout ! “Ensauvagement”, c’est dans le “Littré (
L’ensauvagement : le grand mot est lâché, emprunté par un politicien de la droite dite républicaine à celle qui ne l’est pas. Comment ce plagiaire de Marine Le Pen peut-il continuer à occuper, dans une situation aussi sensible, une fonction aussi décisive ? D’autant que les déclarations martiales du ministre semblent aussi camoufler l’apparent échec des services dont il est responsable : l’assassin de Samuel Paty avait évoqué ses intentions sur les réseaux sociaux et ses publications avaient été signalées à qui de droit. Une réaction plus rapide n’était-elle pas possible, qui aurait pu sauver la vie à l’enseignant ? Emmanuel Macron a lancé mardi à Bobigny : « Il ne s’agit pas de faire de nouvelles déclarations, ce sont des actes qui sont attendus par nos concitoyens (
Une dernière remarque ne peut être tue.
Si l’hôte – provisoire, espérons-le – de la place Beauvau invoque la présomption d’innocence dans les affaires de harcèlement sexuel et de viol qui lui ont valu plusieurs plaintes et une enquête toujours en cours, pourquoi ne respecte-t-il pas ce principe s’agissant du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). Il est d’ailleurs scandaleux de comparer cette association avec le collectif Cheikh Yassine d’Abdelhakim Sefrioui, un groupuscule fondamentaliste, négationniste et antisémite d’ailleurs acoquiné avec Dieudonné et lié à l’extrême droite, dont on se demande pourquoi il a bénéficié si longtemps de la complaisance des autorités (
Si tel ou tel responsable du CCIF a pu faire des déclarations ambigües ou même franchement critiquables, comment affirmer qu’il prônerait un islam fondamentaliste, qu’il ferait l’apologie du terrorisme et a fortiori en serait complice. Son site, ses publications et ses prises de position s’en tiennent à un objectif essentiel : combattre l’islamophobie et en aider les victimes. D’ailleurs l’ex-Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRA), le préfet Gilles Clavreul, qui avait qualifié le CCIF d’« antisémite », vient de voir la Cour de cassation rejeter son dernier pourvoi – il doit même verser 2 500 euros à l’association.
De deux choses l’une. Soit Gérald Darmanin dispose de preuves sérieuses contre le CCIF, et alors qu’il les montre. Soit sa dissolution arbitraire a toutes les chances d’être retoquée par le Conseil d’État, comme hier la loi Avia par le Conseil constitutionnel. Cette absurde tentative ne démontrera alors que le caractère liberticide du pouvoir macronien.
La tentative de purge de l’Observatoire de la laïcité n’est pas moins scandaleuse : il s’agit d’une institution de la République présidée par l’ancien secrétaire général de l’Élysée et ministre Jean-Louis Bianco, secondé par le rapporteur général, le juriste Nicolas Cadène. Le soutien dont tous deux bénéficient ces jours-ci est impressionnant. Que Marine Le Pen, après Manuel Valls, exige leur tête ferait de leur destitution le signe du ralliement du président et de son Premier ministre à ceux contre lesquels ils prétendent nous protéger. Tout cela prend en effet chaque jour un peu plus les allures d’un virage vers l’extrême droite, et ce à un triple niveau : sémantique, politique et pratique. Chacun saurait s’en souvenir en 2022…
Député LREM du Val d’Oise, Aurélien Taché n’en était pas moins lucide, avant même la tragédie de Conflans, sur le fil rouge de l’évolution qui s’accentue sous nos yeux : « En 2017, [Emmanuel Macron] avait un discours beaucoup plus mesuré. Il a longtemps dénoncé les amalgames. Aujourd’hui, il les fabrique. On termine le quinquennat avec un président qui n’aura pas prononcé le nom de George Floyd et qui charge ses deux ministres (Darmanin et Schiappa) d’assumer un virage néoconservateur. Avec ce type d’approche, on n’aura pas réussi à éliminer un extrémisme – islamiste – et on aura réussi à renforcer un autre – d’extrême droite (
Que reste-t-il, dans cette opération où le cynisme le dispute à la vulgarité, de la réalité des discriminations économiques, sociales et culturelles dont sont victimes des millions d’enfants de la République parce qu’ils sont aussi des enfants de l’immigration : elles forment pourtant le terreau fondamental des phénomènes de radicalisation. « Liberté, égalité, fraternité » n’est décidément pas la devise de la République macronienne…
Le ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, l’a déclaré on ne peut mieux : « L’exploitation de l’émotion à des fins politiciennes, ça me dégoûte (
À vrai dire, cette formule du président de la République lors de la cérémonie de la Sorbonne ne concerne pas que Samuel Paty : à nous tous de faire en sorte qu’il n’y ait pas de nouvelle « victime de la conspiration funeste de la bêtise, du mensonge, de l’amalgame, de la haine de l’autre (
Dominique Vidal
22 oct. 2020