“Plus de deux décennies se sont écoulées depuis l’enlèvement de militants prodémocratie en 1997 et en 1998. Alors que justice n’a pas encore été rendue aux familles des victimes, le public est choqué par la nomination de deux ravisseurs à des postes stratégiques du ministère de la Défense. Est-ce là le juste traitement pour les auteurs de violations des droits humains dans ce pays ?” s’insurge le quotidien indonésien Kompas..
Les deux militaires incriminés sont Dadang Hendra Yudha et Yulius Selvanus, nommés respectivement directeur du Potentiel de défense et chef de l’Agence des installations stratégiques de défense. Tous deux faisaient partie du funeste commando Mawar, dont le nom signifie “rose” en indonésien.
22 militants enlevés et 13 toujours portés disparus
Ce commando a été formé en juillet 1997, sous le commandement direct du Kopassus, les forces spéciales de l’armée indonésienne, avec pour objectif de kidnapper les activistes prodémocratie qui commençaient à manifester pour exiger la démission de Suharto, au pouvoir depuis trente-deux ans.
Kompas rapporte le témoignage de Nezar Patria, un de ces militants kidnappés :
“J’ai été électrocuté, battu et interrogé pendant trois jours et trois nuits. J’ai reçu tellement d’électrochocs et de coups de poing que j’avais les lèvres fendues, je ne pouvais plus manger. J’ai essayé de crier ‘Allahu akbar’ et ils m’ont labouré le ventre.”
Sur les 22 activistes enlevés, 9 ont été libérés après avoir été torturés, mais les autres sont toujours portés disparus. En 2007, un tribunal militaire a estimé que Dadang Hendra Yudha et Yulius Selvanus étaient impliqués dans ces enlèvements et les a condamnés à des peines de prison de seize et trente mois respectivement.
“Une vision tordue des droits humains”
Dans un édito, Koran Tempo, autre quotidien indonésien, exprime lui aussi son indignation face à cette nomination :
“Les citoyens ne devraient pas être trop étonnés de cette initiative gouvernementale. Tout était déjà écrit lorsque Jokowi [surnom de Joko Widodo, le président indonésien] a demandé à Prabowo Subianto, son ancien rival lors des deux dernières élections présidentielles, de devenir ministre de la Défense [en 2019, au début de son deuxième mandat]. Tout le monde sait que Prabowo Subianto était le commandant général de Kopassus lorsqu’une série d’enlèvements d’activistes a eu lieu en 1998. Il a été révoqué de l’armée en raison de son implication dans ces enlèvements. Aujourd’hui, la promotion du commando de la Rose ne fait que confirmer la vision tordue des droits humains dans la tête de nos dirigeants.”
“C’est comme si on nous piétinait une deuxième fois, comme si on versait de l’acide sur nos plaies encore béantes”, a déclaré à Kompas Zaenal Muttaqin, secrétaire général de l’Association indonésienne des personnes disparues.
Koran Tempo conclut non sans colère : “En donnant son approbation à cette promotion, le président Joko Widodo a envoyé un signal clair : les auteurs de violations des droits humains n’ont pas à craindre d’être punis, même si leurs crimes sont prouvés. La culture de l’impunité est entretenue et encouragée. Ce signal est conforme à la position du gouvernement sur plusieurs incidents antérieurs, tels que le règlement des cas de violations des droits humains lors des manifestations étudiantes #ReformasiDikorupsi [la Réforme/la démocratie est corrompue] en septembre 2019. Bien qu’il soit clair que des étudiants ont été abattus, jusqu’à présent, ces opérations des forces de l’ordre n’ont pas fait l’objet d’une enquête complète.”
Courrier International
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