Zhushan (province du Hunan) envoyée spéciale
Des émeutes à Zhushan ? Parlons plutôt d’ « incidents, aujourd’hui totalement éteints », sourit la charmante Mme Li. C’est vers elle que dirige M. Kang, porte-parole de la municipalité de Zhushan. Lui ne sait rien, il agite les deux mains en signe de dénégation. A l’entrée de sa somptueuse mairie, une affiche promet pourtant 10 000 yuans (970 euros) de récompense, et l’anonymat, à qui dénoncera les « criminels en relation avec l’affaire du 9 mars ». Un bureau a même été ouvert pour les « criminels qui voudraient se rendre », moyennant l’indulgence des autorités. Combien d’arrestations depuis deux semaines ? « Il y en a peut-être eu, répond, placide, M. Kang. Mais c’est l’affaire de la police, qui doit passer par nous. Et nous, nous devons passer par la ville de Yongzhou... »
C’est là, à une quarantaine de kilomètres, que Mme Li, porte-parole de la municipalité, fait la démonstration de son talent : « Lisez le quotidien de Yongzhou, tout y est. » Rien de plus en fait qu’une dépêche mollassonne de l’agence nationale Xinhua, bien obligée d’admettre la semaine dernière après toutes ses collègues étrangères, des incidents entre paysans et policiers à Zhushan. Entourée du directeur de la propagande du Parti, d’un interprète et de deux policiers, Mme Li veut bien répondre à toutes les questions. Mais tout ce qu’elle sait, c’est que tout est arrangé.
4x4 et berlines. Retour à Zhushan, par l’autoroute neuve et vide qui traverse les rizières. Un bourg rural de 10 000 habitants, 50 000 en comptant les innombrables fermes alentour, où les seules voitures sont des 4x4 japonais et des berlines allemandes, toutes conduites par les petits chefs du Parti. Ceux-là ont leur bureau et leur appartement dans un nouveau quartier hérissé de lampadaires démesurés. Les autres se partagent une rue principale goudronnée et deux ou trois ruelles praticables, puis le village se perd dans la boue. Sur chaque façade, une affiche frappée des sceaux rouges du Parti, de la justice et de la police évoque l’ « incident de masse », « des voitures brûlées et cassées », et invite les criminels à se rendre et avertissant que « ceux qui ne l’auront pas fait avant le 20 mars s’exposent à des sanctions alourdies ». « Ceux qui ont caché les criminels » sont également visés. Des voitures de police passent sans arrêt, la plupart des habitants briefés par leurs dirigeants se détournent. « Il ne s’est rien passé, hurle la pompiste de la station-service. Vous ne croyez quand même pas qu’on va parler devant des étrangers ! »
Dans une ruelle à l’écart, la jeune Xiao Fang parle en toute franchise, encore émue : « Cela a duré quatre jours. Le dernier, cela a été très grave. Il y avait des milliers et des milliers de personnes en colère dans les rues. Ils ont brûlé des bus et des voitures de police. J’ai vu une scène de tabassage depuis la fenêtre d’un immeuble devant la mairie. Les policiers frappaient tout le monde, même les vieux et les très jeunes. »
Révolte. A l’hôpital, bâtisse froide, sale et sans vitres, un employé confirme avoir reçu entre le 9 et le 12 mars, une « dizaine de blessés légers et deux autres plus gravement, qui ont été conduits à Yongzhou ». Il désigne du menton la petite gare de bus : « C’est de là que tout est parti. » Un jeune homme, Minzi confie avant de s’échapper à la vue d’une ronde de police : « Cela fait longtemps que les gens étaient en colère contre la compagnie de bus, la seule du village, qui faisait ce qu’elle voulait. Des incidents avaient déjà eu lieu, parce que les tarifs ne cessaient d’augmenter. Les billets étaient passés à 9 yuans (90 centimes d’euros) pour un passager aux mains vides, et 15 yuans (1,50 euro) pour ceux avec des bagages, seulement pour faire 38 kilomètres. » 9 yuans, le prix d’une paire de chaussures pour un paysan qui gagne péniblement 500 yuans par mois. Le 8 ou le 9 mars Minzi ne se souvient plus , les parents d’élèves scolarisés dans la ville voisine, faute de lycée à Zhushan, se sont révoltés après qu’un jeune s’est fait brutaliser par un employé, sous les yeux de fonctionnaires visiblement de mèche. Ils sont partis en groupe protester à Yongzhou, réclamer des demi-tarifs pour leurs enfants, comme cela se pratique partout en Chine. Réponse négative de la compagnie Anda, en position de monopole dans la région et soupçonnée de collusion avec les politiques locaux. « Puis ils ont envoyé des voyous frapper les parents ici », raconte Minzi.
« Corruption ». Le 9 mars, les premiers bus sont brûlés. Le 12, une responsable du district, nommée Tan, confirme à l’agence Reuters que près de 20 000 manifestants se sont opposés à 1 000 policiers, et donne la « corruption » comme raison de la colère. Tous les appareils photo des villageois sont confisqués, mais des images d’attroupement, de bus et de voitures de police calcinés, paraissent sur le site Boxun, censuré en Chine. Neuf véhicules en tout, diront des témoins. L’un d’eux, Zhan Zilin, affirme que tous les corps de police du Hunan, police locale, police du district, police spéciale, armée... ont convergé vers Zhushan, coupé à la circulation. Ce témoin a parlé de 60 blessés. « Il y en avait des dizaines », dit pour sa part Xiao Fang, la jeune femme de Zhushan. « Les policiers tapaient avec des bâtons et des matraques électriques. » Le bruit des émeutes est remonté jusqu’à Pékin, où avait lieu la réunion annuelle de l’Assemblée nationale populaire, le Parlement chinois. Des députés en ont parlé en public, troublant les séances sur l’élaboration de la Société harmonieuse chère à Hu Jintao.
A Yongzhou, Mme Li aura bientôt terminé de comptabiliser les voitures brûlées, les blessés et les arrestations. Mais à quoi bon ? Tout n’est-il pas « paisible » maintenant ? Le gouvernement a fait fermer temporairement la compagnie Anda, a rétabli la concurrence entre les bus dans le district et a ramené le ticket au prix de 5 yuans. « Il n’y a rien de spécial dans toute cette affaire, dit-elle. Dans le monde entier, il arrive que des gens soient mécontents à cause des tarifs de bus. »