Samedi, pour la troisième année consécutive, s’est déroulée en France une journée nationale anti-OGM à l’initiative de la Confédération paysanne et de Greenpeace. Cette action, qui était prévue de longue date, clôt une semaine intense sur le front de ces biotechnologies végétales, à moins d’un mois de l’élection présidentielle et juste avant les semis de printemps qui commencent début avril.
Lundi, le ministère de l’Agriculture a annoncé avoir autorisé, pour 2007, treize essais de cultures d’OGM en plein champ. Mardi, le gouvernement a publié deux décrets pour combler le retard de la France dans la transposition d’une directive européenne relative aux OGM. Un retard de cinq ans qui a conduit la Commission européenne, à la fin de l’année dernière, à réclamer une lourde amende contre Paris, 38 millions d’euros, accompagnée d’une astreinte journalière de plus de 360 000 euros pour violation de la législation européenne. Ces décrets ont été accueillis avec satisfaction par les quatre plus importantes organisations de semenciers, de même que par la FNSEA (le principal syndicat agricole), qui espèrent que ces « mesures seront à même d’apaiser le climat ». Au contraire, ils ont été dénoncés par la Coordination rurale et la Confédération paysanne.
Côté écologistes, cette actualité a provoqué une levée de boucliers. Pour Voynet (Verts), ces textes sont « une insulte aux principes de précaution, de transparence et de dialogue social ». Corinne Lepage (Cap 21) juge qu’ils « accroissent la confidentialité en ne permettant pas la communication des études sur les effets sanitaires des OGM ou l’organisation de la contre-expertise ». José Bové parle, lui, d’ « un déni de démocratie puisque 85 % des Français ne veulent pas d’OGM ». Même sentiment à France nature environnement (FNE), qui regroupe un millier d’associations de protection de la nature. Décryptage avec Arnaud Gossement, juriste de FNE.
Sur quoi portent ces décrets ?
Le premier porte sur la « dissémination en milieu ouvert d’OGM à toute fin autre que la mise sur le marché », donc les essais en plein champ. Le deuxième, sur l’encadrement et le contrôle des cultures commerciales. Il y a aussi un arrêté qui crée un registre national des parcelles semées en OGM.
Pourquoi un tel tollé ? La France devait bien transposer la directive...
Politiquement, France nature environnement regrette l’absence de débat parlementaire. Il y avait un projet de loi, mais il s’est enlisé et a fini par être enterré. Le gouvernement préfère passer par décrets, évitant ainsi tout débat. Sur le fond, ces décrets sont une interprétation laxiste et très pro-OGM de la directive. Et une transposition imparfaite car il manque beaucoup d’éléments, notamment sur le droit du public à l’information, ou le principe de précaution. L’évaluation des risques n’est pas assurée, parce que la commission du génie biomoléculaire est dépourvue de moyens pour mener des contre-expertises indépendantes.
En outre, le décret ne précise pas comment les citoyens pourront avoir accès aux études sur l’impact sanitaire et environnemental des OGM : on officialise le manque de transparence.
Et sur la responsabilité des agriculteurs ?
Beaucoup d’entre eux craignaient, s’ils se lançaient dans les OGM, d’être les cibles d’actions en justice de leurs voisins les accusant d’avoir contaminé leurs cultures. Dans le projet de loi, effectivement, l’agriculteur risquait d’engager sa responsabilité. Mais dans les décrets, tout a disparu !
La création d’un registre national, n’est-ce pas un point positif ?
En théorie oui. Sauf que, quand on étudie l’arrêté, on découvre que le semencier est libre de décider quelles informations sont confidentielles ; le ministère de l’Agriculture pourra lui aussi décréter confidentielles certaines informations. De la même manière, l’agriculteur est censé déclarer les parcelles OGM, mais il n’y a pas de sanction à la clé s’il ne le fait pas. Or, en droit, une obligation sans sanction relève de l’incantation ! Quant à la localisation des parcelles, il suffit de dire dans quel canton elles se trouvent, sans ajouter plus de précision.
La France pourrait-elle être condamnée pour transposition imparfaite ?
Oui. Pour l’heure, avec ces décrets, Paris calme la Commission européenne. Même si Bruxelles décide de maintenir une condamnation, à cause du retard, l’amende sera moindre et cela va prendre quelques mois pour analyser ces décrets. Mais avec ces textes, le gouvernement suit la stratégie des semenciers qui consiste à banaliser les OGM dans les campagnes. Il prend ainsi le risque d’accentuer la crispation, et de contraindre les opposants aux OGM à des actes défensifs.