« Dans notre pays, l’inculture de santé publique est profonde, se désole l’épidémiologiste Dominique Costagliola. On a cru que le dépistage était un simple acte de biologie médicale. C’est en réalité une stratégie qui se réfléchit, se concerte, et se suit en choisissant de bons indicateurs. Le nombre de tests n’est pas un bon indicateur. »
L’automne n’a que quelques jours, les virus de l’hiver ne sont pas encore là, et la France se retrouve prise dans une nouvelle flambée de Covid-19. Selon le dernier bulletin hebdomadaire de Santé publique France, 61 800 cas ont été diagnostiqués la semaine dernière. Le nombre des nouvelles hospitalisations de patients atteints du Covid-19 (3657) est en hausse de 34 % par rapport à la semaine précédente, le nombre de patients admis en réanimations (599) en hausse de 40 %. 339 personnes sont mortes du Covid-19 la semaine dernière, contre 265 la semaine précédente (+ 25 %).
Avec l’augmentation de la circulation de l’épidémie, les laboratoires se retrouvent face à une demande supérieure à leurs capacités de tests dans de nombreux territoires. Les laboratoires publics comme privés témoignent de très fortes tensions sur le personnel, les machines et les réactifs (lire notre article ici).
Les tests sont réalisés, en moyenne, 3 jours après les premiers symptômes, selon Santé publique France. Et les résultats peuvent être rendus dans un délai de 7 jours, constate l’agence. Ces délais ne permettent plus de contrôler l’épidémie comme l’explique l’épidémiologiste Catherine Hill (lire notre entretien ci-dessous), qui plaide pour que les laboratoires jettent les tests qui n’ont pas été analysés dans un délai de 48 heures.
La seule bonne nouvelle est que des nouveaux outils de dépistage, plus simples et plus rapides d’utilisation, sont désormais autorisés par les autorités sanitaires : les tests salivaires, qui accélèrent le prélèvement, et les tests antigéniques, qui proposent une analyse en 30 minutes.
La communauté des virologues, d’abord réticente, car ces tests sont un peu moins sensibles que les tests PCR classiques, semble désormais convaincue par leur intérêt. « En avril, on ne voulait pas se tromper dans le diagnostic, explique Constance Delaugerre, professeure de virologie à l’hôpital Saint-Louis à Paris. Aujourd’hui, face à l’urgence, nous sommes prêts à suivre d’autres stratégies. La pression est forte pour avancer. On doit faire tout en même temps : soigner les gens, prendre des décisions stratégiques et faire de la recherche. Mais la recherche n’avance pas au même rythme que le temps médiatique et politique. »
« On a perdu du temps dans l’organisation, on a embouteillé le système de santé, poursuit la virologue. À mon avis, les laboratoires privés devraient se recentrer sur ce qu’ils savent faire : tester les malades. D’autres acteurs devraient s’occuper du dépistage de masse, surtout des populations les plus à risque : les professionnels de santé, les facultés de médecine, les Ehpad. Dans les Ehpad surtout, c’est une urgence. »
L’épidémiologiste Dominique Costagliola, directrice de recherche à l’institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique, abonde : « Il faut probablement mettre en place deux systèmes différents : un pour le diagnostic des personnes symptomatiques et contacts, un autre plus large, auprès des populations à risque, adapté aux réalités locales, à construire avec les acteurs de terrain, les usagers de terrain. » Et elle enfonce le clou : « L’urgence, c’est les Ehpad. »
Le test nasopharyngé par PCR, le plus sensible
« À nos yeux, ce test reste la référence », dit la virologue Constance Delaugerre. Le prélèvement en fond de gorge est ensuite analysé par une technique de PCR (polymerase chain reaction, ou réaction de polymérisation en chaîne), qui amplifie le matériel génétique du virus, s’il est présent.
C’est une technique classique en biologie médicale, parfaitement maîtrisée. Elle est sensible, ce qui signifie qu’elle repère, dans environ 90 % des cas, l’ARN du virus, et produit donc peu de faux négatifs. Elle est aussi spécifique, c’est-à-dire qu’elle ne confond pas le virus avec autre chose : elle ne produit pas de faux positifs.
La technique PCR est-elle trop sensible ?
La question, très technique, n’est plus une affaire de spécialistes. Sur les réseaux sociaux circule l’idée que la technique PCR repèrerait du virus en très faible quantité, chez des personnes qui ne sont plus contagieuses, et gonflerait artificiellement les chiffres de l’épidémie.
Le professeur de virologie Bruno Lina s’est déjà exprimé dans nos pages (lire notre article ici) : « On cherche à multiplier la présence du virus. On parle de cycles d’amplification. Pour trouver du virus, on fait jusqu’à 50 cycles. Le nombre de cycles à partir duquel on trouve du virus est important : si on en trouve à partir de 20 cycles, il y a beaucoup de virus ; si on en fait 50, il y en a peu. Mais il n’y a pas de faux positifs : quand il y a peu de virus, cela veut dire que la personne est à la fin de son infection, mais aussi qu’elle peut être au tout début, et devenir contagieuse dans les jours suivants. »
La communauté scientifique des virologues réfléchit actuellement à abaisser le nombre de cycles. Le directeur général de la santé Jérôme Salomon a saisi la Société française de microbiologie et le Centre national de référence sur le sujet.
« Il faudrait déterminer s’il y a un lien entre la quantité de charge virale et sa contagiosité. On suppose qu’il y a un lien, mais ce n’est pas certain. Et c’est très difficile à prouver », explique Constance Delaugerre.
La virologue reconnaît cependant que, pour réussir à réaliser du dépistage à large échelle, « il faut accepter une moindre sensibilité. Mais il faut une bonne spécificité, c’est-à-dire pas trop de faux positifs, sinon on ne sait plus où on va ».
Les tests antigéniques
Ils ont été autorisés la semaine dernière, par décret. Le prélèvement se fait toujours par l’écouvillon enfoncé au fond de la gorge. Mais la technique d’analyse est différente : le test recherche une protéine présente dans le virus. Elle est surtout très rapide : le prélèvement est déposé sur une bandelette, qui donne un résultat en 30 minutes.
Le ministre de la santé a annoncé que la France avait d’ores et déjà acheté 5 millions de ces tests. Ils ne seront pas accessibles dans les laboratoires, mais réservés, au moins dans un premier temps, à des opérations de dépistage pilotées par les agences régionales de santé, avec un objectif de recherche.
La première de ces opérations de dépistage a concerné la faculté de médecine de l’université Paris-Sorbonne. Un cluster a été identifié parmi les étudiants de 2e année de médecine, qui s’apprêtaient à partir en stage infirmier dans des services hospitaliers ou des Ehpad. Une première campagne de tests a concerné ces étudiants, entre 400 et 500, qui ont tous subi un test nasopharyngé par PCR : 13,5 % se sont révélés positifs. « On a réagi très rapidement, car ces étudiants allaient être en contact avec des patients fragiles », explique le doyen de la faculté, Bruno Riou.
La décision a également été prise de tester les 3e et 4e années, soit 2000 étudiants. « Mais les laboratoires nous ont indiqué qu’il leur était impossible de réaliser autant de tests dans des délais rapides. Or, il y avait urgence, car ces étudiants rentraient eux aussi en stage, auprès des malades. Nous avons donc fait le choix des tests antigéniques. Nos virologues nous ont expliqué que ces tests pouvaient repérer la plupart des personnes avec une charge virale élevée. Ce n’est pas parfait, mais c’était le meilleur choix possible. »
La campagne a été menée entre le 17 et le 19 septembre, et ses résultats ont rassuré le doyen : « On savait que ce groupe était moins à risque, car leur comportement est moins à risque. Seul 1,2 % des tests se sont révélés positifs. On estime qu’un test PCR classique aurait donné un taux de positifs de 2,4 %. »
« Ces tests ont une sensibilité de plus de 90 % dans les premiers jours, ensuite on perd, explique Constance Delaugerre. On pense qu’ils repèrent les gens les plus contagieux. Leur spécificité est également de 90 % : il y a des faux positifs, mais en nombre limité. Ils sont probablement intéressants dans une stratégie de dépistage de masse. On est en train de tester toutes les facultés, tout en faisant de la recherche. Il faut vérifier, avec un test PCR classique, si les positifs sont bien positifs. Il faut aussi évaluer la part des asymptomatiques parmi les positifs. »
Les tests salivaires
Ces tests passent aussi par une analyse PCR, plus longue, mais le prélèvement est cette fois bien plus simple : c’est un simple crachat.
Les résultats préliminaires d’une étude réalisée en Guyane ont circulé entre les virologues : « Le test est performant sur les personnes symptomatiques, mais chez les asymptomatiques, les résultats ne sont pas bons. »
Les études se poursuivent cependant, Constance Delaugerre participe à une étude de l’AP-HP sur les tests salivaires sur des personnes sans symptômes.
La prudence de la Haute autorité de santé
Quand un nouveau produit de santé est autorisé, la Haute autorité de santé (HAS) rend un avis sur ses indications, à partir de la littérature disponible. La HAS a rendu son avis sur les tests salivaires la semaine dernière, et sur les tests antigéniques hier, vendredi 25 septembre. Dans les deux cas, elle insiste sur le faible nombre d’études, en particulier sur les malades sans symptômes, susceptibles d’avoir une moindre charge virale, donc moins facilement détectable.
La HAS recommande l’utilisation de ces deux tests sur des patients avec des symptômes. Cet avis est à rebours des premières utilisations de ces tests, en dépistage massif de populations sans symptômes, mais à risque, comme les étudiants de la faculté de médecine Sorbonne universités. L’Université de Liège, en Belgique (lire notre reportage ici), va tester tous ses étudiants, régulièrement, avec des tests salivaires. « C’est de la recherche opérationnelle. Si elle est encadrée, c’est très intéressant », estime Constance Delaugerre. L’épidémiologiste Catherine Hill (lire ci-dessous) juge que la situation sanitaire exige de « sortir du cadre ».
Caroline Coq-Chodorge
• MEDIAPART. 26 septembre 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/260920/depistage-du-covid-une-strategie-reconstruire-avec-de-nouveaux-tests
Entretien : « Il faut que les tests aillent aux gens, pas l’inverse »
Tout l’été, la France a laissé le SARS-CoV-2 se propager. Fin octobre, il y aura autant de malades en réanimation qu’au pic de l’épidémie, prévient l’épidémiologiste et biostatisticienne Catherine Hill. Avec un système de dépistage performant, il serait pourtant possible de contrôler le virus.
Epidémiologiste et biostatisticienne, Catherine Hill a longtemps travaillé à l’institut Gustave-Roussy, le grand centre de lutte contre le cancer d’Île-de-France. Elle n’est pas médecin, mais elle a étudié l’épidémiologie du cancer, notamment le lien entre le cancer et l’exposition au tabac ou aux radiations nucléaires. Elle a aussi aidé la pneumologue Irène Frachon, encore très isolée, à faire émerger le scandale du Mediator en mettant en évidence la surmortalité associée à la prise de ce médicament. Elle a fait le même travail pour la Dépakine, l’anti-épileptique de Sanofi. Aujourd’hui à la retraite, elle suit au jour le jour l’évolution du Covid-19. Elle trace des courbes, lit la littérature scientifique, en fait une analyse qu’elle souhaite rendre accessible au grand public.
Caroline Coq-Chodorge : Pourquoi ce virus est-il si difficile à comprendre et à contrôler ?
Catherine Hill : On est face à un virus nouveau, dont on ne savait rien il y a six mois, mais énormément d’informations ont été accumulées depuis. Il faut une vision globale et ne pas se perdre dans les détails. Quand je travaillais sur le tabac, les industriels nous disaient : on ne connaît pas la dose à partir de laquelle le tabac est nocif ! C’était bien sûr un détail, ils cherchaient à nous égarer. Ce qui compte dans le cas du tabac, c’est que le risque augmente avec la dose.
Pour le SARS-Cov-2, nous savons que la plupart des contaminations par des personnes qui développent des symptômes se font dans les 4 jours avant l’apparition des symptômes, et dans les 6 jours à partir des premiers symptômes. Il faut donc tester et isoler très vite les porteurs de virus, si possible avant les symptômes et chercher largement leurs cas contacts. Mais nous savons aussi que la moitié des contaminations viennent de personnes qui sont infectieuses et n’ont pas de symptômes, c’est toute la difficulté : pour trouver ces personnes, il faut un dépistage systématique dans la population générale. Si on se limite aux symptomatiques, l’épidémie se poursuit. Des chercheurs ont estimé qu’entre mi-mai et fin juin on est passé à côté de 9 cas sur 10. Aujourd’hui, on teste plus et j’estime qu’on passe à côté de 4 cas sur 5.
Le nombre de reproduction de base, au début de l’épidémie, est de 3 : une personne en contamine en moyenne trois autres. Cela signifie que l’immunité de groupe ne sera atteinte que lorsque les deux tiers de la population auront contracté le virus, on en est encore très loin.
Ce virus n’est pas si grave. Il y a un mort pour 200 personnes infectées. Mais si on atteint l’immunité collective, c’est-à-dire si 67 % de la population est infectée, ce qui représente 45 millions de personnes en France, on peut s’attendre à 220 000 morts. C’est bien sûr inacceptable.
Quelle est votre analyse de l’épidémie en France ?
En France, nous ne connaissons pas le niveau de l’épidémie. Les autorités communiquent beaucoup sur l’incidence – c’est-à-dire le nombre de tests positifs pour 100 000 habitants. Cet indicateur est faux : il ne reflète pas la situation épidémique, mais nos capacités de dépistage, qui ne sont pas bonnes. Aujourd’hui, vu la longueur des queues, on peut supposer que les jeunes ont plus d’énergie que les personnes âgées ou les malades pour se faire dépister. Mais on voit tout de même augmenter le taux de positivité des tests chez les personnes âgées. Ce n’est pas bon du tout.
On pourrait s’y prendre autrement pour estimer l’épidémie. Depuis le 1er mai, à intervalles plus ou moins réguliers, des échantillons représentatifs d’Anglais ont été interrogés sur leurs symptômes et ont réalisé eux-mêmes un prélèvement nasopharyngé pour un test PCR. Près de 600 000 personnes ont déjà participé. Les Anglais peuvent ainsi suivre l’évolution de l’épidémie. Ce travail révèle que 72 % des personnes ayant un test positif n’avaient aucun symptôme au moment du prélèvement, ni dans la semaine précédente. En France, nous n’avons pas fait ce travail, nous ne connaissons pas l’épidémie.
Les chiffres les plus fiables en France sont donc le nombre de personnes hospitalisées chaque jour et le nombre de personnes admises en réanimation chaque jour. Je suis la courbe des nouvelles admissions en réanimation, lissée pour enlever les irrégularités dues aux week-ends et jours fériés, et tracée sur une échelle verticale logarithmique, parce qu’avec cette échelle une progression exponentielle apparaît sous la forme d’une ligne droite. Je suis assez sûre de pouvoir prolonger la droite des admissions en réanimation récentes sur 4, voire 6 semaines, parce que les admissions d’aujourd’hui sont les conséquences des contaminations d’il y a trois ou quatre semaines.
© Catherine Hill © Catherine Hill
Le nombre des admissions va donc continuer à augmenter, au moins quelque temps. Le 1er novembre, nous aurons probablement un nombre journalier d’admissions en réanimation comparable au mois d’avril, au pic de l’épidémie. La situation sera cependant différente, car ces malades graves seront répartis sur tout le territoire. Mais cela mettra de nouveau le système hospitalier dans une énorme tension.
« On rate une énorme partie de la contagiosité »
Les files d’attente s’allongent devant les laboratoires, comme les délais des résultats. Notre stratégie de dépistage a-t-elle encore une quelconque efficacité ?
En France, il y a un délai de 3 jours, en moyenne, entre les symptômes et la pratique du test, selon les données de Santé publique France. Mais on ne connaît pas le délai de rendu du résultat, Santé publique France indique simplement qu’il peut aller au-delà de 7 jours.
On rate une énorme partie de la contagiosité. J’estime que nous ne dépistons qu’un cas positif sur cinq. Santé publique France constate qu’environ 4 cas identifiés sur 5 n’ont aucun lien avec des cas connus. Le personnel des agences régionales de santé s’épuise à remonter des chaînes de contamination, qui ne concernent qu’une faible partie de la circulation du virus.
Le résultat d’un test qui arrive plus de 48 heures après le prélèvement ne sert à rien. Si la personne était positive, elle l’apprend alors qu’elle a déjà contaminé largement autour d’elle, et souvent, alors qu’elle n’est plus contagieuse, si elle était négative, elle a pu se contaminer depuis. Les laboratoires doivent cesser de perdre du temps à analyser le stock de tests en retard, et l’assurance-maladie ne doit pas les rembourser. Il faut que le gouvernement assume ses erreurs sur le dépistage aujourd’hui, comme sur les masques en février.
Le million de tests, c’est de la communication. Personne n’a pensé à l’efficacité du dispositif de dépistage. Quelle est sa finalité ? Il y en a deux : le diagnostic des personnes symptomatiques et de leurs contacts ; et un dépistage plus large de surveillance des populations à risque ou fragiles. Par exemple dans les Ehpad, les hôpitaux, les services d’aide à la personne, le personnel et les patients devraient être dépistés au moins une fois par semaine, c’est criminel de ne pas le faire. Il faut que les tests aillent aux gens, pas que les gens aillent aux tests.
De nouveaux tests salivaires ou antigéniques sont en train d’être autorisés en France. Mais leur sensibilité est discutée.
Aucun test n’est absolument fiable. La sensibilité des tests est à mettre en balance avec leur disponibilité, leur coût, la simplicité et la rapidité de leur mise en œuvre et leur faisabilité en grand nombre. Et le meilleur test pour le diagnostic chez les patients symptomatiques n’est pas nécessairement le meilleur test pour un dépistage de masse.
Il faut déployer tous les outils dont nous disposons : les tests antigéniques, dont le résultat est rendu en 30 minutes, les tests salivaires, qui facilitent le prélèvement, les tests groupés de 10, 50 ou 100 prélèvements, pour accélérer l’analyse et économiser des réactifs en pénurie.
J’ai été contactée par des mathématiciens qui réfléchissent à des modèles mathématiques pour les tests groupés, et par des ingénieurs qui travaillent sur le suivi de l’épidémie dans les eaux usées. Ces personnes m’ont contactée, parce qu’ils n’arrivaient pas à se faire entendre.
Pourquoi la stratégie du gouvernement échoue-t-elle à ce point ?
Le conseil scientifique a écrit dans un de ses avis que « l’avenir de l’épidémie à court terme est entre les mains des citoyens ». Je pense que l’épidémie est largement entre les mains du gouvernement, dont la politique ne semble pas tenir compte de la dynamique de ce virus. Ne voit-il pas que quelque chose ne va pas ?
Penser que l’économie et la santé publique sont antinomiques est une erreur. On avait tout intérêt, économiquement, à contrôler l’épidémie. On ne l’a pas fait. Pour préserver notre tourisme cet été, on a laissé le virus se répandre partout. Et nous sommes devenus un pays où personne ne veut plus venir ! Le gouvernement pense à très court terme.
Les masques, l’idée d’une bulle sociale, l’interdiction des rassemblements : ce sont des mesures préventives, palliatives. Le curatif, c’est le dépistage. Dès le 15 mars, il fallait travailler sur un dispositif de dépistage qui identifie très vite les personnes contagieuses, afin de les isoler.
Il y a aujourd’hui de nombreux pays qui n’ont plus aucun cas de Covid-19. Quand quelques cas réapparaissent, ils reconfinent pour un temps court, et testent massivement pour éteindre l’épidémie. Cette stratégie est possible en France.
Le monde médical et scientifique n’est pas non plus exempt de critique. On subit une véritable cacophonie !
C’est normal qu’on ne soit pas d’accord. La cacophonie, c’est la vie.
Je suis une des « méthodologistes » dont Didier Raoult se moque. Quand j’étais à l’institut Gustave-Roussy, j’aidais les cliniciens à rédiger les protocoles des essais cliniques. Quels sont les critères principaux d’un essai ? Quelle est la population qu’on inclut ? Quand est-ce qu’on arrête un essai ? Didier Raoult nous oppose son pifomètre qu’il qualifie de brillant.
La science doit se contenter de dire les faits, d’une manière accessible, et ne pas se soucier de l’acceptabilité des mesures qui en découlent. Sur la base de ces faits, la société, les politiques vont se positionner. Qu’il y ait des anthropologues ou des sociologues dans le conseil scientifique perturbe beaucoup les choses. Cette confusion est toxique.
Une autre difficulté est que les scientifiques sont tous très spécialisés. Les spécialistes des tests cherchent les tests parfaits. Les modélisateurs des épidémies ont du mal à partager leurs analyses, très brillantes, mais peu accessibles. Il faut synthétiser l’état des connaissances scientifiques, savoir communiquer et concevoir des solutions opérationnelles. Pour y arriver, il faut sortir du cadre. Mais la bureaucratie nous étouffe : le Haut Conseil de la santé publique, la Haute Autorité de santé, les agences régionales de santé, tout le monde est terrifié.
• MEDIAPART. 26 septembre 2020 :
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