Le 7 septembre, le procès des inculpés, s’est ouvert à Hanoi. Il devait durer une dizaine de jours et promettait d’être long et fastidieux. En fait, il fut bouclé (bâclé ?) en 5 jours.
La sécurité des bâtiments a été maximum, l’accès restreint autour du tribunal populaire de Hanoï. La police a érigé des barrières empêchant les membres de la famille des accusés et les simples citoyens de s’approcher.
Les avocats ne purent pas entrer en contact direct avec les accusés.
Ils déposèrent alors une protestation urgente auprès du tribunal, exigeant que celui-ci respecte le droit de la défense à avoir un contact direct avec leurs clients.
Le président du procès (Truong Viet Toan) avait publiquement annoncé « puisque les avocats ont eu le temps de travailler sur les dossiers, ont eu le temps de rencontrer les accusés en prison, maintenant ce n’est plus nécessaire pour les accusés et leurs avocats d’avoir d’autres contacts durant le procès. »(1) Les avocats auront quand même gain de cause le lendemain.
Une pétition de 13 avocats, 4 jours avant le procès, adressée au président et au procureur en chef du parquet populaire de Hanoi attirait l’attention sur de nombreux détails incorrects et faux dans l’acte d’accusation, y compris des informations déformées et des déclarations en contradiction avec les nombreuses versions de l’événement publiées par le Ministère de la sécurité publique.
Onze ONG avaient alerté la présidente du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies pour l’inviter à exiger des autorités vietnamiennes un « procès équitable ».(2)
L’accusation présente Lê Dinh Kinh comme un « terroriste » et retient la « préméditation » dans les agissements des accusés.
Les avocats ont protesté à propos d’une vidéo présentée comme une « preuve », alors qu’il ne s’agissait que d’un montage favorable aux thèses de l’accusation se concluant sur les familles de policiers en pleurs. Ils exigent des preuves et non des interprétations. Leur requête est rejetée.
D’autres vidéos dans lesquelles certains accusés faisaient des « aveux » n’étaient pas mentionnées dans les dossiers ni même portées à la connaissance des avocats.
Les accusés ont-ils été torturés pendant l’enquête ?
L’avocat Dang Dinh Minh a raconté qu’à la fin du deuxième jour du procès, il s’est tourné vers la rangée des accusés et a demandé aux 29 : « Ceux qui ont été torturés pendant l’enquête, ne font rien ; ceux qui n’ont pas été torturés pendant l’enquête, veuillez lever la main ». Dix ont levé la main, 19 non ». (3)
En limitant la durée du procès à la moitié de ce qu’il devait être, les débats ont été faussés affirment les avocats.
– Il n’a pas été possible de se pencher davantage sur le statut juridique de la parcelle de 59 hectares à la source du conflit.
– - Quel est le cadre juridique du déploiement de force dans la nuit du 8 au 9 janvier 2020 à Dong Tâm ? Qui a décidé de l’ampleur de cette intervention ?
– Une nouvelle enquête médico-légale à propos de la mort des trois policiers est demandée, celle des enquêteurs n’étant pas convaincante.
– Les circonstances entourant la mort de Lê Dinh Kinh doivent être clarifiées.
– Il est demandé au tribunal de mener une procédure pénale pour meurtre selon la requête déposée par Mme Du Thi Thanh (épouse de Lê Dinh Kinh).
– Cette dernière n’a pas été autorisée à comparaitre comme témoin.
– Les avocats ont demandé une reconstitution de la mort des trois policiers pour tenter de savoir ce qui c’est vraiment passé. Refus. L’avocat des policiers affirmant qu’une telle reconstitution « réveillerait la douleur des familles et les ferait à nouveau souffrir ».(4)
– De même qu’il n’a pas été possible de prendre connaissance du « plan 419A de la police de la ville de Hanoi concernant le maintien de l’ordre et de la sécurité autour de la commune de Dong Tam ». Les avocats des accusés sont dubitatifs sur la légalité de l‘assaut. L’avocat des policiers a déclaré que ces plans étaient des « documents top-secrets » et que les avocats de la défense « n’avaient pas le droit d’exiger (leur publication) ».
– Enfin un avocat des prévenus a souligné que le président du tribunal cherchait à savoir si les accusés avaient fait parti du « Groupe de consensus » : un groupe formé par les agriculteurs et dirigé par M. Le Dinh Kinh pour régler le différend foncier avec le gouvernement. L’acte d’accusation ne criminalisant pas la création du groupe, le fait de chercher à savoir si les inculpés en faisaient partie ou non pour évaluer les autres crimes présumés constitue une violation de l’article 25 de la Constitution vietnamienne. Selon l’article 25, « Les citoyens ont droit à la liberté d’expression, de presse, d’information, de réunion, d’association et de protestation. L’exercice de ces droits est réglementé par la loi ». « En conséquence, participer ou non au groupe de consensus est un droit du citoyen, et personne ne peut utiliser un droit garanti par la Constitution comme base de la criminalisation », a déclaré l’avocat Nguyen Van Mieng.
Enfin tout au long du procès des avocats ont été malmenés par les forces de police : bousculés, poussés brutalement vers la sortie. Un des avocats s’est vu confisquer une clef USB avant de pouvoir copier son contenu. Enfin certains ont été ouvertement suivis dans la rue par des « individus » à moto.
Le verdict est tombé le 14 janvier. Les deux fils du doyen abattu, Lê Dinh Chuc et Lê Dinh Cong sont condamnés à mort, le fils de ce dernier, Lê Dinh Doan, est condamné à la prison à perpétuité.
Bui Viet Hieu, qui était présent quand M. Lê a été abattu a été condamné à 16 ans de prison.
Les médias officiels se sont appesantis sur les « accusés [qui] ont sincèrement dénoncé leurs crimes et sont conscients de leurs violations de la loi et s’attendent à bénéficier de la clémence de la loi. Sur cette base, le Tribunal a décidé d’atténuer leurs peines ».(5)
Certains condamnés ont à faire appel.
Condamner les gens ne suffit pas à certains, il faut encore les salir, le général Tô Ân Xô , porte parole du ministère de la police a déclaré « Lê Đình Kình appartient à l’espèce des nouveaux propriétaires terriens tyranniques ».
Sa veuve Mme Du Thi Thanh a porté plainte contre le militaire. Dans une interview, en mai dernier, elle expliquait combien son « mari a été fidèle au parti jusqu’à sa mort » et a fait passer le bien collectif avant sa propre famille. Sa fille d’ajouter : « Mon père faisait totalement confiance au Parti communiste et il croyait au secrétaire général du Parti communiste, Nguyen Phu Trong. Je l’ai mis en garde et lui ai dit : « Père, de nos jours, de nombreux fonctionnaires sont devenus corrompus. » Mais mon père m’a grondée et dit que les fonctionnaires corrompus n’étaient qu’un petit groupe et que c’étaient les fonctionnaires inférieurs qui couvraient leurs fautes et dénigraient le Parti ».(6)
Le soir du verdict, les habitants du village, en masse, se sont réunis sur la tombe de leur doyen pour, selon la coutume, bruler des bâtonnets d’encens.
L’affaire de Dong Tâm est loin d’être close.
Dominique Foulon
1/ www.thevietnamese.org Dong Tam Trial – Day 1
2/ www.vietnamhumanrightsdefenders.net
3/ www.thevietnamese.org Dong Tam Trial – Day 3
4/ Le refus de la reconstitution et de nouvelles autopsies renforcent les rumeurs, comme celle, insistante, qui veut que les policiers aient été abattus par erreur par leurs collègues durant l’assaut. Les corps ayant été ensuite brulés pour effacer toute trace de bavure.
5/ www.vietnamplus.vn/affaire-de-dong-tam 22 septembre.
6/ Interview publié en mai dans Luat Khoa Magazine. Repris en anglais par thevietnamese.org. La page Facebook Carnets du Viêt Nam en propose une traduction en date du 11 septembre.