Les années cinquante sont une période difficile pour les mouvements trotskystes en Amérique Latine : c’est une époque de crise, de division, parfois de marginalisation (la « traversée du désert ») ; mais c’est aussi, au moins dans certains pays, une période de participation dans des grandes luttes ouvrières et populaires et parfois même dans des mouvements révolutionnaires de masse.
C’est aussi l’âge d’or du populisme, c’est-à-dire : des régimes bonapartistes , comme ceux de Peron (l944 - l955), Vargas (l95O-54), Paz Estenssoro en Bolivie (l952 - 56) ou Jacobo Arbenz au Guatemala (l951-54), qui s’appuient sur des mobilisations populaires pour réaliser certaines réformes et promouvoir un développement industriel national.
Quelques-uns des plus importants mouvements sociaux de cette époque étaient dirigés par des forces de type populiste : c’est le cas notamment du mouvement syndical péroniste en Argentine et de la révolution bolivienne de l952, hégémonisée par le MNR. Au Brésil, les bureaucrates syndicaux fidèles à Getulio Vargas (organisés dans le PTB, Parti Travailliste Brésilien) se disputaient le contrôle du mouvement ouvrier avec le Parti Communiste. Ce n’est qu’au Chili (et dans une certaine mesure l’Uruguay) que des partis ouvriers (socialistes et communistes) avaient la direction du dans le mouvement ouvrier et syndical. La politique de partis staliniens - présents dans tous les pays du continent mais fortement implantée au Chili, au Brésil, en Uruguay et au Guatemala - va évoluer considérablement au cours de cette décade : après une période sectaire (les années de la guerre froide), le 2O Congrès du PCUS (l956) ouvre une époque de crise, suivi dans plusieurs cas d’une dérive droitière.
C’est dans ce contexte politique que vont évoluer les organisations se réclamant du trotskisme, essayant de s’insérer dans les syndicats populistes ou de pratiquer l’entrisme dans les partis communistes et socialistes. La connaissance de l’histoire de ces organisations à cette époque n’est pas aisée : souvent les faits les plus élémentaires sont couverts par une épaisse couche de polémiques fractionnelles locales et/ou internationales. En outre, il n’existe pas d’histoire « crédible » du trotskisme latino-américain. On peut trouver un certain nombre de travaux sur tel ou tel pays (Argentine,Bolivie et Brésil par exemple) mais le seul ouvrage de poids sur le mouvement à l’échelle de tout le continent est le livre d’un universitaire nord-américain, Robert J. Alexander Trotskysm in Latin America, publiée par la Hoover Institution de Stanford - une fondation en honneur de l’ancien chef du FBI, spécialisée dans la lutte contre le communisme... Le livre est une mine de renseignements (grâce notamment à des entretiens de l’auteur avec des anciens dirigeants trotskystes latino-américains), mais manque d’un minimum de structure analytique ou cadre de référence ; en outre, la totale extériorité de l’auteur (social-démocrate bon teint) au sujet l’empêche souvent de comprendre les enjeux politiques des débats.
Il existe aussi un excellent dossier sur les années 3O, organisé par Pierre Broué pour le n° 11 des Cahiers Léon Trotsky (1982), mais il ne va pas au-delà de l’année 194O. Enfin, un ancien élève de Broué, l’historien argentin Osvaldo Coggiola, a publié au Brésil un petit ouvrage (O trotskismo na America Latina, S.Paulo, Brasiliense, 1984) qui est utile, mais trop bref et trop unilatéral (surtout pour les années postérieures à la scission de 1953).
Pendant les années cinquante, les organisations trotskystes ont une influence réelle surtout en Argentine, en Bolivie et au Chili , mais des partis, groupes ou noyaux plus ou moins importants existent aussi au Brésil, Uruguay, Pérou, Mexique et Cuba. On trouve aussi référence à des noyaux en Colombie, Equateur et El Salvador, mais il existe peu d’informations à leur sujet. Dans la plupart de ces pays, le mouvement est divisé en groupes et fractions antagonistes, qui s’organisent, à partir de la scission de l’Internationale elle-même, en deux blocs : le Bureau latino-américain (BLA), affilié au Secrétariat international et le Secrétariat latino-américain du Trotskisme orthodoxe (SLATO), affilié au Comité International. En général, ces groupes sont assez réduits - moins d’une centaine de militants - mais le dévouement de leurs activistes et la radicalité de leurs positions, inspirées par la théorie de la révolution permanente et le programme de transition, leur assure un écho bien plus large que leur force organisée. En butte à la répression policière et militaire et à l’hostilité implacable des staliniens, ils arrivent difficilement à sortir de leur isolement . Il est vrai aussi que leurs pratiques sont souvent sectaires ou fractionnelles, et leurs analyses trop optimistes (sinon triomphalistes) ou trop calquées sur les textes « classiques » de Trotsky et sur le modèle de la Révolution Russe.
Le mouvement en Argentine est constitué essentiellement par deux courants, dont les organisations vont souvent changer de nom, et qu’il faut donc désigner par le nom de leurs dirigeants (qui exercent un véritable leadership charismatique) : Nahuel Moreno (pseudonyme de Hugo Bressano) et J. Posadas (pseudonyme de Homero Cristalli). Au cours des années 4O, les deux courants se distinguent clairement par leur attitude envers le péronisme : tandis que le POR (Partido Obrero Revolucionario) de Moreno dénonce le gouvernement péroniste comme ayant « des caractéristiques fascistes ou semi-fascistes », le GCI (Grupo Cuarta Internacional) de Posadas le définit comme « cas-type de gouvernement nationaliste d’une semi-colonie ». Posadas et ses camarades, qui prônent, en Argentine et dans d’autres pays, la formation d’un parti ouvrier basé sur les syndicats, vont prendre, au cours des années 5O, la direction du bureau latino-américain de l’Internationale, dont le principal animateur sera le militant uruguayen « Ortiz » (Alberto Sendic). Ce Bureau, le BLA, crée en 1948, en accord avec le Secrétariat international, lors d’une conférence latino-américaine à Buenos Aires, sera formellement institué par le IIIe Congrès Mondial de 1951 (il deviendra, dix années plus tard, la base principale de la scission « posadiste » de l’Internationale).
Le III Congrès est le point de départ d’un intérêt croissant de l’Internationale pour les révolutions du tiers-monde - ce qu’on appelait, dans la terminologie de l’époque, « la révolution coloniale » - et en particulier pour l’Amérique Latine, qui fera l’objet, pour la première fois, d’une résolution spécifique. Au cours des années 5O, la réflexion de l’Internationale sur les mouvements populaires latino-américains est étroitement liée à son analyse de la « révolution coloniale », c’est-à-dire de la guerre d’Indochine, de la montée du nassérisme, du Pacte de Bandoeng et de la guerre d’Algérie. C’est aussi lors du Congrès de 1951 qu’il a été décidé de reconnaître le groupe de Posadas comme section argentine de la Quatrième Internationale, à la fois pour son sérieux organisationnel et pour son analyse politique, jugée plus correcte [1]. Il faut rappeler qu’à cette époque Posadas n’avait pas encore commencé son extravagante et tragi-comique dérive politique, et que son équipe argentine comptait plusieurs dirigeants syndicaux connus (Roberto Muniz, José Lungarzo, Oscar Fernandez) ainsi qu’une brillante pléiade de cadres, parmi lesquels on peut citer Adolfo Gilly, Alberto Pla, Guillermo Almeyra et Angel Fanjull - ainsi que les uruguayens Alberto Sendic et Gabriel Labat. Par ailleurs, le POR de Moreno a accepté la reconnaissance du GCI comme section (demandant seulement qu’il change de nom) et a fait son auto-critique publique pour avoir refusé le mot d’ordre de Front unique anti-impérialiste [2]. C’est le début d’une ré-orientation politique de Moreno et ses amis, qui les conduit en 1954 à se joindre à un parti péroniste de gauche (Partido Socialista de la Revolucion Nacional) et même, en 1956, à publier leur journal Palabra Obrera en tant que organe « sous la discipline du général Péron et du Conseil Supérieur Péroniste » ! Au cours des années 5O, les deux groupes ont acquis une base syndicale non-négligeable, et leurs positions sur le péronisme se sont beaucoup rapprochées - sans que cela diminue en rien leur rivalité et hostilité réciproques...
La Bolivie est de loin le pays où le trotskisme avait la plus grande influence, notamment dans le puissant syndicat des travailleurs des mines (FSTMB), qui avait approuvé, lors de son Congrès de 1946 à Pulacayo, un ensemble de thèses (rédigées par un dirigeant du POR bolivien, Guillermo Lora) qui reprennent, en les adaptant au contexte du pays, les idées centrales du programme de transition. Cependant, contrairement aux groupes argentins, le POR bolivien restait un réseau de militants plutôt qu’une organisation d’avant-garde structurée et organique.
Lors de la révolution du 9 avril 1952 - ouvrière par sa base sociale, avec des aspirations nationalistes et démocratiques radicales - le POR bolivien soutient critiquement le MNR (Mouvement Nationaliste Révolutionnaire) de Paz Estenssoro et Juan Lechin, et gagne, pendant quelques mois, une position hégémonique à la tête de la nouvelle Centrale ouvrière bolivienne. En septembre 1952, la direction de la COB adopte une plate-forme rédigée par le dirigeant du POR Hugo Gonzalez Moscoso, qui propose la constitution, par les syndicats, d’une assemblée des travailleurs, en tant que structure de double pouvoir visant à un gouvernement ouvrier et paysan. Sous la pression des bases populaires, Paz Estenssoro est obligé d’exproprier les mines d’étain, de purger l’armée, et de décréter une réforme agraire. Cependant, il ne peut tolérer la menace que représente une COB indépendante, fortement influencé par les thèses trotskistes de la révolution permanente : au cours des derniers mois de 1952, le MNR, à travers son aile gauche (le syndicaliste Juan Lechin), mène une offensive contre le POR et reprend, avec le soutien des staliniens, le contrôle de la Centrale ouvrière.
Au cours des années suivantes (1953-56) le POR va connaître une grave crise, qui aura pour résultat sa division et un affaiblissement considérable. Les circonstances précises de cette crise ne sont pas faciles à établir. La principale source sur l’époque sont les livres de Guillermo Lora, fort documentés, mais assez déformés par l’esprit fractionnel et dépourvus d’un minimum d’objectivité [3]. Essayons de résumer brièvement les principales étapes de cette crise.
En juin 1953, le Xe Congrès du POR approvue des Thèses proposées par Guillermo Lora, avec l’orientation suivante : « Loin de lancer le mot d’ordre de renversement du régime Paz Estenssoro, nous le soutenons afin qu’il résiste à l’offensive de la Rosca [4], et nous appelons le prolétariat international à défendre inconditionnellement la révolution bolivienne et son gouvernement transitoire. (...) Ce n’est pas une tâche immédiate que de crier ’A bas le gouvernement’, mais d’exiger de lui qu’il réalise les revendications fondamentales de la révolution... ». Par ailleurs, ce document envisage comme possible une prédominance de l’aile gauche dans le MNR : « Ce n’est que dans ces conditions que l’on peut soulever l’éventualité d’un gouvernement de coalition du POR et du MNR qui serait une manière de réalisation de la formule ’gouvernement ouvrier-paysan’, qui,à son tour, constituerait l’étape transitoire vers la dictature du prolétariat » [5].
Suite à ces Thèses, deux fractions se constituent dans le POR : la Fraction Ouvrière Léniniste, dirigée par Lora et le syndicaliste Erwin Moller, et la Fraction Prolétarienne Internationaliste, de Hugo Gonzalez Moscoso et Fernando Bravo, qui rejette cette orientation et propose une ligne de rupture avec le MNR et de formation d’un double pouvoir à partir de la COB. En l954, une partie de la FOL (sans Lora) dirigée par Erwin Moller, décide de rompre avec le POR pour adhérer au MNR. Contrairement aux espoirs des trotskystes, ce n’est pas le POR qui va attirer vers lui Lechin et la gauche du MNR, mais au contraire, c’est celle-ci qui va scissionner le POR. La tendance de Hugo Gonzalez Moscoso devient majoritaire et obtient le soutien du Secrétariat International, mais Lora n’accepte pas sa défaite et après quelques hésitations, scissionne et constitue son propre POR autour du journal Masas, Affaibli par ces départs et par les luttes fractionnelles, le POR n’obtiendra, lors des élections de 1956, que 2.239 votes...
Quelques mois avant le IVe Congrès Mondial, en décembre l953, se réunit une conférence des sections latino-américaines de la Quatrième Internationale, convoquée par le BLA, qui se déclare solidaire du SI et de son orientation politique. Les documents de cette conférence donnent très peu d’indications sur les individus ou organisation participantes - sauf pour regretter l’absence, involontaire, de la section bolivienne. C’est Posadas que présente le rapport sur la situation politique, qu’il définit, selon sa méthode habituelle, de façon linéaire : « la conscience politique du prolétariat s’élève continuellement », etc. Les résolutions de la conférence, par contre, sont plus nuancées et conditionnelles, et suggérant une vision dialectique de la construction de l’avant-garde : « Il est impossible de conquérir la direction des masses sans travailler dans leur sein et sans disposer de forces d’avant-garde relativement importantes. Il est impossible de triompher dans l’avant-garde sans réaliser un travail au sein des masses et sans mener une lute théorique et politique contre tous les courants centristes, opportunistes, staliniens, etc. » [6]
En juillet 1954, se réunit le Quatrième Congrès de l’Internationale, avec la participation de onze délégués latino-américains, parmi lesquels Posadas, Oscar Fernandez, Guillermo Lora , Hugo Gonzalez Moscoso, Guillermo Almeyra (alors établi au Brésil), Leoncio Martins Rodriguez (dirigeant du POR brésilien, devenu aujourd’hui un des principaux politologues -non- marxistes - du pays) et Ortiz. L’absence de certaines organisations (comme le parti de Nahuel Moreno) montre que la scission de l’Internationale commençait à avoir des effets en Amérique latine.
Le Manifeste du Congrès mentionne à peine l’Amérique Latine, et la Résolution Politique accorde seulement quelques paragraphes aux pays du continent dans le chapitre « tâches particulières ». Ce document prend nettement position dans le débat bolivien en appelant à une « franche dénonciation » du cours « droitier et même réactionnaire » du gouvernement - tout en nourrissant encore l’illusion d’une possible rupture de l’aile gauche du MNR. Des recommandations plus détaillées aux sections latino-américaines ont été élaborées par une commissions composée des 11 délégués du continent, ainsi que de Pierre Frank et Michel Pablo. Ce texte à destination interne rappelle la nécessité de lutter en Argentine et Uruguay pour un parti ouvrier basés sur les syndicats, et essaye de traduire, dans la réalité politique du continent, la tactique entriste approuvée comme orientation générale par l’Internationale. Cela signifie au Chili l’entrisme dans le Parti Socialiste Populaire, au Brésil dans le Parti Communiste, et au Pérou « un travail entriste partiel au sein de l’APRA ». Les propositions sur la Bolivie sont encore plus dures que celles de la Résolution politique : elles demandent au POR d’accentuer sa critique du gouvernement et de la ’gauche’« et ne nourrissent pas beaucoup d’espoirs sur les différentiations internes au sein du MNR. Il faut constater qu’aucun des documents du 4e Congrès ne considère l’Amérique Latine comme un ensemble avec des caractéristiques communes : il est question tantôt de l’ensemble des pays »coloniaux et semi-coloniaux" , tantôt de certains pays latino-américains envisagés séparément.
Au cours des années 1955-56 la scission du trotskisme en Amérique Latine va s’approfondir. Le BLA de Posadas et Ortiz, affilié au Secrétariat International, organise en mars 1956 en Uruguay (et non au Chili comme il est indiqué dans les textes officiels) la IIIe Conférence latino-américaine , avec la participation de 45 délégués, représentant six pays (Argentine, Bolivie, Chili, Uruguay, Brésil, Pérou). Parmi les délégués, on remarque la présence de José Maria Crispim, un ancien dirigeant et député du Parti Communiste du Brésil, qui avait récemment adhéré à la section brésilienne. Le rapport de Posadas à cette conférence est typique du triomphalisme qui caractérisait la politique du BLA (mais aussi, dans un moindre degré, celle du SI) : « Les luttes révolutionnaires des masses latino-américaines se sont développées à un point tel qu’elles sont irreversibles et s’acheminent vers le pouvoir ouvrier et paysan. » [7] Le groupe de militants argentins et uruguayens autour de Posadas - une équipe homogène et soudée de « révolutionnaires professionnels » entièrement dévoués à la cause - exerce une influence déterminante sur le BLA, et envoie souvent des émissaires et des conseillers auprès des autres sections, pour des séjours allant de quelques mois à plusieurs années.
Quelques mois après, en septembre 1956, les partisans du Comité International se réunissent à leur tour, et fondent, lors d’une réunion en Argentine, le SLATO, Secrétariat latino-américain du Trotskisme Orthodoxe. La principale base de ce courant est le POR argentin de Nahuel Moreno, qui ne dépasse pas (de leur propre aveu) une centaine de militants, mais qui a une influence syndicale croissante dans la CGT péroniste, et qui réunit autour de lui plusieurs cadres de valeur : Milciades Pena, un brillant historien marxiste (auteur d’un livre rémarquable , Masas, Caudillos y Elites, il va se suicider en 1963 à l’âge de 32 ans), Angel Bengoechea, Daniel Pereyra, et Hugo Blanco (qui reviendra au Perou en 1956). Au Chili, le POR est une assez petite organisation (34 membres déclarés), dont le principal dirigeant est Luis Vitale, un remarquable historien marxiste (auteur d’une Histoire marxiste du Chili en 4 volumes). Vitale avait rompu dès 1954 avec le SI et avait crée un comité latino-américain du trotskisme orthodoxe, première étape vers la constitution du SLATO. Ces deux groupes et un autre, plus petit encore, au Pérou, constituent l’essentiel des forces liées au Comité International.
Le document de la conférence latino-américaine de l956 dénonce le « liquidationisme pabliste » et critique sa politique entriste au Chili et au Pérou ; curieusement, il ne fait pas état de divergences au sujet de l’Argentine (les deux groupes rivaux semblent développer des analyses assez similaires sur le péronisme) . Quant à la Bolivie, le SLATO se limite à décrire les différentes fractions du POR, en affirmant que celle de Moscoso « suit le pablisme avec une orientation politique indépendante. En général elle a une position politique plus correcte ». L’analyse de la conjoncture que fait Moreno dans son rapport final est beaucoup plus sobre et réaliste que celle du BLA : « La position de l’impérialisme US s’est renforcé dernièrement comme résultat de la défaite de la révolution guatémaltèque, le renversement du régime de Peron, etc. (...) Tandis qu’en Asie le prolétariat suit une lutte en essor, en Amérique Latine la classe ouvrière recule ». Par ailleurs, le document du SLATO reconnaît, dans un aveu assez révélateur, que le Comité International « n’est actuellement rien de plus qu’une force qui représente un front uni contre le pablisme. Ce front uni doit commencer une discussion sur des questions politiques, de forme à pouvoir formuler une orientation politique précise et homogène ». [8]
En septembre 1957 se réunit le V Congrès Mondial, avec la participation de 14 délégués latino-américains, parmi lesquels Posadas et Oscar Fernandez pour l’Argentine, Fernando Bravo et Jesus Maria Morales du POR bolivien, José Maria Crispim et Gabriel Labat (architecte uruguayen envoyé au Brésil par le BLA) pour le POR brésilien, Jorge Mac Ginty et Raoul Santander pour le POR chilien, Ismael Frias pour le Pérou et Ortiz pour l’Uruguay.
L’Amérique Latine apparaît peu dans les documents du Congrès, noyée dans l’ensemble de la « révolution coloniale ». Dans le Manifeste il y a tout de même quelques paragraphes sur la Bolivie, comme toujours excessivement optimistes : « L’esprit combatif des héroïques masses boliviennes... est aussi élevé que jamais. Guidées par le P.O.R. (section bolivienne de la Quatrième Internationale), elles sauront bientôt imposer la convocation d’un Congrès extraordinaire de la C.O.B. qui décide la formation d’un véritable Gouvernement ouvrier et paysan, libérant les masses du pays du cauchemar économique dans lequel elles vivent actuellement et de la menace de la dictature. » De toutes ces prévisions c’est hélas la dernière (la dictature) la seule qui allait s’accomplir, quelques années plus tard.
Plus intéressant, et plus réaliste, est un document interne qui recueille les résolutions du congrès sur les tâches des sections latino-américaines ; le texte sur la Bolivie, destiné uniquement aux membres du CEI, du BLA et à direction de la section bolivienne, reconnaît la possibilité d’une « évolution ultérieure de la révolution bolivienne vers un palier de stabilisation capitaliste » et même vers un « régime fort ». Dans ce contexte, il insiste sur l’importance du travail militaire du POR :
« Le Parti doit s’opposer avec l’extrême énergie à la réorganisation et consolidation de l’armée bourgeoise. Il opposera l’amplification de l’armement des ouvriers et paysans, sous commandement national unique... Le Parti doit être capable de se lier organiquement avec les formations militaires des masses et poursuivre en même temps un travail systématique de pénétration dans l’armée et la police bourgeoises. Le Parti doit se lier avec des éléments révolutionnaires versés ou désireux de se verser dans l’activité militaire (...) et les pousser à envisager la poursuite de la lutte armée, y compris en case d’un succès provisoire de la réaction, sous la forme d’une guérilla prolongée de partisans. Cette dernière question doit être étudiée avec l’extrême sérieux qu’elle mérite, et envisagée concrètement ». [9]
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Au moment même où était publié ce texte, « une guérilla prolongée de partisans » se battait, sous la direction de Fidel Castro, Camilo Cienfuegos et Ernesto Che Guevara, dans les montagnes de la Sierra Maestra à Cuba. Parmi la poignée de combattants qui avait survécu au débarquement du bateau Granma en 1956 se trouvait un ouvrier noir, Pablo Dias, vieux militant trotskiste ayant appartenu au Parti Bolchévique-Léniniste.
La victoire des révolutionnaires cubains en janvier 1959 sur la dictature du général Batista allait changer l’histoire de l’Amérique Latine, en ouvrant une nouvelle période révolutionnaire. Ce sera aussi le début d’un nouveau chapitre pour les partisans latino-américains de la Quatrième Internationale, qui vont rompre leur isolement et multiplier leurs forces dans tout le continent.
Notes
1. Voir Les congrès de la quatrième internationale, vol. 4, p. 299-3OO.
2. Ibid, p. 298 -3O1
3. Cela vaut aussi pour le volume publié en France en l972 - avec une très longue préface de deux militants de l’OCI, François et Catherine Chesnais - par l’EDI : Guillermo Lora, Bolivie : de la naissance du POR à l’Assemblée Populaire. Pour une présentation plus objective de faits on peut se rapporter au livre d’un historien de gauche anglais, James Dunkerley, Rebellion in the Veins. Political Struggle in Bolivia l952-l982, Londres, Verso, l984)
4. Terme qui désigne en Bolivie l’olygarchie rurale et minière.
5. Cf. G. Lora, Op.cit., pp. 35-43.
6. Bulletin Interne du Secretariat International, Janvier l954, pp. 4, lO,11
7. BI du SI , mai l956, p. 7
8. « Summary of the Report of Latin-American Pre-Conference of Orthodox Trotskysm, which took place in Argentina in the month of September l956, lasting lO days ».
9. BI du SI, Novembre l957, « La situation bolivienne et les tâches du P.O.R. » p.2-3