Le 26 août, la Fédération des syndicats indépendants de Russie (FSIR) a publié sur son site une déclaration exprimant son “extrême préoccupation” concernant la situation en Biélorussie :
“L’actuelle direction du pays menace non seulement de recourir à l’armée contre l’opposition, qui inclut une significative partie de la population, mais il semble qu’en lieu et place d’un véritable dialogue avec la société, au sujet des ouvriers qui ont cessé le travail pour des raisons politiques, elle veuille utiliser le licenciement, la fermeture d’usine, le lock-out et le recrutement de briseurs de grève étrangers.”
La Fédération russe estime que “de telles méthodes sont destructrices pour les relations de travail, les revenus des citoyens et pour l’État”. Elle proteste vigoureusement contre “un tel traitement de nos frères et sœurs biélorusses” et affirme qu’elle “les soutient et les soutiendra”.
Les méthodes de rétorsion contre les ouvriers politiquement actifs vont même beaucoup plus loin. Le chef du comité de grève de l’usine de tracteurs de Minsk (MTZ), Sergueï Dylevski, a été arrêté le 25 août et placé en détention provisoire pour “tentative d’organisation d’un meeting non autorisé dans une usine”. Il avait rejoint peu avant le praesidium du Comité de coordination de l’opposition.
Depuis le 13 août, des ouvriers biélorusses ont rejoint les cortèges des manifestants contre les résultats de la présidentielle du 9 août, et des comités de grèves se sont peu à peu organisés dans de nombreuses usines et entreprises d’État. La question de l’entrée massive ou non du “prolétariat” biélorusse dans le mouvement de protestation actuel contre le régime d’Alexandre Loukachenko est jugée comme cruciale.
Une historienne ukrainienne évoquait par exemple récemment un scénario à la Solidarnosc, du nom du syndicat ouvrier dont le rôle a été si déterminant en Pologne au début des années 1980.
Le vice-président de la FSIR, Alexandre Cherchoukov, a expliqué au tabloïd russe Moskovski Komsomolets que la Fédération ne se mêlait pas de savoir qui de Loukachenko ou de Tikhanovskaïa avait remporté les élections, mais qu’elle protestait contre les méthodes employées par le pouvoir biélorusse contre les ouvriers qui veulent faire grève :
“Les syndicats du monde entier sont contre de telles formes de lutte contre les grèves, qu’elles viennent du secteur privé ou du secteur public.”
Une fédération loyale au Kremlin
La FSIR, forte de 20 millions d’adhérents, est la première fédération syndicale de Russie. Comme le rappelle Moskovski Komsomolets, elle est “absolument loyale à Vladimir Poutine”, et liée par un accord de coopération avec Russie unie, le parti au pouvoir. Le titre rappelle au passage qu’il existe en Russie une autre structure syndicale importante, fondée en 2010 et plus indépendante, la Fédération du travail, qui compte 2 millions d’adhérents, et qui a dénoncé les événements biélorusses dès le 24 août.
Pour le tabloïd russe, il semble donc y avoir un paradoxe, étant donné le profil de la FSIR, entre sa nature et sa déclaration. Mais cela doit être analysé avec finesse. Le vice-président du Centre des technologies politiques, Alexeï Makarkine, a expliqué au quotidien que la position affichée par la FSIR était un “signal envoyé par le Kremlin à la direction biélorusse”.
Au niveau officiel, la Russie soutient bien sûr Loukachenko et (Vladimir Poutine est même intervenu le 27 août à la télévision russe pour annoncer qu’une “réserve” de forces d’intervention russe avait été mobilisée “au cas où” la situation en Biélorussie échapperait au contrôle des autorités du pays). Mais, explique l’expert, Moscou semble “pour le moins sceptique” concernant “toute une série d’actions du leader biélorusse”.
Le mouvement ouvrier récupéré par les libéraux
En attendant, du côté des mouvements politiques et syndicaux russes de gauche (non communiste), on renvoie tout le monde dos à dos. Comme le rappelle Boris Kagarlitski sur Rabkor.ru, site de l’Institut de la globalisation et des mouvements sociaux dont il est le directeur, “les protestations ouvrières ont bouleversé la situation politique, et maintenant on les admire. Les leaders de l’opposition travaillent les ouvriers au corps pour qu’ils rejoignent le Comité de grève national crée par ‘le haut’, à savoir par des politiciens libéraux”.
Or, poursuit-il, personne ne défendra les intérêts des travailleurs à part eux-mêmes :
“Sans structures émergeant de la base, aucun mouvement massif ne fonctionnera.”
Laurence Habay
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