Etre français, exercer tous les droits, s’acquitter de tous les devoirs attachés à cette qualité n’a strictement rien à voir avec la couleur de la peau. Tel est le principe républicain fondamental qu’une infime minorité de militants identitaires n’admet pas. Le récit de « politique-fiction » publié par l’hebdomadaire Valeurs actuelles mettant en scène la députée Danièle Obono en esclave en offre une illustration révoltante. La lecture des sept pleines pages de ce récit, où l’élue (La France insoumise) de Paris est transportée au XVIIIe siècle et vendue comme esclave dans l’actuel Tchad, donne la nausée.
Sous prétexte de mettre en porte-à-faux la militante antiraciste revendiquant ses racines africaines, l’auteur – anonyme – la plonge dans l’enfer d’une Afrique livrée à la traite négrière. « Elle était (…) heureuse, à quarante ans, d’être trop âgée pour subir ce douloureux écartèlement des lèvres permettant d’y glisser ces plateaux de bois qui leur donnaient ce profil qui l’effrayait malgré elle », écrit-il au fil de lignes qui, sous le couvert de l’ironie, suintent le mépris des Noirs, la répugnance pour l’Afrique et magnifient la colonisation. Vanté par l’hebdomadaire comme un divertissant « roman de l’été », l’article, prétentieux et boursouflé, reflète surtout les fantasmes de l’extrême droite : corps de la femme africaine soumis, sauvagerie du Noir avant la colonisation, euphémisation de l’esclavage par l’insistance sur le rôle des chefs africains et des Arabes dans la traite. La touche catholique traditionaliste n’a pas été oubliée : la députée est finalement affranchie grâce à un missionnaire français et trouve la rédemption dans un monastère provençal.
Protestations unanimes
Présentée enchaînée par le cou dans un dessin illustrant l’article, Danièle Obono a dénoncé « une insulte à [ses] ancêtres, sa famille » et « à la République ». A juste titre, Emmanuel Macron a appelé la députée pour lui faire part de sa « condamnation claire de toute forme de racisme ». De façon rassurante, les protestations ont fusé depuis l’ensemble de l’échiquier politique, tandis que le parquet de Paris ouvrait une enquête pour « injures à caractère raciste ».
Qu’un journal d’extrême droite étale son racisme en affichant son mépris pour une élue d’origine gabonaise, figure controversée du militantisme décolonial, n’a rien de nouveau. Valeurs actuelles, journal dont le nombre de lecteurs a baissé depuis cinq ans, a besoin de scandale et de « coups » pour faire parler de lui. Même les « excuses » hypocritement présentées a posteriori par sa direction et réfutant tout racisme semblent destinées à relancer la polémique.
L’ennui est que le chef de l’Etat, qui s’insurge aujourd’hui, a lui-même rehaussé la légitimité de l’hebdomadaire en lui accordant un entretien l’an passé et en le qualifiant de « très bon journal ». L’ennui est aussi que les jeunes journalistes plus à droite que Marine Le Pen qui animent Valeurs actuelles ont micro ouvert en permanence sur plusieurs chaînes d’information télévisée en continu, dont ils alimentent le moulin à polémiques. Face à l’inadmissible humiliation publique d’une personne en raison de ses origines, la loi qui fait du racisme un délit et non une opinion, doit s’appliquer. L’affaire Obono invite aussi à condamner la banalisation dans des émissions généralistes d’une parole extrémiste qui, si elle peut faire le « buzz », contribue surtout au délitement du pays en nourrissant la haine.
Le Monde, Éditorial