Le journal l’ « Humanité » publie le 30 septembre 2006 un article d’un député UMP, ancien magistrat, article intitulé « Associer à la violation d’une valeur morale une punition ». L’auteur présente un raisonnement qui tient en quelques propositions logiquement articulées : le premier sens de la peine est la punition de l’acte de délinquance, lequel est la violation d’une valeur morale. L’emprisonnement est donc moralement juste, quelle que soit la gravité de l’acte. Il faut par conséquent penser la prison, c’est-à-dire remédier à la surpopulation carcérale en construisant de nouvelles prisons, et faire de ces lieux un espace de resocialisation, permettre à des êtres marqués par la vie de reprendre quelques forces, et les réinsérer par l’éducation et le travail.
On doit admettre, en effet, comme une vérité d’évidence, que la condamnation pénale doit avoir pour objectif la réinsertion du délinquant. C’est même un devoir pour la société que de réadmettre en son sein celui qui, en violation de ses règles, a causé à autrui un préjudice.
Mais on peut ne pas partager le penchant moralisateur de l’auteur dans l’analyse du sens de la peine. On a le droit de penser que l’expiation n’a pas sa place dans le processus pénal, et que la rédemption par la souffrance relève d’une sorte de mysticisme qui méconnaît les problèmes de société. C’est un peu l’analyse que faisait, dans un ouvrage ancien intitulé « Le désir de punir », l’avocat Thierry Lévy, en dénonçant l’inclination habituelle des juges à chercher dans la punition infligée à autrui une volupté relevant de la psychanalyse. Le seul tort de Thierry Lévy était d’attribuer cette posture à l’ensemble des juges, ce qui faisait de sa démonstration une caricature.
Appliquer la loi de 1982
On a aussi le droit de penser, à rebours d’une opinion répandue, que la prison en tant que peine n’est pas la seule réponse pénale. Il existe, dans la loi votée en 1982 à l’unanimité de la représentation nationale, des peines dites de substitution à la prison parmi lesquelles le travail d’intérêt général. Cette peine n’a que rarement été appliquée dans l’esprit de la loi. On ne l’a pas prise au sérieux et on en a fait une petite peine supplémentaire dans l’échelle des peines, située entre l’amende et la prison avec sursis, alors que le législateur souhaitait à travers elle, l’évitement de l’incarcération. Pour des juges, répondre à des réquisitions d’un an d’emprisonnement par l’offre d’un travail d’intérêt général demandait un certain courage et quelque confiance dans l’organisation de la mesure ordonnée. Beaucoup, n’ayant pas cette confiance, s’abstenaient. Pourtant, dans les endroits où elle a été sérieusement pensée et installée, la peine de travail d’intérêt général s’est révélée comme l’instrument d’un début de resocialisation. L’intégration du condamné dans une équipe de travail a changé dans cette mini-société le regard qu’elle portait sur le délinquant, réalisant qu’il n’était pas très différent de beaucoup de personnes de l’entourage de chacun, et il est arrivé que l’équipe intervienne elle-même auprès de la direction pour qu’il soit recruté par contrat à l’expiration de sa peine. De son côté le condamné a pris contact, par l’accomplissement d’un travail utile, avec un milieu que souvent il ne connaissait pas. On n’a pas toujours obtenu ce résultat heureux, mais on peut regretter que les réussites n’aient pas pu être relayées par la poursuite de la réinsertion en milieu ouvert.
Réinsérer en milieu carcéral est un leurre
Si imparfaite qu’elle ait été, la mesure a permis d’éviter la prison et son œuvre de déstructuration, car il n’est pas tout à fait faux de répéter, selon l’adage, que la prison est l’école du crime, ou celle de la récidive. Or on nous la présente comme pouvant être le lieu idoine pour la réinsertion du condamné, à condition, bien sûr, de multiplier les lieux d’enfermement, comme si cette opération ne devait pas s’accompagner de la multiplication des peines de prison prononcées par les juges.
Il faut le dire, la réinsertion en milieu carcéral est un leurre. Pour cette première raison qu’on ne réinsère pas dans un milieu d’exclus, dans une promiscuité qui rend irréaliste l’idée même d’un changement de comportement. Pour cette deuxième raison que le milieu carcéral fonctionne à l’envers d’une société normale, puisque tout y est interdit en dehors de ce qu’autorise le règlement, alors que la vraie vie impose qu’on soit libre de tout faire sauf ce que la loi interdit. Et pour d’autres raisons qui tiennent à ce que les magistrats n’ont pas tous la même opinion sur l’éducation en prison, sur la santé en prison, sur le travail en prison, et sur l’apprentissage en prison.
Ceux qui observent l’évolution de la délinquance savent qu’elle a toujours accompagné les sociétés humaines, du fond des âges et dans l’universalité du monde. Il savent aussi qu’elle a longtemps pu être contenue à un niveau supportable grâce à des forces de sécurité adaptées aux nécessités de la protection des groupes sociaux. S’ils ont aujourd’hui suffisamment vécu, ils ont connu une époque où en effet la question de la sécurité ne se posait que de manière secondaire, une époque où le plein emploi était presque assuré et où les chômeurs, dans notre pays, ne se comptaient que par quelques dizaines de milliers. Puis, comparant la courbe ascendante de la délinquance avec celle du chômage, ils ont observé entre les deux un parallélisme éclairant, et ils se sont demandé s’il n’y avait pas là une relation de cause à effet.
Si l’accroissement continu du chômage tient au mode d’organisation de nos sociétés, si cet accroissement a pour cause un processus de production des biens qui suppose la multiplication des licenciements pour assurer la survie des entreprises, et si, comme il est prévisible, cet ordre des choses a assuré sa pérennité, alors continueront de croître et prospérer la délinquance et l’insécurité, sans qu’y puissent rien ni les rodomontades, ni les leçons de morale.