Après les colis alimentaires, voici venu le tour des équipements de protection. Soupçons de collusion dans l’attribution des marchés publics, masques surfacturés, de mauvaise qualité ou jamais livrés : “un flot d’allégations à vomir”, écrit le Sunday Times, s’empilent en Afrique du Sud et achèvent de ternir l’image de l’ANC, le parti au pouvoir, régulièrement accusé de piller le pays.
De nombreux proches de responsables de premier plan sont notamment soupçonnés d’avoir bénéficié de leurs connexions politiques afin d’obtenir des contrats. Pour The Citizen, la gloutonnerie des “covidpreneurs” s’apparente à un nouvel “Arm Deal”, en référence au plus grand scandale de corruption de l’Afrique du Sud post-apartheid.
L’histoire débute avec des révélations qui touchent le sommet de l’État. Le 19 juillet, le Sunday Independent rapporte que le mari de la porte-parole de la présidence aurait bénéficié de contrats à hauteur de 125 millions de rands (6 millions d’euros) afin de fournir des équipements de protection à la province de Johannesburg, épicentre de la pandémie dans le pays. Les connexions politiques du couple, qu’on dit proche du responsable du département de la santé la région, attisent les soupçons de collusion.
90 compagnies visées, 100 millions d’euros en jeu
Le dimanche suivant, le Sunday Times dévoile l’ampleur du scandale en révélant que trois régions sont concernées par des soupçons d’irrégularités dans l’attribution des marchés liés à la lutte contre la pandémie. “Les vautours festoient sur la misère du Covid-19”, titre l’hebdomadaire en une.
Dans la seule province de Johannesburg, 90 compagnies sont visées par des enquêtes relatives à des contrats d’une valeur cumulée de près de cent millions d’euros, rapporte le journal. “Des entreprises spécialisées dans la plomberie, la construction, la papeterie etc., ont obtenu des commandes pour du matériel médical”, se désole une source proche du milieu médical.
Quelques jours plus tard, le Daily Maverick révèle que deux fils du secrétaire général de l’ANC, Ace Magashule, visé par de multiples soupçons de corruption dans le passé, ont également bénéficié de contrats publics liés à la lutte contre la pandémie. Dernière affaire en date, le fils du président, Andile Ramaphosa, est critiqué après avoir hérité d’un contrat, privé cette fois, afin d’équiper les taxis collectifs de ventilateurs et de gel hydroalcoolique. Les affaires interviennent au pire moment, alors que le FMI vient d’accorder un prêt 3,6 milliards d’euros à l’Afrique du Sud afin de l’épauler dans la lutte contre la pandémie et la crise économique qui frappent durement le pays.
Des voleurs habillés aux couleurs du pouvoir
Le scandale choque d’autant plus qu’il touche des équipements de protection destinés aux personnels de santé : “Les citoyens d’Afrique du Sud ne se font aucune illusion : les gens qui volent ce pays sont habillés du noir, du vert et de l’or du parti au pouvoir. Nous le savions quasiment depuis vingt-six ans que l’ANC est aux affaires, mais le dernier scandale […] montre à quel point c’est évident – et cynique et sans cœur, écrit The Citizen dans un éditorial. “Malheureusement, nous sommes convaincus que des gens sont morts à cause de ces sales affaires, conclut le journal. Cent quatre-vingt-un soignants sont morts du Covid-19 et 24 000 ont été infectés par le virus alors que les syndicats dénoncent le manque d’équipements de qualité.
Le scandale met particulièrement en difficulté le président Cyril Ramaphosa, élu sur la promesse de rompre avec la corruption endémique de l’ère Jacob Zuma. Obligé de composer avec les différentes factions de l’ANC, divisées sur la réponse à apporter au scandale, il vient d’annoncer la mise sur pied d’une commission chargée d’enquêter sur les soupçons au sein du parti. Mais la composition de l’équipe, formée de plusieurs ministres, tous membres de l’ANC, interroge déjà. The South African résume :
“Ramaphosa a promis transparence et indépendance en s’attaquant au problème de la ‘corruption du Covid’, mais nommer six de ses plus proches collaborateurs pour enquêter sur le comportement d’autres membres du parti peut sembler un peu léger.”
Mathilde Boussion
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