Il semble que nous assistons à une reprise des soulèvements que nous avons connus il y a plus de huit ans. Bien que les deux mobilisations de masse aient un point commun – elles s’opposent à Janez Janša [1] (politicien de droite, actuellement Premier ministre pour la troisième fois) – la cause en est différente. Actuellement, il s’agit d’une pandémie et de la répression étatique qui l’accompagne, alors qu’il y a près d’une décennie son origine c’était une des pires crises historiques du capitalisme, créant l’opportunité d’une critique systémique et d’une politique progressiste. Les protestations actuelles se sont jusqu’à présent limitées à une logique anti-Janša.
Lorsque les masses commencent à occuper l’espace politique, le plus souvent elles se rassemblent du fait de leur colère et de leur indignation, de sorte qu’elles répètent spontanément les slogans promus par l’idéologie dominante. Et les plus bruyants parmi elles sont généralement les membres des groupes ayant le plus grand accès aux médias grand public, qui connaissent bien la production culturelle et à la communication. Cependant, ce sont là les acteurs clés du libéralisme. Il n’est donc pas surprenant que le noyau des organisateurs du mouvement de contestation actuel mette en avant les idées libérales, bourgeoises. Leur principal objectif est de remplacer une partie des représentants politiques et bureaucratiques de la classe dirigeante par une autre.
- Population de 2 millions d’habitants.
- En février, formation d’un gouvernement de coalition de droite dirigé par Janez Jansa (SDS), proche de Viktor Orban, condamné dans le passé pour corruption, anti-migrants.
- Après un pic fin mars, en mai, l’épidémie COVID est maîtrisée.
- En mai, Renault annonce la suppression de 400 emplois à Novo Mesto (2.900 employés) où sont fabriquées les Renault Twingo et Clio pour le marché européen. La fabrication de boîtes de vitesse doit être relocalisée en France.
- Le 8 mai, des milliers de personnes manifestent dans la capitale, Ljubljana, accusant le gouvernement de corruption et de profiter de la pandémie pour restreindre les libertés publiques.
- Durant l’été, face à la multiplication des ours bruns sauvages, le gouvernement décide d’en abattre 115.
Les manifestants désignent l’autoritarisme et les pratiques népotistes de corruption qui ont accompagné l’achat d’équipements de protection comme les principaux problèmes du gouvernement actuel – alors que c’est simplement pour les capitalistes le moyen le plus rapide pour réaliser des profits élevés. L’autoritarisme est perçu comme une caractéristique exclusive de la politique de Janez Janša ou même de sa personnalité. Ils ne problématisent pas les pratiques autoritaires en tant que caractéristique innée d’un État capitaliste, bien qu’elles soient quotidiennement vécues par les migrants et par d’autres groupes sociaux qui sont considérés comme « indésirables » du point de vue du capital. Ceux qui protestent actuellement ne vont même pas jusqu’à remettre en cause l’autoritarisme du capital que les travailleurs subissent constamment sur leur lieu du travail.
Les manifestants libéraux comptent sur le pouvoir rédempteur de l’État de droit, sur les médias, les experts et la démocratie parlementaire comme principales garanties « contre Janša ». En fait, ce n’est qu’un épisode d’une guerre culturelle moderne sur la façon de gouverner « normalement », bien que cette normalité soit intolérable pour la majorité des travailleurs, car elle signifie pour eux la tyrannie sur les lieux du travail, un salaire de misère ne permettant pas de garantir les besoins fondamentaux (par exemple le logement) et une misère intellectuelle – le tout imposé par l’appareil d’État.
Ces « représentants du peuple » restent aveugles à la lutte des classes et à son intensification par le capital, déjà mise en œuvre ou annoncée par le gouvernement Janša et ses collaborateurs. Il vise à accroître la flexibilité (c’est-à-dire la précarisation) du marché du travail, à faciliter les procédures de licenciement et à généraliser la privatisation des services publics pour réduire encore leur caractère universel. À l’ère de la crise climatique, le gouvernement élimine cyniquement les normes environnementales – tout cela pour faciliter au capital la recherche du profit en détruisant la nature et en exploitant la classe ouvrière.
C’est la cause profonde des politiques anti-populaires qui transcendent le gouvernement de Janez Janša – elles ont été également été mises en œuvre sous une forme plus douce par les gouvernements précédents de centre(-gauche), et les variantes de la même escalade peuvent être observées dans pratiquement tous les pays. L’extrême droite naît des contradictions du capitalisme. Comme l’a dit Brecht : « Comment dire la vérité sur le fascisme, dont on se déclare l’adversaire, si l’on ne veut rien dire contre le capitalisme, qui l’engendre ? » [2]
Nous pouvons donc conclure qu’il n’y a pas dans l’opposition parlementaire de force politique qui pourrait entraîner des réformes sérieuses, sans même parler de rupture. Non seulement cette opposition a substantiellement dilué ses demandes, mais elle n’a pas de soutien parmi la classe ouvrière, capable de briser l’opposition du capital aux mesures politiques progressistes.
Nous pensons que beaucoup de ceux qui sont descendus dans les rues et sur les places ces dernières semaines ne veulent pas seulement une utopie libérale, mais un véritable changement dans les relations sociales. Mais pour cela il ne suffira pas de faire collectivement du cyclisme les vendredis. La condition des changements qui ébranleront la domination du capital est la lutte de classe quotidienne et l’organisation collective des travailleurs dans les usines, les magasins, les mines, les chantiers de construction, les hôtels, les écoles et partout. Seule la construction du pouvoir par en bas peut mettre fin à l’oscillation entre l’autoritarisme de droite à visage découvert et le néolibéralisme masqué.
Nous ne pouvons mettre fin à l’autoritarisme, à la violence systémique, à l’aggravation de la crise climatique et aux rapports d’exploitation dans la production qu’en arrachant leurs racines. Mais ces racines, ce n’est pas tel ou tel gouvernement, c’est le système capitaliste.
Comité de recherche du CEDRA
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