Samedi 25 juillet, des centaines de coursiers travaillant pour des plateformes de livraison comme Uber Eat, iFood, Loggi et Rappi ont défilé dans les rues des grandes villes brésiliennes, à vélo ou à moto, pour dénoncer la précarité de leurs conditions de travail.
Il s’agissait de la seconde grève du secteur, après une première manifestation organisée mercredi 1er juillet à l’appel du collectif Livreurs antifascistes, et qui avait mobilisé des milliers de participants pendant plusieurs heures. Il était à chaque fois demandé aux clients de ne passer aucune commande les jours en question.
Parmi les revendications des coursiers figurent le réajustement de la commission perçue par livraison qui, selon eux, “oscille actuellement entre 4,50 et 7,50 reais”, soit entre 0,74 à 1,24 euro, avec une petite variation par kilomètre parcouru, explique le site Tilt, du portail d’information Uol..
Ils dénoncent “des blocages inexpliqués” et répétés des applications sans possibilité pour eux d’entrer en contact avec l’entreprise. Les livreurs demandent également un “soutien en cas d’accident” et la distribution de masques de protection, alors que la pandémie de Covid-19 continue de faire rage dans le pays.
La mobilisation du 25 juillet a été moins suivie que la précédente, mais “le mouvement a déjà obtenu de petites avancées”, indique le site, qui évoque des propositions de loi préparées par des parlementaires et une réunion avec le président de la Chambre des députés.
Contactées par Tilt, des plateformes ont indiqué qu’elles répondaient déjà à certaines revendications, comme la distribution de masques et l’offre d’assurances. Mais pour l’un des leaders du mouvement, “les entreprises feignent de ne pas [nous] voir”.
Selon le Réseau d’études et de contrôle de la réforme du travail, cité par un éditorialiste d’O Globo, “60,3 % des livreurs ont vu leurs revenus diminuer depuis l’arrivée du coronavirus”, et ce malgré une hausse de la demande.
Des plannings déterminés à l’avance, sans salaire fixe
BBC News Brasil s’intéresse au cas particulier d’iFood qui, pour ajuster l’offre de livreurs à la demande de livraisons, a recours à un un système d’opérateurs logistiques. Pour certains, “ce modèle assure un plus grand revenu aux livreurs”, mais d’autres y voient “une manière d’augmenter le contrôle” de la plateforme sur le travail effectué, ce qui va à l’encontre du “discours d’autonomie toujours mis en avant par les applications”, ajoute le site.
En effet, “l’opérateur logistique” est “recruté comme sous-traitant par iFood pour organiser et gérer une flotte de coursiers fixes”.
“Dans ce modèle, le livreur a un planning de travail hebdomadaire : il doit respecter un horaire fixe tous les jours, et a droit à un jour de pause par semaine, qui doit être fixé à l’avance”, poursuit BBC News Brasil. Le coursier “ne peut pas éteindre l’application ou décider de rester chez lui quand il le souhaite”.
Or, même si son travail ressemble à celui d’un salarié, ce type de livreur n’a pas de salaire fixe ni de congés payés, et ne reçoit de rémunération que lorsqu’il réalise une livraison.
Un chercheur en sécurité et santé au travail interrogé par le site, explique que ce système permet à la plateforme de “garantir qu’il y ait toujours une masse” de livreurs disponibles. L’entreprise Loggi a elle aussi recours à des opérateurs logistiques.
Quant à Rappi, elle “impose un système de points”, qui oblige le coursier à travailler dans des zones et à des horaires précis, explique un éditorialiste d’El País Brasil, qui évoque des “algorithmes autoritaires”.
Un système “pas viable”
Pour une autre éditorialiste d’El País Brasil, “la grève des livreurs a mis au jour le leurre de l’économie du partage” : des applications nées avec une promesse de flexibilité et de partage “représentent désormais, dans la pratique, la suprématie de l’intermédiation”, écrit-elle.
L’“ubérisation”, synonyme de “relations précaires de travail”, s’est “étendue à d’autres domaines”, ajoute l’éditorialiste. “Les applications de livraison de repas” suivent ainsi un modèle qui “satisfait le consommateur, mais n’est pas viable pour les coursiers ni pour les restaurants”, puisque en moyenne ces établissements “paient 27 % de la valeur de la commande aux applications”. Les “livreurs ne reçoivent qu’une fraction de cette valeur” et doivent rester disponibles jusqu’à douze heures par jour pour espérer atteindre l’équivalent d’un salaire minimum.
Suite à ces manifestations, le mouvement Livreurs antifascistes a annoncé vouloir créer une coopérative dotée de sa propre application.
Morgann Jezequel
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