Riposte au mouvement des Gilets jaunes et aux manifestations pour le climat, cette initiative d’Emmanuel Macron était une manœuvre cousue de fil blanc : il s’agissait, pour le locataire de l’Elysée, de créer une atmosphère d’unité nationale, en misant sur le fait que la convention, interclassiste, bien encadrée et cornaquée par des « experts », déboucherait sur un paquet de propositions dont le pouvoir pourrait assumer la plupart, quitte à en écarter certaines au nom du « dissensus » [1].
Objectif ultime : rehausser la légitimité en berne du président en l’aidant à se hisser au-dessus des contradictions sociales, au nom des intérêts supérieurs de la Nation et de la Planète. Au final, cependant, les conclusions de la Convention ne cadrent pas complètement avec ce scénario de légitimation du « néolibéralisme vert ». On fera deux remarques et deux constats.
Un dispositif faussement participatif
Première remarque : instruit par d’autres expériences de ce type, le pouvoir avait d’emblée mis en place un dispositif visant à brider la Convention. Les autorités ont parlé de « démocrate participative »… mais les 150 participant.e.s n’ont pas eu le droit élémentaire de rédiger leur propre charte pour fixer elleux-mêmes les modalités de leurs travaux. Il est vrai que les conventionnel.le.s ont pu consulter des « personnes ressources » de leur choix (140 personnes) mais, dès la troisième session, en novembre dernier, ils et elles ont été flanqué.e.s d’un comité permanent de quatorze « expert.e.s » dont le point commun est l’adhésion à l’idéologie du « développement durable » et aux dogmes du capitalisme vert. Pas un.e seul.e de ces quatorze n’était climatologue. Pas un.e seul.e non plus n’était issu.e des mouvements sociaux, environnementaux, ou du monde syndical. De la sorte, le pouvoir s’assurait une influence idéologique déterminante sur le processus.
Une question biaisée
La deuxième remarque, très importante, a été trop peu mise en évidence par les médias : la Convention a été biaisée non seulement par l’influence du comité d’experts permanents mais aussi par la question qui lui était soumise. En effet, rester au-dessous de 1,5°C de réchauffement en se conformant au principe des « responsabilités différenciées » du Nord et du Sud global requiert pour les pays de l’UE de réduire leurs émissions de CO2 de 65% d’ici 2030 (pour atteindre 100% de réduction au niveau mondial en 2050). Une réduction de 40% en 2030 n’est en rien compatible avec le respect de l’accord de Paris. Par contre, elle peut, à certaines conditions, être compatible avec la poursuite des politiques capitalistes néolibérales axées sur la croissance du PIB.
En maintenant sa production nucléaire, en recourant massivement à l’arnaque de la « compensation carbone », en continuant à imputer les émissions dues à la fabrication des marchandises importées aux pays à bas coût où elles sont produites et à ne pas prendre en compte celles des transports internationaux, et en développant la capture-séquestration du CO2, voire la géoingénierie, il n’est pas exclu (même si c’est peu probable) que la France atteigne 40% de réduction en 2030. Autrement dit : en soi, par son manque d’ambition, la question posée aux 150 incitait la Convention à rester sagement dans les clous du capitalisme vert. De plus, rien, dans le processus, n’était prévu pour vérifier en fin de parcours si les propositions formulées réduiraient effectivement les émissions de 40% ou pas. Cette évaluation élémentaire ne faisait pas partie de la feuille de route dessinée par le pouvoir. L’objectif de la convention se limitait à dresser un catalogue, sans évaluation d’impact…
On peut le faire !
Ceci dit, le premier constat à dresser consiste à souligner le sérieux et la volonté d’indépendance avec lesquels les participant.e.s se sont acquitté.e.s de leur mission. La plupart d’entre-elleux n’avaient pas de connaissance approfondie du dossier climatique : iels l’ont acquise par des lectures, en consultant des expert.e.s, en écoutant des représentant.e.s des différents milieux sociaux et professionnels, des syndicats, des associations… Leurs travaux, qui ont duré neuf mois et mobilisé de nombreuses journées de travail, ne leur ont donné droit qu’à un défraiement et à une indemnité modeste. Entendons-nous bien : ce constat ne valide pas les idées de celles et ceux qui voudraient supprimer le suffrage universel et substituer des groupes de personnes tirées au sort aux assemblées élues. N’empêche que le convention éclaire la capacité des gens dits « ordinaires », quand on leur en donne le temps, d’appréhender des questions réputées difficiles, d’en débattre de façon raisonnée et de chercher à élaborer des politiques en conséquence. Cela confirme la possibilité d’instituer un fonctionnement démocratique alternatif, partant de la base, axé sur des assemblées délibératives composées de non professionnels de la politique, dans lequel le savoir scientifique est acquis, discuté et partagé. Or, c’est précisément ce type de fonctionnement qui devrait caractériser une société écosocialiste autogestionnaire basée à la fois sur la satisfaction, par la décentralisation et la planification, des besoins humains réels dans le respect des contraintes écologiques.
Des mesures limitées mais contraignantes
Un deuxième constat s’impose : en dépit de son « cornaquage » [2]) par les quatorze expert.e.s, de sa composition interclassiste et du caractère néolibéral-compatible de la question de départ, la convention ne s’est pas limitée à lister des mesures de marché (taxes, primes, incitants fiscaux, etc). Elle l’a fait, certes, mais elle a formulé aussi de nombreuses propositions de régulation sociale et économique relativement contraignantes. Citons l’interdiction des terrasses chauffées, l’interdiction d’extension des capacités aéroportuaires, la vitesse limitée à 110km/h sur les autoroutes, l’obligation faite aux propriétaires d’isoler/rénover leurs biens immobiliers, l’interdiction quasi complète d’exporter des déchets, l’interdiction des plastiques à usage unique dès 2023, des limites à la pollution publicitaire, le retour à la consigne du verre, ainsi que la remise en cause du CETA par l’Union Européenne. Last but not least : le groupe thématique « production et travail » a proposé à la convention une mesure forte : la réduction du temps de travail de 35H à 28H sans perte de salaire (par le truchement d’une hausse du SMIC de 20%).
Débat polarisé sur le temps de travail
Cette revendication en particulier a provoqué un débat très polarisé, comme l’auront constaté celles et ceux qui ont suivi les travaux en direct, sur la toile). De nombreuses interventions ont répercuté tous les arguments classiques qui sont avancés contre la réduction du temps de travail, et ce depuis l’aube du capitalisme, quand les prolétaires travaillaient 14 heures par jour… Le débat a bien mis en évidence l’opposition entre celles et ceux qui comprennent la nécessité de changer de système pour sauver le climat (et le reste !), et les autres, qui croient pouvoir se contenter de corriger le système à la marge, sans toucher à « la croissance », à « l’économie » et à sa « compétitivité », c’est-à-dire à l’accumulation du capital. Au final, la proposition a été rejetée à 65%. Etant donné les conditions biaisées que nous avons décrites plus haut, le fait qu’elle ait recueilli 35% des suffrages est plutôt encourageant.
Si l’obligation de réduire les émissions de 65% d’ici 2030 avait été mise sur la table, il n’est pas interdit de penser que le vote aurait été plus serré. En effet, une réduction d’un telle ampleur dans un délai aussi bref est rigoureusement impossible sans un rétrécissement très substantiel de la production et des transports. Une opération qui, pour se faire dans la justice sociale, impose non seulement de créer de nouveaux emplois publics dans le soin aux personnes et aux écosystèmes, mais aussi de partager le travail nécessaire, sans perte de salaire.
En attendant que cette exigence resurgisse des luttes sociales (elle resurgira inévitablement), on suivra avec intérêt la manière dont l’ultralibéral Macron se dépatouillera des encombrantes mesures de régulation volontaristes qui ont été adoptées par la Convention. Quoique modestes, ces mesures ont immédiatement mobilisé contre elles toutes sortes de lobbies qui les dénoncent violemment au nom de la « liberté » d’investir, de rouler vite et de consommer sans entraves. Une fausse liberté, qui n’est en réalité qu’une assuétude au productivisme et à son corollaire consumériste.
Daniel Tanuro