Le groupe s’appelle le Collectif Emma Goldman, pour commémorer la féministe américaine d’origine russe et militante de la gauche libertaire qui vécut de 1869 à 1940. Perspicace, il montre que la xénophobie et le racisme, si réels soient-ils, deviennent des concepts difficiles à cerner parce que l’extrême droite et le populisme, qui les génèrent, intègrent à leurs vieux discours des notions empruntées au libéralisme et à la gauche.
La laïcité autant que l’égalité entre hommes et femmes sont détournées de leur sens premier et universel pour se changer en armes démagogiques contre l’islam. Grâce à l’équivoque, des catholiques politicards au lieu d’être croyants et des islamophobes viscéraux se réjouissent d’avoir l’appui de l’infime minorité catholique intégriste et s’abandonnent impunément, dans leur milieu, à la phallocratie.
À l’imitation de groupes français d’extrême droite, comme Génération identitaire, les ligues fascisantes, telles La Meute et Storm Alliance, présentes au Saguenay–Lac-Saint-Jean, voient les Québécois de souche, explique le Collectif Emma Goldman, « comme un peuple assiégé, qui subirait une “colonisation de l’intérieur” » par les immigrants. Il poursuit : « Certains comparent même le destin de leur nation à la réalité sociale contemporaine des Premières Nations d’Amérique. »
La récupération anticolonialiste, le collectif la juge avec raison « confusionniste ». Il devrait dire aussi insensée, comme l’était la doctrine de l’ex-maire ultracatholique de Saguenay, Jean Tremblay, qu’il critique. Celle-ci proposait « la véritable laïcité » à titre de « partenariat » plutôt que de « séparation » en tablant sur une naïve excentricité : « Église et État ne sont-ils pas de Dieu et pour Dieu ? »
Le Collectif Emma Goldman souligne que « la montée de l’extrême droite et du populisme est le produit du système capitaliste ». La désindustrialisation de l’Occident, puis l’impuissance de la gauche parlementaire et du syndicalisme à y remédier ne poussent-elles pas des défavorisés à se tourner vers les réactionnaires ?
Mais l’analyse de la réaction des faibles est loin de suffire. Comme Jean-Marc Piotte et Jean-Pierre Couture, dans Les nouveaux visages du nationalisme conservateur au Québec (Québec Amérique, 2012), et Mark Fortier, dans Mélancolies identitaires (Lux, 2019), il faut avoir la clairvoyance et le courage de dévoiler le réseau des réactionnaires protégés par l’université, l’édition, la presse et le grand capital.
Un premier pas vers la décolonisation serait de reconnaître l’injustice et d’élaborer ensemble des pistes menant à la réparation. L’expérience de décolonisation des régions autonomes zapatistes des Autochtones du Chiapas, dans le sud du Mexique, en est une qui nous enthousiasme beaucoup. Sans État et sans argent, ces communautés ont pris le chemin de la réappropriation du pouvoir, des savoirs et des cultures d’autonomie que la colonisation a toujours cherché à occulter et à réprimer afin de les maintenir dans la dépendance et l’esclavage.
Michel Lapierre
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