Chaque année, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) remet au gouvernement un rapport aux allures de bible : il dresse un état des lieux précis, circonstancié et critique sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie dans le pays. Il se penche à la fois sur la diffusion des préjugés dans la population, les actes violents ou injurieux, les discriminations du quotidien (accès au logement, à l’emploi) et les effets des politiques publiques.
La livraison 2019 a eu du retard. Comme l’expliquait Jean-Marie Burguburu début mai, il n’était pas aisé, en plein confinement, de mettre la main sur le premier ministre pour lui présenter officiellement le rapport. Sa remise intervient finalement ce jeudi matin [1], alors que la France s’empoigne depuis bientôt un mois sur le racisme dans la police [2], les enjeux mémoriels [3] et la mesure des discriminations [4].
Parmi les outils sur lesquels s’appuie la CNCDH, le « baromètre du racisme » permet de voir évoluer, depuis trente ans, « l’indice de tolérance » au sein de la population, à partir d’un sondage. En 2019, cet indice atteint le score de 66, en baisse d’un point par rapport à l’année précédente. Une société dépourvue de racisme et de stéréotypes sur les groupes minoritaires serait notée 100. Ce chiffre global est accompagné d’une analyse très détaillée des facteurs explicatifs (âge, catégorie socio-professionnelle, niveau de diplôme, positionnement politique, sensibilité à différentes thématiques), commentée par des universitaires.
Malgré une amélioration de long terme, tendant à montrer que le racisme serait de moins en moins enraciné dans les esprits, la CNCDH constate la persistance de « préjugés » sur telle ou telle catégorie de population : 34 % des sondés estiment ainsi que « les Juifs ont un rapport particulier à l’argent », 44,6 % que « l’islam est une menace pour l’identité de la France », 59 % que « de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale » et 60 % que « les Roms exploitent très souvent les enfants ».
Indice longitudinal de tolérance © CNCDH Indice longitudinal de tolérance © CNCDH
La CNCDH examine aussi les statistiques du ministère de l’intérieur et du ministère de la justice sur les infractions à caractère raciste, sujettes à une « sous-déclaration massive ». Alors que chaque année, dans les enquêtes de victimation, plus d’un million de personnes disent avoir subi une atteinte à caractère raciste en France, seules 5 730 plaintes ont été déposées en 2019 (+ 11 %), tandis que le ministère de la justice enregistre 6 603 affaires à caractère raciste. Souvent « difficiles à prouver » par les victimes ou à « caractériser » pour la justice (comme l’ont déjà montré des travaux sociologiques [5]), ces affaires donnent lieu à peu de condamnations : 393 l’an dernier.
Cette année, le rapport insiste sur deux points. D’une part, le cas particulier des personnes noires, qui subissent « la prégnance de biais racistes issus de la période coloniale » et restent l’une des minorités « les plus discriminées ». « Qu’il s’agisse de l’accès au logement [32 % de chances en moins – ndlr] ou encore du travail [où 49,9 % des personnes noires déclarent avoir subi des discriminations – ndlr], les différences de traitement sont flagrantes. (…) Si l’égalité est au cœur des valeurs républicaines, les personnes noires occupent encore trop souvent une place subalterne dans la société française. »
« Le combat contre le racisme envers la minorité noire nécessite une prise de conscience du phénomène par la société dans son ensemble, une décolonisation des esprits », estime la CNCDH. Mais la Commission attend aussi « une réponse de l’État » pour « surmonter le sentiment de défiance ressenti par une partie de cette population à l’égard de l’autorité publique ». Elle appelle notamment au soutien financier des études et autres opérations de testings visant à mieux mesurer ce phénomène, d’ores et déjà établi.
D’autre part, la CNCDH se penche sur « la haine en ligne », régulée tant bien que mal par les réseaux sociaux, la plate-forme publique de signalement Pharos et la loi Avia [6] adoptée en mai. Critique sur cette nouvelle loi, jugée « inadéquate et disproportionnée », la Commission propose plutôt de « réfléchir à une législation européenne commune », « maintenir la place du juge judiciaire dans le processus de retrait des contenus et de sanction », « créer une instance de régulation spécifique », renforcer l’éducation à la citoyenneté numérique, faciliter les plaintes en ligne et créer une application mobile Pharos.
Au fil de ce rapport apparaissent de nombreux reproches adressés aux autorités, accusées de ne pas en faire assez pour lutter contre le racisme et les discriminations. Malgré « l’exemplarité attendue des pouvoirs publics en la matière, tant dans les mots que dans les actes », les efforts, bien que salués, ne sont pas suffisants. « L’action des services placés sous la responsabilité des autorités publiques se révèle parfois contraire au droit, voire discriminatoire. De façon systémique, et malgré le principe d’égalité entre citoyens, les membres de certaines minorités visibles se retrouvent mal traités : plus souvent en échec scolaire, plus souvent contrôlés / arrêtés par la police, moins bien logés, en moins bonne santé, etc. »
La CNCDH se montre également sévère avec « les interventions publiques de certains responsables politiques », qualifiées de « toxiques » quand « elles mêlent les problématiques de la laïcité et de l’appartenance religieuse, du terrorisme et de l’asile, associent délinquance et immigration » et « trop souvent amplifiées par des acteurs médiatiques peu préoccupés d’éthique ».
Tout l’intérêt – et la difficulté – d’un bilan réside dans cette articulation fine entre le racisme « individuel », pouvant donner lieu à des situations injustement pénalisantes, et les discriminations systémiques. La CNCDH pointe la responsabilité des pouvoirs publics, par leurs discours, leurs actes et leur absence de volontarisme, dans la persistance d’inégalités en défaveur des minorités. Et leur adresse cette année 59 recommandations pour améliorer les choses.
De façon générale, la CNCDH demande à l’État de mieux sensibiliser ses agents à toutes ces questions – en particulier les enseignants, magistrats, policiers et gendarmes – à travers des formations obligatoires. Avec un double objectif : minimiser les préjugés susceptibles d’affecter leur comportement envers les usagers, mais aussi mieux prendre en charge les victimes de racisme et de discrimination lorsqu’elles se présentent à eux.
L’école républicaine n’est pas exempte de critiques. Outre les programmes de l’Éducation nationale, qui « tout en condamnant le racisme, peuvent néanmoins véhiculer des éléments de racisme, d’antisémitisme et de xénophobie par la façon d’aborder certaines questions », la CNCDH rappelle que « l’expérience scolaire des enfants d’origine étrangère ou perçus comme tels peut être marquée par d’importantes discriminations ». Certaines sont « produites par le système scolaire » lui-même, notamment en ce qui concerne l’orientation des élèves, dans le secondaire comme à l’université.
La CNCDH s’attarde sur certains « profils particuliers » – enfants roms ou perçus comme tels, enfants du voyage, vivant en bidonville ou en squats, en situation de handicap, mineurs non accompagnés, enfants vivant dans les Outre-mer, en particulier en Guyane et à Mayotte. Sur la base de « critères prohibés », une pratique « par définition discriminatoire », des milliers se voient refuser l’accès à l’école par des maires. « La violation de ce droit fondamental à l’éducation en France est dénoncée depuis de nombreuses années par la CNCDH », rappelle la Commission, demandant « que l’État prenne enfin la mesure de l’urgence et de la gravité de la situation et agisse en conséquence », conformément à ses engagements internationaux.
Les stéréotypes visant les Roms, « forme de racisme la plus banalisée et qui suscite le moins de réprobation » dans la population, s’accompagnent d’un désintérêt manifeste des pouvoirs publics. Malgré des « rappels à l’ordre » visant la France, « aucune action spécifique n’a été impulsée par l’État », tandis que les expulsions répétées de bidonvilles et de squats [7] « viennent alimenter des préjugés sur l’association entre Roms et pauvreté, mais également sur la non-légitimité voire l’illégalité de leur présence sur le territoire ».
En ce qui concerne l’action de la police, le rapport mentionne sans surprise les contrôles d’identité, dont le caractère discriminatoire est documenté de longue date [8]. Regrettant que les pouvoirs publics aient rejeté à plusieurs reprises la création d’un récépissé [9], la CNCDH estime que les solutions « censées pallier toute dérive » ne conviennent pas. Les caméras-piétons sont « avant tout utilisées dans le but de protéger le policier » [10], tandis que « le non-port du RIO par les forces de l’ordre, lors d’une opération de maintien de l’ordre, est une pratique courante qui alimente la suspicion de la population envers le ministère de l’Intérieur ».
La Commission insiste aussi sur la marge de progression dans l’accueil et l’accompagnement des victimes d’infraction à caractère raciste ou discriminatoire, tout au long de la procédure judiciaire. Comme les victimes de violences faites aux femmes, elles se heurtent à « des refus de dépôt plainte », trop souvent transformées en main courante, voire se retrouvent « confrontées à une forme de racisme dans la justification de ces refus ».
Les investigations, difficiles et nécessitant d’être « approfondies », débouchent rarement sur des poursuites. « La CNCDH recommande à la France de s’engager dans une réflexion sur une application juste et efficace des critères de discriminations et encourage la France à repenser son droit, ou à défaut, la mise en œuvre de son droit, afin que soit intégrée la notion d’intersectionnalité. » Elle appelle aussi les juridictions à « favoriser des peines à vertu plus pédagogique » que celles qui font référence à la prison.
Dans le monde du travail enfin, les discriminations fondées sur l’origine « touchent autant l’emploi privé que l’emploi public », souligne la CNCDH [11], tandis que l’administration peine encore à « se saisir véritablement de cette problématique ». Estimant que « la prévention du racisme passe par le dialogue social », la Commission « note avec inquiétude les effets de la récente réforme du code du travail et des ordonnances Macron », qui ont entraîné un « appauvrissement de la négociation collective ».
Camille Polloni
• MEDIAPART. 18 juin 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/160420/pour-des-banderoles-au-balcon-la-police-domicile
• Les article de Camille Polloni sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/camille-polloni
Racisme (mars 2018) : les préjugés reculent, pas forcément les actes violents
Selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les Français sont plus tolérants que jamais. Ce qui n’a pas empêché, en 2017, une légère hausse des actes violents racistes recensés par le ministère de l’intérieur.
Depuis 1990, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) mesure chaque année le degré d’ouverture à l’autre de la société française, à travers un indice de tolérance. Il s’agit d’ausculter les opinions à l’égard des minorités, pas les actes. Les résultats, contre-intuitifs, apportent une bouffée d’espoir.
Alors que, de 2009 à 2014, ces enquêtes annuelles d’opinion ont enregistré une montée des crispations identitaires, caractérisées par le rejet croissant des minorités ethniques ou religieuses, les attentats de 2015 ont paradoxalement mis fin à cette évolution inquiétante. Depuis trois ans, l’indice progresse régulièrement. En 2017, il se stabilise à 64, alors qu’il était de 48 en 1991.
Indice de tolérance calculé depuis 1990 par des chercheurs pour la CNCDH.
Construit par des chercheurs, cet indice est façonné sur 69 séries de questions portant sur les préjugés des enquêtés à l’égard des juifs, des musulmans, des Noirs et des Tziganes, ainsi que leur opinion sur l’immigration, la place des femmes ou encore le multiculturalisme. Plus il est élevé, plus la société est tolérante. Les questions ont été posées en face-à-face, en novembre 2017, à un échantillon représentatif d’un millier de personnes majeures, résidant sur le territoire français. Quelque 34 % de ces enquêtés ont au moins un parent ou grand-parent né à l’étranger et 6 % sont musulmans. « C’est la France telle qu’elle est réellement, pas celle des listes électorales », explique la magistrate Magali Lafourcade, secrétaire générale de la CNCDH.
« Ce niveau élevé de tolérance est pour le moins étonnant, le contexte général étant en apparence peu propice à l’acceptation de l’autre : terrorisme, arrivées de migrants, chômage, poids des thèmes sécuritaires dans les médias, montée des populismes en Europe, etc. », notent les auteurs. L’évolution de cet indice montre que ce sont moins les événements eux-mêmes qui influent sur les opinions, que la manière dont ils « sont cadrés (framed) par les élites politiques, sociales et médiatiques ». Aucune crispation raciste n’a été constatée après les attentats de 1995 et de 2015 à Paris. « En revanche, il y a eu une bouffée d’intolérance après les émeutes urbaines de 2005, car elles ont été interprétées de façon ethnique par les politiques et les médias », remarque Magali Lafourcade.
En 2017, la séquence présidentielle puis électorale, qui « s’est centrée sur le thème du renouveau et non, comme de nombreux observateurs s’y attendaient, sur les enjeux identitaires liés à la menace terroriste et à l’immigration », pourrait expliquer cette stabilité de l’indice de tolérance.
Indice de tolérance par minorité. Indice de tolérance par minorité.
Tout en bas de l’échelle des opinions, les Roms demeurent la minorité la plus mal perçue par les Français. L’indice de tolérance à leur encontre n’est que de 34, contre 61 pour les musulmans, 72 pour les Maghrébins, 78 pour les Noirs et pour les juifs.
Certains préjugés sur les Roms reculent lentement, tout en demeurant à des niveaux alarmants : « Pour près des trois quarts des Français, les Roms sont toujours des nomades, pour deux tiers d’entre eux il s’agit de personnes qui exploitent les enfants, et pour la moitié seulement de voleurs, qui, de plus, ne veulent pas s’intégrer. » Leur image reste celle d’un groupe ethnique vivant dans la misère, sans possibilité d’ascension sociale, malgré de nombreux contre-exemples de réussite sociale.
Le rapport note qu’« en milieu urbain, les contacts noués à l’école, dans les fêtes de quartiers, aux anniversaires des enfants, ainsi que les interactions qui se déroulent dans des espaces moins associés à des stéréotypes (la fête de la ville, les files d’attente dans des services municipaux...) permettent de déconstruire certains préjugés ».
La CNCDH appelle d’ailleurs les pouvoirs publics à montrer l’exemple, notamment en mettant fin à l’exclusion de l’école de certains enfants roms. Sans parler de racisme d’État – terme qui avait valu au syndicat Sud d’être attaqué en justice par le ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer –, la CNDH écrit qu’« il apparaît que l’action des services placés sous la responsabilité des autorités publiques se révèle parfois contraire au droit et ouvertement discriminatoire ». L’autorité indépendante cite également le cas des contrôles d’identité abusifs ou discriminatoires, qu’aucun gouvernement ne s’est encore décidé à doter d’un dispositif de traçabilité.
Concernant la minorité musulmane, certaines pratiques restent perçues comme non compatibles avec la société française, avec en tête « le port du voile intégral » (86 % des sondés), le simple « port du voile » (61 %) et « l’interdiction de montrer l’image du prophète Mahomet » (48 %). Le sacrifice du mouton lors de l’Aïd el-Kebir, les prières, l’interdiction de consommer du porc ou de l’alcool et le jeûne du ramadan sont, eux, de mieux en mieux acceptés.
Prises une par une, ces opinions ne sont pas islamophobes, c’est leur cumul qui l’est. S’agit-il d’une aversion due à un attachement à certaines valeurs – laïcité, droits des femmes et des minorités sexuelles – que l’islam menacerait ? Pas du tout : « Ceux qui ont le score le plus élevé d’aversion à l’islam sont aussi ceux qui ont le plus de préjugés sur la place des femmes au foyer, l’homosexualité, et le moins d’attachement à la laïcité », souligne Magali Lafourcade.
Quant aux préjugés antisémites, ils touchent une part minoritaire mais non négligeable de la population. 20 % des personnes interrogées jugent que « les juifs ont trop de pouvoir en France », 38 % qu’ils « ont un rapport particulier à l’argent » ou 39 % que « pour les juifs français, Israël compte plus que la France ».
Face à la thèse d’un nouvel antisémitisme, propre à l’extrême gauche et aux musulmans, qui prendrait les habits de l’antisionisme et de la critique de l’État d’Israël, la CNCDH se montre très prudente depuis plusieurs années. « À la différence des actes antisémites, très liés, depuis le déclenchement de la Seconde Intifada, aux péripéties du conflit israélo-palestinien, les opinions restent structurées par les vieux stéréotypes liés au pouvoir, à l’argent, à la suspicion de double allégeance », soulignent les auteurs.
La vision négative d’Israël est plus fréquente à l’extrême gauche et à l’extrême droite, mais elle ne s’accompagne des préjugés antijuifs classiques (argent, pouvoir, etc.) qu’à l’extrême droite.
En fait, l’enquête révèle une forte cohérence du racisme, quel que soit le groupe minoritaire visé. « Majoritairement, quand vous n’aimez pas les Noirs, vous n’aimez pas non plus les Arabes, les juifs, les musulmans, ni même une minorité issue d’un pays imaginaire, résume Magali Lafourcade. Et il y a également de fortes probabilités pour que vous ayez un problème avec les personnes handicapées, les minorités sexuelles, et le fait que les femmes aient trop de pouvoir. » Cet ethnocentrisme est, de plus, souvent lié à une vision autoritaire de la société (demandant plus de hiérarchie, le rétablissement de la peine de mort, etc.).
La tendance décrite pousse à l’optimisme, avec une « montée structurelle de la tolérance » portée par la hausse du niveau d’études et le renouvellement générationnel. Contrairement aux idées reçues, les préjugés ne sont pas une conséquence de l’âge, mais plutôt de l’époque dans laquelle une personne a été socialisée. Ainsi le racisme biologique, encore très présent après la Seconde Guerre mondiale, tend-il à disparaître. Autrement dit, les personnes âgées ne sont pas plus conservatrices du fait de leur âge, mais parce qu’elles « reflètent le sens commun de l’époque dans laquelle [elles] ont grandi en matière de préjugés ».
« Plus une société s’ouvre, plus les pôles extrêmes se crispent »
Pour la deuxième année après un pic en 2015, les actes racistes, antisémites et antimusulmans – regroupant menaces et actions violentes – recensés par le ministère de l’intérieur ont baissé en 2017. Mais les actions violentes dirigées contre les minorités sont en hausse, particulièrement celles dirigées contre les musulmans (de 67 à 72) et contre les juifs (77 à 97). Ces 950 actes au total, recensés en 2017 par le Service central du renseignement territorial (SCRT) au terme d’un recoupement avec le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et le Conseil français du culte musulman (CFCM), ne représentent toutefois qu’une goutte d’eau dans l’océan des actes racistes commis en France.
Actes racistes, antisémites et antimusulmans recensés par le SCRT. Actes racistes, antisémites et antimusulmans recensés par le SCRT.
Depuis 2015, grâce à une remontée automatique des infractions constatées, le ministère de l’intérieur dispose d’un nouveau chiffre, un peu plus exhaustif. C’est celui du nombre de procédures transmises par la police et la gendarmerie aux parquets pour les infractions commises « en raison de la race, de l’origine, de l’ethnie ou de la religion ». Mais ce nouvel outil ne permet pas de différencier les groupes minoritaires visés. En 2017, 8 730 infractions en relation explicite avec la race, l’origine, l’ethnie ou la religion ont été enregistrées en France. Là encore, les actes enregistrés diminuent depuis deux ans (environ 11 000 procédures en 2015 et 9 000 en 2016).
Mais ce chiffre reste largement sous-estimé, car très peu de victimes déposent plainte : environ 3 % pour les injures racistes, 17 % en cas de menaces et 30 % en cas de violences racistes. Comment expliquer le décalage entre cette description d’une société plus tolérante et la récurrence d’agressions très violentes, visant notamment des juifs, qui ont marqué l’opinion ?
On pense à la tuerie de l’école juive à Toulouse en mars 2012, à l’attentat contre l’HyperCacher en janvier 2015, à l’attaque à la machette d’un enseignant juif à Marseille en janvier 2016, à l’assassinat de Sarah Halimi à Paris en avril 2017, ou à la récente agression d’un écolier juif à Sarcelles.
« On constate une baisse globale des actes racistes, mais une tendance à la hausse des violences, en particulier les plus graves, confirme Magali Lafourcade. Mais comme on l’avait vu au moment des débats sur le mariage homosexuel, plus une société s’ouvre, plus les pôles les plus extrêmes se crispent et se retournent contre les minorités. Cela paraît antinomique, mais cette violence accompagne un mouvement de société vers la reconnaissance d’une égale dignité de chacun. »
Faute d’étude en France, les profils et motivations des auteurs de ces actes racistes restent mal connus. « Nous avons besoin d’études pour comprendre ce qui se joue dans le passage à l’acte afin de mieux les prévenir, dit Magali Lafourcade. Nous réclamons depuis des années au ministère de la justice d’examiner toutes les procédures de racisme avec une analyse de l’auteur et la victime. » La CNCDH aimerait également mener une étude sur les préjugés interethniques, pour notamment mettre à l’épreuve des faits la thèse d’un antisémitisme spécifique aux populations originaires d’Afrique du Nord, et vice versa.
La très grande majorité des plaintes concernent des provocations, injures et diffamations. Les menaces, discriminations et atteintes aux personnes et aux biens sont plus rares, mais plus marquantes pour l’opinion publique. Le traitement judiciaire de ces plaintes laisse songeur. Elles sont bien plus souvent classées sans suite que les autres (une affaire sur deux), généralement pour infraction insuffisamment caractérisée ou auteur non identifié. « Quand on ne cherche pas, qu’il n’y a pas de volonté ou de moyens de porter des investigations fouillées, on a moins de réponse pénale », pointe Magali Lafourcade.
Les chiffres officiels prennent également mal en compte les discours de haine sur les réseaux sociaux, alors que la CNCDH observe « un glissement des discours de haine des anciens supports (tracts, courriers, etc.) vers Internet ». Le 19 mars, lors de la présentation du nouveau plan contre le racisme et l’antisémitisme, le premier ministre Édouard Philippe a annoncé la possibilité pour les enquêteurs d’opérer sous pseudonyme, comme c’est déjà le cas en matière de pédopornographie et de terrorisme. Il a confirmé que le gouvernement entendait modifier la loi LCEN (loi pour la confiance dans l’économie numérique) de 2004 pour « renforcer les obligations de détection, de signalement, de suppression et de prévention de contenus illicites » pour les hébergeurs. Cette mission a été confiée à un groupe de travail, constitué de la députée LREM Laetitia Avia, de Karim Amellal et de Gil Taïeb, coprésident du Crif.
Dans un entretien à Mediapart, Félix Tréguer de La Quadrature du Net pointe un risque de « censure privée » par les hébergeurs [12], qui remette en cause la liberté d’expression sur Internet. La CNCDH est favorable à cette réforme. « Les zones grises ne sont pas si fréquentes, estime Magali Lafourcade. Si les hébergeurs supprimaient déjà tous les contenus manifestement racistes, antisémites, homophobes, et sexistes, tout le monde s’en porterait bien mieux. »
Louise Fessard
• MEDIAPART. 22 mars 2018 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/220318/racisme-les-prejuges-reculent-pas-forcement-les-actes-violents?onglet=full
• Les articles de Louise Fessard sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/louise-fessard