Que les tycoons hongkongais soutiennent publiquement la politique du gouvernement central chinois n’a rien d’étonnant : c’est une monnaie d’échange pour assurer le bon fonctionnement de leurs affaires. Que des banques privées étrangères s’impliquent dans le débat, c’est chose plus rare, surtout quand il s’agit d’un dossier aussi sensible que la loi anti-subversion que Pékin s’apprête à promulguer sur le territoire semi-autonome, secoué depuis un an par une révolte politique.
Pourtant, coup sur coup, les établissements britanniques HSBC et Standard Chartered, qui tirent le gros de leurs revenus d’Asie, ont donné leur aval à la loi de sécurité nationale, gage, selon eux, d’un « retour à la stabilité ». Peu d’entreprises ont ainsi publiquement prêté allégeance, mais les pressions sont fortes et pourraient entamer l’attractivité du centre financier international.
Selon un sondage commandé par la chambre de commerce générale de Hong Kong, plus de la moitié de ses 4 000 membres estiment que la loi en cours de rédaction à Pékin aura un impact positif ou nul sur leurs affaires à long terme. Toutefois, une même faible majorité qualifie la loi anti-subversion de « controversée » et redoute un impact négatif à court terme, citant comme principale source de préoccupation de possibles sanctions étrangères.
Les États-Unis pourraient frapper le plus fort. Rien de concret n’a pour l’instant été ordonné en représailles à la manœuvre de Pékin, mais Donald Trump a asséné le 30 mai que Hong Kong « a perdu son autonomie », garantie jusqu’à 50 ans après la rétrocession de 1997. Or, c’est sur la base du principe « un pays, deux systèmes » que les États-Unis ont réservé au petit territoire un traitement fiscal et commercial distinct de celui accordé à la Chine continentale, avec des tarifs douaniers spécifiques et un change fixe entre les dollars hongkongais et américain – traitement qui a contribué à hisser Hong Kong au rang de pôle financier mondial.
Sans aller jusqu’à annuler le statut spécial, Washington pourrait dans un premier temps choisir une frappe de moindre envergure, et s’en prendre à des officiels chinois et hongkongais, à leurs entreprises ou avoirs aux États-Unis. « Ça ne serait pas la peine d’en frapper 200, une vingtaine suffira à faire peur et à faire planer la menace sur les entités chinoises, même si elles n’ont pas de lien direct avec le Parti communiste chinois », commente un analyste économique sous le couvert de l’anonymat. Les États-Unis pourraient aussi modifier le traitement réservé à Hong Kong sur le contrôle des exportations, ce qui affecterait son rôle en tant qu’entrepôt de produits technologiques et centre d’importation de ces équipements pour la Chine.
En dernier lieu, le scénario d’une remise en cause du dollar hongkongais pénaliserait grandement l’économie chinoise et anéantirait la stature internationale de Hong Kong. Mais il paraît improbable que Trump en vienne à utiliser « cette bombe atomique », selon des analystes. D’autant que plus de 1 300 entreprises américaines et quelque 85 000 citoyens américains sont présents à Hong Kong.
Quel que soit le niveau des représailles, « les sanctions américaines risquent d’entamer la confiance. Le problème est que les écosystèmes sont tellement imbriqués aujourd’hui que toute la chaîne de valeur risque de bouger », commente un entrepreneur français spécialisé dans le conseil en stratégie. « Nos clients sont des acteurs financiers qui ont établi leur siège à Hong Kong du fait même de son statut spécial, car ils ont confiance dans le système légal et savent qu’en cas de problèmes, un arbitrage est possible. S’ils déménagent, nous déménagerons aussi », ajoute ce jeune patron, qui a récemment ouvert une antenne à Singapour, « un filet de sécurité ».
Dans l’immédiat, la future loi chinoise, dont les détails ne sont pas encore connus, ne l’inquiète pas. « Tant qu’on reste dans les clous et qu’on ne fait pas d’espionnage économique, il n’y a pas de problème, selon lui. L’inquiétude est plus sur les risques sociaux et les protestations » en réaction au texte, et qui pourraient plomber un environnement économique déjà morose. Hong Kong est en récession, sous les effets conjugués de la guerre commerciale entre Pékin et Washington, des mois de manifestations anti-régime et du Covid-19.
Le tourisme s’est effondré de 99 % à cause de la pandémie. Dans ce contexte, les entreprises françaises, notamment celles du luxe et de l’alimentaire, se sentent moins concernées par le projet de loi que par le retour du chiffre d’affaires et des clients, surtout ceux de Chine continentale. Rares sont ceux à ouvertement évoquer des projets de délocalisation. « Mon patron est de plus en plus mal à l’aise quand il traite avec les Chinois. Les risques politique et les pressions sont l’un des facteurs d’explication de notre désir de nous installer ailleurs qu’en Chine », commente sous le couvert de l’anonymat un salarié d’une entreprise américaine de textile.
À court terme, l’attractivité de Hong Kong ne devrait pas être affectée, car Pékin restera modéré, estiment les analystes interrogés, rappelant que la majorité des investissements étrangers directs de et vers la Chine continentale transitent par Hong Kong. La région administrative spéciale reste en outre le principal laboratoire pour l’internationalisation de la monnaie chinoise, et l’actualité récente a illustré son rôle majeur joué en tant que place boursière. Le numéro 2 chinois des jeux vidéo NetEase vient ainsi de faire une cotation secondaire à Hong Kong, le géant du commerce en ligne JD.com s’apprête à faire de même, prouvant combien Hong Kong est utile aux entreprises chinoises pour atténuer leur dépendance à Wall Street.
« Hong Kong en tant que ville internationale et centre financier majeur ne va pas changer du jour au lendemain », note Anthony Chan, responsable de la stratégie investissements Asie à la banque suisse l’Union bancaire privée. Selon lui, « c’est un défi de remplacer Hong Kong à court terme ». Les bourses de Shenzhen et Shanghai ne servent encore que le marché intérieur chinois et « Singapour ne peut pas non plus remplacer Hong Kong comme centre offshore majeur de financement et centre de réexportation pour la Chine continentale ».
Pour l’instant, la principale controverse débattue à Hong Kong est de savoir dans quelle mesure la Chine appliquera sa loi, et si celle-ci sera rétroactive, résume M. Chan. Autre inquiétude : la libre circulation des informations. « C’est un socle pour le centre financier et notre activité, commente Jason Tui, PDG de MioTechs, qui collecte des données et les revend aux entreprises financières. La loi ne devrait pas affecter ce point-là, sinon Hongkong ne sera plus ce qu’elle est aujourd’hui. »
Margot Clément