Nous allons vers une nouvelle crise de la dette. Déjà en juillet 2019, le FMI signalait que parmi les pays à faibles revenus, 9 étaient surendettés et 24 sur le point de le devenir. La dette souveraine extérieure des pays du Sud est une source d’inquiétude, notamment en raison de son augmentation spectaculaire au cours des deux dernières décennies et aussi en raison des similitudes avec la situation d’endettement des pays du tiers monde avant la crise, dans les années 1980. En outre, la crise économique signifie que les pays du Sud qui dépendent de leurs exportations auront du mal à faire rentrer des devises fortes, que les transferts de fonds vont diminuer considérablement et que les investissements financiers seront faibles. La capacité de ces pays à assurer le service de la dette existante sera donc mise à rude épreuve. Les gouvernements renfloueront également les entreprises privées, ce qui ajoutera une pression énorme sur le trésor public.
L’Asie du Sud ne fait pas exception et se trouve dans une situation similaire. La région est confrontée à d’énormes défis pour faire face à la pandémie de Covid-19 et à ses conséquences. La principale préoccupation de la région est, bien évidemment, la fragilité des systèmes de santé. L’annonce quotidienne des décès et des hospitalisations a intensifié les craintes liées au virus, aggravées par l’absence d’un système de santé publique viable. À cela s’ajoutent la pauvreté, la vulnérabilité, l’insécurité et la précarité généralisées qui ne manqueront pas de s’amplifier avec la propagation de la pandémie. Une certaine morosité règne alors que nous terminons plus de deux mois de confinement.
Dans la région, cette catastrophe exacerbe l’insécurité et la précarité déjà existantes. En raison des privatisations agressives menées au cours des trois dernières décennies, les infrastructures de santé publique de la région ne peuvent pas faire face à une pandémie d’une telle ampleur. L’Asie du Sud est loin de disposer de normes de soins de santé adéquates, notamment en ce qui concerne les médecins, les infirmières, les sages-femmes, les lits d’hôpitaux et les centres de soins de santé de première ligne. L’écrasante majorité de la population n’a pas accès aux soins de santé publics et pendant la pandémie les établissements privés se sont révélés totalement irresponsables en refusant de soigner les personnes atteintes de Covid-19 en qui ils voyaient des vecteurs de contamination. Cela a entraîné un accès difficile aux soins, en particulier pour les femmes, les enfants et les autres groupes sociaux défavorisés.
Outre les menaces qui pèsent sur les soins de santé, dans toute la région, des millions de travailleurs migrants et de salariés journaliers sont restés bloqués pendant des mois, impuissants, loin de chez eux, faisant face à un avenir incertain sans argent, sans nourriture et sans emploi. Selon l’OIT, près de la moitié de la main-d’œuvre mondiale - 1,6 milliard de personnes - est en danger immédiat de voir privés de tout moyen de subsistance. Il est clair que l’Asie du Sud sera disproportionnellement impactée, car les économies régionales abritent le plus grand nombre de travailleurs précaires de la planète. Pour des millions de travailleurs, l’absence de revenu signifie pas de nourriture, pas de sécurité et pas d’avenir. Des millions d’entreprises dans le monde respirent à peine et ce sont les plus petites qui ont le moins recours aux ressources nécessaires en temps de crise aussi grave. Les travailleurs indépendants et contractuels sont également en danger imminent de voir leurs moyens de subsistance disparaître.
Les dangers multiformes dus à la pandémie ne peuvent être combattus qu’en reconstruisant les systèmes de santé publique, en renforçant les mesures de protection sociale, y compris les allocations de chômage et les indemnités de subsistance, en particulier pour les personnes travaillant dans l’économie informelle et les autres personnes vulnérables. Cela impliquerait d’énormes dépenses publiques et des investissements dans le secteur social, mesures qui ont été supprimées au cours des quatre dernières décennies.
Les difficultés sont aggravées par la dette publique extérieure des économies régionales qui a presque doublé entre 2009 et 2018, passant de $366,201 milliards à $730,063 milliards. Cette dette est imposée par les institutions financières internationales (BM et FMI) avec la complicité des classes dirigeantes de nos pays. Il est à noter que la plupart des pays consacrent une part importante de leurs revenus au service de la dette, le Sri Lanka et le Pakistan ayant la dette la plus élevée par rapport au PIB et également, le ratio dette/revenus le plus haut. La crise de la dette va aggraver une situation déjà mauvaise en ce qui concerne la capacité de ces pays à rembourser leurs emprunts. L’Asie du Sud elle-même était déjà l’une des régions les plus pauvres. Si le fardeau actuel de la dette n’est pas allégé, les pays de cette région seront plus vulnérables et pris au piège de la crise.
En l’état actuel des choses, la crise de la dette a une dynamique d’auto-renforcement. L’augmentation du service de la dette et la détérioration des investissements dans les pays en développement se traduiront par des transferts nets de ressources des pays en développement vers les pays développés. Cela empêchera la formation de capital intérieur et entraînera également une ponction sur les précieuses recettes en devises.
Toute lutte efficace contre la pandémie de Covid-19 nécessite d’énormes ressources et, par conséquent, les ressources limitées des pays d’Asie du Sud devraient être consacrées à la lutte contre la pandémie plutôt qu’au remboursement des créanciers internationaux. Dans ces circonstances, nous demandons l’annulation de toutes les dettes illégitimes des pays d’Asie du Sud. Organe des Nations unies chargé des questions de commerce, d’investissement et de développement, la CNUCED reconnaît également que les dettes de nombreux pays du Sud doivent être annulées. Elle a également précisé que les pays débiteurs peuvent se déclarer unilatéralement en cessation de paiements sans que les créanciers puissent exiger des arriérés à l’avenir.
L’annulation de la dette extérieure des pays de la région leur permettrait de libérer des ressources vitales pour reconstruire les infrastructures de santé publique, ainsi que de satisfaire d’autres besoins urgents dans ce contexte économique, menacé par une forte baisse des revenus, une perte d’impôts et de recettes et une augmentation des dépenses.
Il est également nécessaire de s’engager sur une voie de développement qui donne la priorité aux besoins des peuples plutôt qu’aux intérêts des puissants et de la classe possédante. Les ressources nécessaires à de tels développements pourraient être libérées par l’annulation des dettes publiques. Un audit citoyen est également nécessaire pour identifier les parties illégitimes, odieuses et illégales et exiger leur répudiation. Les arguments juridiques de l’état de nécessité, du changement fondamental de circonstances et/ou de la force majeure pourraient être invoqués pour soutenir une telle répudiation souveraine unilatérale.
Nous exigeons aussi :
- L’annulation permanente de toutes les dettes illégitimes, y compris les dettes bilatérales, multilatérales et privées, pour tous les pays d’Asie du Sud, en particulier ceux qui sont lourdement endettés et dont les prévisions de croissance économique sont faibles.
- La constitution d’un comité d’audit de la dette par les citoyens pour déterminer la part illégitime des dettes.
- La diffusion auprès des citoyens des informations nécessaires sur les dépenses pour un meilleur suivi et la détermination de priorités.
- L’utilisation par les gouvernements d’Asie du Sud des ressources supplémentaires obtenues grâce à l’allégement de la dette pour renforcer le système de santé et protéger les moyens de subsistance. Ces ressources ne doivent pas être détournées à d’autres fins.
- La suspension dus paiement des prêts aux ménages et des microcrédits jusqu’à ce que les pays soient totalement hors de portée du coronavirus.
- Le remplacement des institutions de microcrédit par des coopératives autogérées par la population locale et par un service public de crédit accordant des prêts à des taux d’intérêt nuls ou très bas.
- La fin des privatisation de services publics et de la promotion des partenariats public-privé (PPP) dont le but ultime est de mobiliser l’argent public pour nourrir le secteur privé.
- L’utilisation de cette opportunité pour mobiliser les recettes intérieures par une imposition progressive sur les grandes richesses.
- La réduction du budget de la défense dans la région.
- Un changement radical des politiques de prêt actuelles menées par les institutions financières internationales, notamment le FMI, la Banque mondiale et d’autres groupes informels qui alimentent essentiellement les asymétries Nord/Sud.
- Un financement supplémentaire d’urgence au Sud - hors aide publique au développement - au moyen de prêts à taux zéro, remboursables en tout ou en partie dans la monnaie souhaitée par les pays débiteurs.
- L’expropriation des « richesses mal acquises » par l’élite, les riches et les classes dominantes et leur rétrocession aux populations concernées et sous leur contrôle.
- Le remplacement de l’aide publique au développement sous sa forme actuelle par une forme inconditionnelle d’obligations des pays développés dans le cadre de la réparation et de la solidarité.
- L’adoption de politiques visant une transition juste.
Signatories :
- All Nepal Peasants’ Federation (ANPFa)
- Alliance for Economic Democracy (AED), Sri Lanka
- Alliance for Tax and Fiscal Justice, Nepal
- ARCADE, Senegal
- Asia-Pacific Regional CSOs Engagement Mechanism- South Asia Working Group
- Asian Peoples Movement on Debt and Development (APMDD)
- Association of Development Agencies in Bangladesh (ADAB)
- Assosa Environmental Protection Association (AEPA), Ethiopia
- ATTAC Japan
- AwazCDS-Pakistan
- Bangladesh Adivasi Samity
- Bangladesh Bhumiheen Samity
- Bangladesh Kishani Sabha
- Bangladesh Krishok Federation
- Bangladesh Nari Progati Sangha (BNPS)
- Bangladesh Working Group on External Debt (BWGED)
- Be the Change Organisation, Afghanistan
- Beyond Beijing Committee (BBC), Nepal
- Bharatiya Muslim Mahila Aandolan (BMMA)
- CAHURAST, Nepal
- Centre for Equity Studies (CES)
- Centre for Peace Studies, India
- Children as Zone of peace National Campaign, Nepal
- CLEAN (Coastal Livelihood and Environmental Action Network), Bangladesh
- Coastal Association for Social Transformation Trust (COAST Trust), Bangladesh
- Collective for Economic Justice (CEJ), India
- Commercial & Industrial Workers’ Union (CIWU), Sri Lanka
- Committee for the Abolition for Illegitimate Debt (CADTM), India
- Committee for the Abolition for Illegitimate Debt (CADTM) South Asia
- Committee for the Abolition for Illegitimate Debt (CADTM), Pakistan
- Community Self Reliance Centre (CSRC), Nepal
- Coorg Organisation for Rural Development (CORD), India
- Crofter Foundation, Pakistan
- Dabindu Collective, Sri Lanka
- Dalit NGO Federation (DNF), Nepal
- Development and humanitarian service for Afghanistan (DHSA)/TKG
- Democratic Budget Movement (DBM), Bangladesh
- Development Synergy Institute (DSI), Bangladesh
- DIGNIDAD Coalition, Philippines
- Digo Bikas Institute(DBI), Nepal
- Environics Trust, India
- Equity and Justice Working Group (EquityBD), Bangladesh
- Federation of Community Forestry Users Nepal (FECOFUN)
- Federation of Media Employee’s Trade Unions, Sri Lanka
- Feminist Dalit Organization (FEDO), Nepal
- FIAN Nepal
- Fight Inequality Campaign, Nepal
- Fight Inequality South Asia
- Focus on the Global South
- Food Sovereignty and Climate Justice Network, Nepal
- Free Trade Union Development Center (FTUDC), Sri Lanka
- Freedom from Debt Coalition (FDC), Philippines
- Growthwatch, India
- Hami DajuVai, Nepal
- Haqooq Khalq Movement, Pakistan
- Himalaya Niti Abhiyan (HNA), India
- Hosiery Workers Unity Centre, India
- Humanitarian Accountability Monitoring Initiative (HAMI), Nepal
- INCIDIN Bangladesh
- Indian Oil Petronas Contractor’s Shramik Union
- Indian Social Action Forum (INSAF)
- INHURED International
- Institute for Environment and Development (IED), Bangladesh
- Jagaran Nepal
- JusticeMakers Bangladesh
- Karnali Integrated Rural Development and Research Centre (KIRDARC) Nepal
- KYRHDO, Ethiopia
- Labour Education Foundation (LEF), Pakistan
- L’Association Nigérienne des Scouts de l’Environnement ( ANSEN)
- LDC News Service
- LDC Watch
- Left Voice (Wame Handa), Sri Lanka
- Liberation Movement, Sri Lanka
- Madan Bhandari School of Asia (MBSA), Nepal
- Maldives NGO Federation, Maldives
- Manitham Trust, India
- mines, Minerals and People (mMP), India
- Movement for National Land and Agriculture Reforms (MONLAR), Sri Lanka
- National Adivasi Alliance, India
- National Alliance for Human Rights and Social Justice (Human Rights Alliance), Nepal
- National Alliance of Right to Food Networks, Nepal
- National Campaign for Sustainable Development Nepal
- National Campaign on Dalit Human Rights (NCDHR), India
- National Fisheries Solidarity Movement (NAFSO), Sri Lanka
- National Indigenous Women Forum (NIWF), Nepal
- National Women Peasants’ Association, Nepal
- Nepal Climate Change Federation
- Nepal Institute of Peace (NIP)
- Nepal Integrated Development Initiatives
- Nepal Youth Peasants Association
- NGO Forum on ADB
- Oxfam India
- Pakistan Fisherfolk Forum (PFF)
- Pakistan Institute of Labour Education and Research (PILER)
- Pakistan Kissan Rabita Committee (PKRC)
- Pakistan Peace Coalition
- Participatory Research in Asia (PRIA)
- Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA), Haiti
- Praja Abilasha Land Rights Network, Sri Lanka
- Progressive Labour Federation, Pakistan
- Progressive Plantation Workers’ Union (PPWU), India
- Progressive Students Collective, Pakistan
- Resource Centre for Primary Health Care (RECPHEC), Nepal
- Safety and Rights Society (SRS), Bangladesh
- Sanayee Development Organisation (SDO), Afghanistan
- SAVISTRI Women’s Organization-Sri Lanka
- SDGs National Network Nepal
- South Asia Alliance for Poverty Eradication (SAAPE)
- South Asia Food Sovereignty Network
- South Asia Peasants’ Coalition
- South Asia Tax and Fiscal Justice Alliance (SATaFJA)
- Swatantrata Abhiyan Nepal (SAN)
- United Federation of Labour (UFL), Sri Lanka
- Urja Nepal
- Uttar Banga Sangrami Biri Sharmik Union, India
- Voices for Interactive Choice and Empowerment (VOICE), Bangladesh
- Women Welfare Society (WWS), Nepal
- Women’s Collective, Pakistan
Individu/e/s
- Prof. Anuradha Chenoy
- Prof. Kamal Mitra Chenoy
- Dr. Bimala Rai Paudyal, Member, National Assembly, Federal Parliament of Nepal
Traduction vers le français par Christine Pagnoulle et Mike Krolikowski
Collectif
Christine Pagnoulle
Mike Krolikowski
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