L’Asie du Sud-est est-elle en train de suivre le chemin de l’Amérique latine en termes de disparitions forcées ? s’interroge le site Internet The Diplomat. Los desaparecidos, comme on les nomme en espagnol, sont “ces militants, dissidents ou simples personnes qui disent des choses qui ne plaisent pas, qui disparaissent soudainement et dont on n’entend plus jamais parler”, détaille le site.
“Parfois, leurs corps sont retrouvés des années plus tard, mais souvent ils sont perdus à jamais.”
Cette “tragédie” des pays d’Amérique latine “devient une caractéristique de la scène politique en Asie du Sud-Est”, estime le journal. Un constat qui fait suite à l’enlèvement par des hommes armés, le 4 juin, de Wanchalearm Satsaksit, un militant thaïlandais pour la démocratie qui vivait à Phnom Penh, la capitale du Cambodge, où il avait trouvé refuge.
Le site suggère, en s’appuyant notamment sur les propos du journaliste Andrew MacGregor Marshall, que l’enlèvement aurait été “ordonné par le roi de Thaïlande Vajiralongkorn et supervisé par son chef de la sécurité, Jakrapob Bhuridej”.
Huit disparitions inquiétantes depuis 2014
La Thaïlande a connu depuis 2006 une série de coups d’État militaires. Le plus récent date de 2014. Les élections de l’année dernière, dont les résultats ont été contestés par l’opposition, , ont permis à l’ancien chef de la junte d’être reconduit à la tête du gouvernement en tant que Premier ministre.
Selon l’organisation des droits de l’homme américaine Human Rights Watch, “au moins huit dissidents thaïlandais en exil ont été victimes de disparitions forcées depuis le coup d’État militaire de 2014”. The Diplomat évoque le cas de cinq dissidents thaïlandais disparus au Laos depuis 2016. “Les corps de deux d’entre eux ont été retrouvés dans le Mékong, leurs estomacs remplis de béton”, précise le site.
Des dissidents laotiens ont aussi disparu en Thaïlande, rappelle le journal, évoquant notamment le cas d’Od Sayavong, un militant prodémocratie, qui manque à l’appel depuis août dernier alors qu’il vivait à Bangkok, la capitale thaïlandaise.
“Sans doute, rappelle The Diplomat, le cas de disparition le plus connu dans la région concerne Sombath Somphone, un Laotien, membre de la société civile, que l’on n’a plus revu après son arrestation par la police en 2014. Nous ne savons pas ce qui s’est passé – même si le plus probable est qu’il ait été la cible du gouvernement communiste.”
Chasse à l’homme dans les pays voisins
Des exemples qui démontrent que non seulement les partisans de la démocratie disparaissent dans leurs propres pays, mais également dans les pays voisins – “souvent avec la connivence du gouvernement local”, souligne le site.
Pour The Diplomat, il devient donc évident que non seulement le Cambodge, le Vietnam, le Laos et la Thaïlande sont dirigés par des gouvernements autoritaires, mais qu’ils “organisent désormais la répression de façon réciproque, poursuivant les dissidents de leurs voisins en fuite, allant même, selon certaines affirmations, à fermer les yeux quand des membres des services spéciaux de leurs voisins entrent sur leur territoire pour y faire la chasse à leurs ressortissants exilés”.
Une manière pour les gouvernements de la région d’inciter leurs opposants à quitter la région.
“Une tactique maligne”, souligne The Diplomat, tant les militants en faveur de la démocratie ne sont pas suffisamment riches pour s’installer à Singapour, en Corée du Sud ou à Taïwan, destinations qui pourraient sans doute leur garantir une plus grande sécurité, tout en restant à proximité de leur pays d’origine.
Seule solution : s’exiler plus loin
De fait, “la plupart d’entre eux se contentent de traverser la frontière, de la Thaïlande vers le Laos ou vice versa, par exemple. Une manière de ne pas trop s’éloigner s’ils doivent rentrer rapidement, mais également un moyen de s’intégrer à la communauté d’expatriés déjà installée dans le pays, la Thaïlande ayant une forte communauté cambodgienne, tout comme de nombreux Thaïlandais vivent au Laos et de nombreux Laotiens en Thaïlande.”
En rendant ainsi la vie de leurs opposants dangereuse dans les pays voisins, les gouvernements autoritaires les poussent à s’exiler plus loin, d’où ils doivent nécessairement prendre l’avion pour revenir. Ce qui permet de contrôler plus facilement leurs déplacements voire de les intercepter à leur retour.
C’est ce qui est arrivé à Sam Rainsy. L’opposant historique au Premier ministre cambodgien Hun Sen, en exil en France depuis quatre ans, n’a pu rentrer au Cambodge en novembre dernier, Hun Sen ayant persuadé ses voisins d’empêcher l’arrivée sur leur sol de sa bête noire.
“En résumé, l’Asie du Sud-Est est en train de créer un espace dans lequel aucun militant ne peut se sentir en sécurité. Pour beaucoup, la seule solution revient à quitter la région.”
Courrier International
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.