La journée de mardi 9 a marqué le début, il y a un an, des manifestations pro-démocratie à Hong Kong mais, en ce jour anniversaire, une mobilisation d’une ampleur similaire semblait peu probable.
Aux nombreuses arrestations qui ont porté un sérieux coup au mouvement, s’ajoutent les mesures prises pour lutter contre le nouveau coronavirus qui interdisent tout rassemblement de plus de huit personnes ainsi que l’imminence de l’entrée en vigueur de la loi sur la sécurité nationale.
L’an dernier, le 9 juin 2019, c’était une foule immense qui était descendue dans les rues du territoire semi-autonome pour s’opposer à un projet de loi autorisant les extraditions vers la Chine continentale. Ce jour-là avait marqué le coup d’envoi de sept mois consécutifs de manifestations monstres.
Cependant, très vite, les affrontements entre la police et les manifestants étaient devenus fréquents, divisant la population et portant un sérieux coup à la réputation de stabilité de la métropole.
Mardi 9, au moment de la pause déjeuner, des manifestations spontanées ont été organisées dans différents centres commerciaux de la ville. Elles n’ont cependant rassemblé que quelques centaines de personnes.
« Je manifesterai tant qu’il y aura des manifestations et je m’assiérai tant qu’il y aura des rassemblements », a affirmé à l’AFP une trader âgée d’une cinquantaine d’années, Ng, qui se rend régulièrement en Chine. « Je sais comment cela se passe là-bas et je ne peux pas accepter que ce type de système prenne racine à Hong Kong ».
Les forums de messageries utilisées par le mouvement de contestation appellent les habitants à se mobiliser mardi soir pour marquer ce premier anniversaire.
Mardi, la cheffe de l’exécutif hongkongais, Carrie Lam, nommée par Pékin mais dont la cote de popularité est au plus bas, a été assaillie de questions de journalistes au sujet de ces troubles.
« Hong Kong ne peut pas se permettre un tel chaos », a-t-elle tonné, ajoutant que toutes les parties devaient en « tirer des leçons ».
Les habitants ont besoin de « prouver que les Hongkongais sont des citoyens raisonnables et sensés de la République populaire de Chine » s’ils veulent le maintien de leurs libertés et de leur autonomie, a averti Mme Lam.
L’ex-colonie britannique a été rétrocédée à la Chine en 1997 aux termes d’un accord qui garantissait au territoire une autonomie et des libertés inconnues sur le continent jusqu’à 2047, selon le principe « un pays, deux systèmes ».
« Combat de longue haleine »
Au cours de la dernière décennie, un mouvement de contestation à vu le jour, nourrit par la crainte d’une érosion des libertés dans cette métropole financière, ce que Pékin a toujours nié.
Selon des spécialistes, la marge de manœuvre de l’opposition hongkongaise s’est réduite depuis l’an dernier.
– « Je ne pense pas que la colère se soit beaucoup calmée, mais le problème est que de nombreuses actions ne sont plus autorisées dans les circonstances actuelles », a expliqué à l’AFP Leung Kai-chi, analyste à l’Université chinoise de Hong Kong (CUHK).
– « Les gens attendent une opportunité, bien sûr qu’ils veulent à nouveau manifester... mais ils ne le feront pas de manière irréfléchie », selon Francis Lee, responsable de l’école de journalisme de CUHK.
La mobilisation pro-démocratie était née l’an dernier du rejet de projet de loi d’extradition. Si ce texte a depuis été retiré, les manifestants ont entretemps élargi leurs revendications. Ils demandent notamment l’instauration d’un véritable suffrage universel et une enquête indépendante sur le comportement de la police. Toutes ces demandes ont été rejetées par l’exécutif local et Pékin.
En réaction, la Chine a décidé l’adoption à Hong Kong d’un projet de loi qui prévoit de punir les activités séparatistes, « terroristes », la subversion, ou encore les ingérences étrangères dans le territoire. Pékin a assuré que cette mesure ne concerne « qu’une petite minorité » et qu’elle permettra de rétablir la confiance des milieux d’affaires.
Les opposants redoutent qu’elle n’entraîne une répression politique sur le territoire hongkongais similaire à celle que connait la Chine continentale.
« D’abord (Pékin) fait perdre aux Hongkongais leur cœur et leur âme et puis il cherche à les obliger à être loyaux », a affirmé Kong Tsung-gan, un militant auteur de trois livres sur le mouvement de contestation. Selon lui, « un combat de longue haleine » attend les Hongkongais qui « devront être prêts à souffrir et à se sacrifier encore plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent ».
Depuis l’an dernier, quelque 9.000 personnes ont été arrêtés à Hong Kong pour avoir pris part aux manifestations et plus de 500 d’entre-eux ont déjà accusés d’avoir participé à des émeutes, un délit passible de dix ans d’emprisonnement.
Un an après, le manifestant radical a rendu les armes
Ryan faisait partie des manifestants hongkongais qui étaient toujours en première ligne. Un an après, redoutant une nouvelle arrestation, il ne descend plus dans la rue et se retrouve rongé par la culpabilité de ne plus participer aux rassemblements et découragé par l’avenir de sa ville.
« Je voulais m’éloigner de cet environnement politique », raconte cet étudiant âgé de 20 ans qui porte des lunettes de vue. Depuis plusieurs mois, il ne se connecte plus aux messageries cryptées utilisées par les militants pro-démocratie.
Quand l’AFP l’a rencontré pour la première fois, Ryan qui ne livre que son prénom faisait partie des manifestants toujours en tête des cortèges. Lors des affrontements, il était parmi ceux qui formaient un mur pour bloquer la police anti-émeutes.
Comme beaucoup de Hongkongais, c’est après avoir vu, il y a un an, la police faire usage de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc contre les manifestants massés autour du Parlement local qu’il s’est joint au mouvement. Les manifestants réclamaient alors le retrait d’un projet de loi visant à autoriser les extraditions vers la Chine continentale.
Durant sept mois, des centaines de milliers de personnes ont pris part à ces manifestations monstres qui, régulièrement, ont dégénéré en affrontements avec la police.
C’est très vite que Ryan a basculé dans la radicalisation et c’est sans fard qu’il décrit sa participation à ces heurts, expliquant qu’il « brûlait de colère » à l’encontre des forces de l’ordre.
Il était également mû par le sentiment que des années de manifestations pacifiques n’avaient pas permis de mettre fin à l’érosion des libertés et à l’ingérence grandissante de la Chine dans les affaires de cette région semi-autonome. Lors d’un affrontement, Ryan a été frappé à la jambe par une balle en caoutchouc. Cela ne l’a pas empêché de continuer à prendre part au mouvement, à l’insu de ses parents.
Quelques mois plus tard, il a beaucoup changé, et dit ne « plus pouvoir manifester en première ligne ».
« Préparer l’avenir »
En octobre, Ryan a été arrêté notamment pour avoir participé à un rassemblement illégal et à des heurts avec la police. Pendant sa détention, il affirme avoir été giflé et frappé à coups de pieds par des membres des forces de l’ordre. De nombreux témoignages similaires ont été recueillis mais la police nie tout usage excessif de la force. Les accusations contre lui ont fini par être abandonnées après une série d’audiences. Mais l’expérience l’a secoué et il se sent marqué par ce qu’il a vécu.
« Cela m’a donné un sentiment d’échec. Cela m’a aussi donné l’envie de renoncer à ce mouvement », affirme-t-il.
L’an dernier, quelque 9.000 personnes ont été arrêtées à Hong Kong pour avoir pris part aux manifestations. Plus de 1.700 d’entre elles ont déjà été inculpées.
La plupart des manifestants placés en détention sont des jeunes, comme Ryan qui prend régulièrement place parmi le public venu assister aux audiences. « Je veux leur témoigner mon soutien et encourager ceux qui ont été arrêtés et font l’objet d’une procédure judiciaire », explique-t-il.
Récemment, il s’est rendu au Parlement local, devant lequel ont été organisés de nombreux sit-ins pro-démocratie ces dernières années. Ses yeux se sont remplis de larmes à la vue de ce bâtiment désormais protégé par des barrières après avoir été saccagé par des manifestants début juillet.
La semaine dernière, ce même Parlement a approuvé un projet de loi controversé visant à criminaliser tout outrage à l’hymne chinois. Pékin de son côté prépare une nouvelle loi sur la sécurité qui sera imposée à Hong Kong.
Ryan a du mal à imaginer des manifestations dorénavant devant ce lieu, d’autant que les restrictions pour lutter contre le coronavirus limitent à huit personnes les rassemblements publics. « En ce moment, c’est même compliqué de se retrouver dans les rues », souligne-t-il.
Ryan a conscience que certains de ses camarades l’accuseront d’avoir quitté le mouvement et il est rongé par le doute et la culpabilité. « Je me reproche mon égoïsme et ma lâcheté », avoue-t-il. Alors, il préfère se dire qu’un jour il manifestera à nouveau et qu’il ne traverse qu’un moment d’« abandon temporaire pour préparer l’avenir ».
Les stigmates des manifestations
Des trottoirs dont les pavés ont été remplacés par du béton, des passerelles enveloppées dans du grillage, des campus gardés... Un an après le début des manifestations, le visage de Hong Kong semble à jamais transformé.
Il y a un an, le 9 juin 2019, une foule estimée à un million de personnes défilait dans le cœur de la métropole financière pour demander le retrait d’un projet de loi qui visait à autoriser les extraditions vers la Chine. Le mouvement, qui évolua vers une contestation générale des ingérences de Pékin, dura jusqu’en décembre, avec des actions quasi quotidiennes et souvent émaillées de heurts avec les forces anti-émeutes.
Etouffée par le coronavirus, la contestation peine à repartir dans les rues. Mais celles-ci présentent toujours les stigmates d’une mobilisation sans précédent depuis la rétrocession en 1997.
Ainsi l’Université Polytechnique (PolyU) qui fut en novembre le théâtre des affrontements les plus graves. Ses imposants bâtiments de briques rouges sont désormais entourés d’épaisses barrières de plastique remplies d’eau, et des gardes vérifient l’identité de quiconque souhaiterait y pénétrer.
Ces murailles blanches trop lourdes pour être bougées par des manifestants ont poussé autour de tous les bâtiments sensibles comme le Conseil législatif (LegCo, le Parlement hongkongais), certains commissariats, ministères et relais de Pékin dans la ville.
Les patrouilles comptent désormais rarement moins de quatre policiers, lesquels arborent souvent leur tenue anti-émeute verte plutôt que leur uniforme régulier bleu.
Beaucoup d’entreprises à capitaux chinois, ou accusées par les manifestants de soutenir le pouvoir communiste, ont conservé sur leurs devantures ces plaques de protection en bois accrochées quand leurs vitrines ont été défoncées par les plus radicaux.
Tirer parti du mobilier urbain
Les pavés des trottoirs qui avaient été utilisés comme projectiles n’ont pas été remplacés. Ils ont laissé place à un revêtement uniforme de béton qui ne pourra pas servir d’arme. Certains protestataires ont eu le temps d’y inscrire des slogans avant qu’il ne sèche.
Beaucoup des passerelles piétonnes enjambant les grandes artères sont emballées dans un grillage au maillage étroit, pour empêcher que des objets ne soient jetés en contrebas pour bloquer les avenues.
« Tout au long des manifestations de 2019, les manifestants ont déconstruit le tissu urbain, utilisé les infrastructures urbaines au service de leur combat », analyse auprès de l’AFP Antony Dapiran, un avocat hongkongais qui a écrit plusieurs livres sur les mouvements sociaux dans l’ex-colonie britannique.
« Quand il a compris ces tactiques, le gouvernement hongkongais a agi en conséquence, retirant tout le mobilier urbain que les manifestants détournaient pour les besoins de leur résistance et des barricades. » Pendant des mois, il ne restait plus aucune barrière métallique sur les terre-pleins centraux. Les manifestants étaient passés maîtres dans l’art de les démonter en quelques secondes avec des clés ou des visseuses-dévisseuses pour les assembler en obstacle de fortunes à grand renfort de colliers plastique.
Pendant des mois, ont aussi fleuri un peu partout des « murs de Lennon », comme autant d’œuvres d’art colorées de la contestation. Ils sont encore précieusement entretenus dans les quartiers farouchement hostiles au gouvernement.