- Une pandémie mondiale, un
- Prévisible et prévue
- Pas de bouc émissaire
- Lancet : Une menace annoncée –
- Comment la parole et le (...)
- La décrue – un moment complexe
- Sans salaire, sans chômage
- Différents scénarios : quatre
- L’immunité croisée
- Coronavirus : l’âge, principal
- Jeunes ou vieux, il faudrait
- Des approches très différencié
Commençons par rappeler que le port du masque n’est pas une question passée :
• Le virus circule encore. Il peut toujours tuer, même si les chaînes de contamination sont activement recherchées. Quand une personne porte un masque, c’est qu’elle veut protéger et être protégée. Si vous n’en portez pas, laissez-lui autant d’espace que possible.
• Des études américaines montrent que nous émettons des gouttelettes (qui portent le virus) rien qu’en parlant – jusqu’à 10.000 par secondes – et qu’elles peuvent subsister dans un lieu confiné jusqu’à 14 minutes. En plein air, les risques ne disparaissent pas, même s’ils sont plus faibles. Si vous tousser, criez, soufflez (en pédalant), le vent peut porter un petit « nuage » de postillons, avec faible dispersion, au niveau du visage d’une personne à plusieurs mètres de distance. Cette distance dépend de la force du vent (six mètres pour un vent de 15 km/h). En son absence, les gouttelettes se propagent à moins de 2 mètres (distanciation physique de référence). Sous le vent, cette distance est insuffisante. « Conclusion : en intérieur comme dehors, le port du masque est le meilleur rempart contre le Covid-19 » [Voir l’article du Monde du 27 mai 2020 cité ci-dessous)].
Une pandémie mondiale, un incertain durable
En France et, plus généralement en Europe occidentale, la première vague épidémique régresse (du fait de confinement et peut-être de sa dynamique propre), alors qu’elle s’aggrave ou débute en d’autres parties du globe : elle se poursuit aux Etats-Unis et s’amplifie dans les pays du Sud, en particulier en Amérique latine. C’est ce que j’ai appelé le « développement inégal et combiné » de la pandémie mondiale [1]. Nous n’en avons donc pas fini avec Covid-19. Quelle que soit « chez nous » la dynamique propre de l’épidémie. Tant que la pandémie perdurera ailleurs, le risque d’une nouvelle vague de la maladie nous menacera.
Bien entendu, le virus peut disparaître sans même que l’on sache pourquoi, mais pour l’heure, rien n’indique qu’il en sera ainsi. D’où un large éventail de scénarios possibles, allant du plus favorable au pire : une épidémie « sous contrôle », une reprise locale de l’épidémie autour d’un nombre limité de foyers, une « reprise diffuse et à bas bruit » à un échelon plus large (dynamique nationale), un nouveau « stade critique ».
L’expérience fort diverse des précédentes épidémies humaines de coronavirus autorise toutes les hypothèses. De plus, notre virus ne cesse de poser à la science médicale de nouvelles questions, parfois tout à fait inattendues, au point que son nom même pourrait être trompeur. SARS signifie Severe Acute Respiratory Syndrome (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère). Celui auquel nous avons aujourd’hui à faire face est le SARS-CoV-2. Il provoque la maladie Covid-19, considérée comme une maladie respiratoire contagieuse, potentiellement mortelle. Ce qui implique que sa cible soit les poumons et que Covid soit avant tout une pneumopathie (avec de possibles et multiples complications). Même cette évidence est aujourd’hui rediscutée [2]. Par la multiplicité de ses effets, ce SARS ne semble à nul autre comparable.
La Chine n’est pas seule responsable de la pandémie mondiale
Si la pandémie n’a jamais été aussi vivace qu’actuellement, c’est bien entendu du fait de la mondialisation et de la place, en son sein, de la Chine, mais aussi parce que d’autres gouvernements ont, l’un après l’autre, tardé à réagir efficacement, prenant en quelque « le relais » dans la course à la diffusion du virus. N’oublions pas que l’Europe a longtemps été l’épicentre de la maladie, avant que ce ne soit le cas des Etats-Unis, puis aussi du Brésil ou du Chili...
Si nous subissons une nouvelle vague de Covid-19, elle ne proviendra probablement pas de Chine, mais d’un autre pays qui aura peut-être été lui-même initialement contaminé via l’Europe...
Prévisible et prévue
Nous avons plus d’une fois dans cette chronique (avec de nombreux articles en référence) montré que la pandémie Covid-19 avait été annoncée, que certains Etats, administrations, réseaux de santé ou populations (se masquant parfois spontanément en avance sur les directives officielles) avaient réagi très rapidement, limitant considérablement l’épidémie dans leur pays (malgré, parfois l’ineptie du pouvoir politique).
Dans une récente interview longuement citée ci-dessous, Richard Horton, rédacteur en chef de la revue britannique The Lancet, interrogé par Hervé Morin et Paul Benkimoun, revient en détail sur cette question. Le Lancet avait en effet publié fin janvier 2020 cinq articles décrivant la maladie, y « compris une forte probabilité de pandémie mondiale ». « On savait tout cela le 31 janvier. (...) Et, pendant les six semaines qui ont suivi, la plupart des pays occidentaux n’ont absolument rien fait. C’est une erreur impardonnable. (...) La question est : pourquoi le président [français Emmanuel] Macron, le président [du Conseil italien Giuseppe] Conte, pourquoi le premier ministre [britannique Boris] Johnson, pourquoi le président [américain Donald] Trump n’ont-ils rien fait ? (...) Les preuves étaient très claires, dès fin janvier. Donc je pense que les politiciens vont devoir s’expliquer. (...) Si cela ne s’est pas produit, c’est une faillite catastrophique du gouvernement français et les Français doivent demander pourquoi le gouvernement n’a pas protégé les près de 30 000 vies qui ont été perdues, comme nous en avons perdu 40 000. C’étaient des morts évitables. »
La France fait donc partie de ces pays où l’Etat a failli face à Covid-19 avec pour prix un coût humain direct (les morts et handicapés à vie du Covid) et indirect (les autres patients qui n’ont pu être soignés, les victimes de la crise économique...) exorbitant. Emmanuel Macron n’en est pas moins « fier » de sa gouvernance...
Le confinement national était-il évitable ?
Oui si l’Etat avait eu la volonté de mener une politique sanitaire réactive et en avait eu les moyens (masques, blouses, respirateurs, médicaments, tests, un personnel soignant en nombre suffisant...), s’il avait maintenu vivace la « culture » anti-épidémique d’antan, si les centres d’intérêt et les structures du régime macronien avaient laissé place à une telle réactivité (voir la précédente chronique [3])... Une liste non limitative...
Non, car rien de tout cela n’existait. Début mars, la situation était catastrophique (à l’heure même où Macron déclarait, se rendant à un concert, « la vie continue »). Il ne fut pas l’oublier. Je le souligne, car dans une interview par ailleurs fort intéressante (Le Monde des 7-8 juin 2020), l’historien Marcel Gaucher juge que la décision de confiner a été prise dans la panique (c’est vrai), par « imitation » avec ce qui se faisait chez nos voisins, alors qu’un compromis entre contraintes médicales et contraintes socio-économiques aurait pu être recherché. En mars pourtant, les études montraient que si aucune mesure radicale n’était prise, le nombre de morts exploserait et que le système de soin serait balayé sous le choc. Etait-ce exagéré ? Pas du tout, comme la suite l’a montré.
Le confinement a considérablement réduit la diffusion du virus (qui dépend du nombre de contacts entre humains). Malgré cela, il y a eu 30.000 morts, un nombre non publié des personnes lourdement handicapées à vie, souffrant de séquelles multiples. L’hôpital, dit-on, a tenu. Ce n’est pas tout à fait vrai. Il a craqué dans le Grand Est sous la vague épidémique. La multiplication dans l’urgence de lits de réanimations a dû se faire au détriment de la qualité des soins. Là où des infirmières appelées en renfort ont été intégrées à des équipes formées à la réanimation, cela a bien marché. Cela n’a pas toujours été le cas quand elles ont dû se débrouiller seules, avec des chambres simplement réaménagées.
La réanimation est une spécialité (non reconnue comme telle !) exigeante [4] et les malades du Covid sont particulièrement difficiles à soigner. La routine n’avait pas place. Le virus n’a cessé (et ne cesse) de poser des questions imprévues qui avaient des conséquences sur la façon de traiter les patients (quel type d’intubation, par exemple). Très fréquemment, le point devait être fait au sein des équipes hospitalières sur les retours d’expérience de réanimateurs du monde entier, ou sur le travail des chercheurs. Même le personnel soignant spécialisé en réanimation ne pouvait se contenter de la routine.
Pourtant, des choix drastiques de soins ont dû être pris par le personnel sans avoir le temps de les discuter suffisamment, collectivement, par manque de temps. Le travail s’est poursuivi avec la peur de la contamination (et de contaminer ses proches). Avec la peur aussi de manquer de médicaments, distribués au compte goutte. La fatigue, puis l’épuisement ont pesé. Les élèves infirmiers envoyés au front ont vécu des situations traumatisantes. Les stigmates de cette expérience ne vont pas disparaître comme si de rien n’était. On peut dire que l’ensemble du personnel soignant concerné a été victime de l’épidémie à un titre ou à un autre.
L’attention se porte maintenant sur le coût socio-économique de l’arrêt d’une grande partie de la production et du confinement. Il est effectivement très lourd, en particulier pour tous les secteurs marginalisés (précaires, sans papiers, premiers de corvée...). Le confinement a été inégalitaire, ainsi que ses suites. Mais qui croit (encore une fois, compte tenu de la situation concrète en mars), que les conséquences d’un non-confinement auraient été moindres, plutôt que pires ?
Pourquoi insister ainsi sur l’ampleur de la catastrophe ? Parce qu’elle met en lumière les multiples aspects de ce que devrait être une politique sanitaire réactive et qu’elle permet de ne pas se laisser abuser par des chiffres trompeurs. Non, il n’y a pas eu autant d’ouverture de lits de réanimation que les autorités le prétendent, parce que la qualité était loin d’être toujours au rendez-vous ou parce qu’une chambre d’hôpital sans une équipe adéquate de soignant.es est inutile.
La leçon de choses est que l’Etat doit s’assurer qu’en cas d’une nouvelle vague de Covid-19 (ou d’une nouvelle pandémie aussi redoutable), on ne se retrouve plus dans une telle situation – alors que le Ségur de la santé (ou la brièveté saisissante du discours de Macron en ce domaine) montre qu’il n’est toujours pas question de modifier sur le fond les orientations gouvernementales.
Pas de bouc émissaire
Qui veut réécrire l’histoire va chercher des boucs émissaires. Cela pourrait être les vieux et les vielles. Nous avons déjà publié des extraits d’articles à ce sujet dans de précédentes Corona Chroniques [5]. Nous reproduisons intégralement ci-dessous une tribune du Monde, hallucinante, de Lena Konc, politiste, diplômée de Sciences Po, d’HEC et du Collège d’Europe, consultante stratégique pour les secteurs public et privé.
Jeunes ou vieux, il faudrait choisir ? se demande-t-elle. « [A]u-delà des inégalités économiques et sociales dramatiquement accentuées en période de crise, la situation exceptionnelle que nous vivons constitue surtout un révélateur des questions générationnelles, et des priorités parfois incompatibles entre les plus âgés et les plus jeunes. Le concept philosophique de justice intergénérationnelle, qui pense la distribution des avantages entre les générations, devient dès lors un prisme pour l’analyse des réponses des pays face au Covid-19. » (je souligne).
Le confinement n’aurait pas été décidé parce que la poursuite du « laisser faire » aurait eu des conséquences que le pouvoir ne pouvait pas assumer (flambée d’une mortalité multicausale, destruction du système de santé...), mais pour... sauver en priorité les vieux ! Les 10.000 morts des EPHAD et autres centres pour personnes âgées, qui ont été littéralement abandonnés à leur sort (en toute connaissance de cause), seront fort étonnés de l’apprendre....
Le contre-exemple mis en valeur par Lena Konc ? Les Etats-Unis : « A l’inverse, d’autres pays comme les Etats-Unis ont adopté un confinement plus flexible, acceptant de risquer un nombre de victimes plus important pour éviter que la crise sanitaire ne devienne sociale. »
« Cette approche est parfaitement résumée par la phrase du gouverneur du Texas, Dan Patrick : « Personne ne m’a demandé si, en tant que senior, j’acceptais de risquer ma survie pour que les Etats-Unis demeurent ce pays que l’on aime pour nos enfants et petits-enfants. Parce que si c’est le choix qui se pose, je prends le risque. » »
Lena Konc n’a pas le monopole de cette petite musique : aider les personnes âgées se fait au détriment des jeunes, or, comme chacun sait, un vieux est « inactif »...
La question risque de se poser très concrètement à l’avenir. En cas de deuxième vague épidémique, un reconfinement national serait catastrophique et il faut tout faire pour l’éviter. Soit. Seules les personnes fragiles (en majorité âgées) devront donc être à nouveau confinées pour des mois s’il le faut, annonce-t-on. Toutes âgées qu’elles sont, lesdites personnes vivent, font des courses, vont à la pharmacie, marchent – à leurs risques et périls, comme aime à le dire Macron : vous prenez vos responsabilités, ce n’est pas la mienne...
Il y a pourtant une réponse toute simple à cette question, qui souligne une fois encore la solidarité intergénérationnelle et non ses soit-disant incompatibilités : le port généralisé du masque. A savoir :
• Port obligatoire, donc gratuité des masques.
• Pour tout le monde, des masques certifiés par une autorité indépendante au minimum de qualité chirurgicale.
• Des masques FFP2 ou FFP3 (protecteurs) pour les personnes à risque (âge et comorbidité).
Cette exigence va-t-elle paraître indécente à certains ? En effet, les masques FFP2 ou 3 sont aujourd’hui réservés, dans le circuit d’Etat, au personnel soignant en contact avec des malades infectieux graves. En cas de grande pénurie, cela se comprend (encore que l’industrie s’en procure quand elle le souhaite).
Mais est-il vraiment incongru de demander une protection effective pour des personnes qui se trouvent en sérieux et constant danger de mort ? N’est-ce pas une raison qui se suffit en elle-même ? Et pourquoi penser l’avenir en termes de pénurie ? Rappelons que dans le passé, le stock de FFP2 était de 700 millions et que la doctrine avait même été un temps d’en distribuer à toute la population en cas d’épidémie.
Plus généralement, qu’implique ne pas reconfiner nationalement en cas de nouvelle vague ?
Quelle est la conclusion des discussions sur la politique sanitaire à mettre en œuvre en cas de deuxième vague, une fois le confinement écarté ? Il est clair que la politique présente ne serait plus applicable (recherche des chaînes de contamination, tests divers, isolement des malades, voire confinement localisé...). Cette politique correspond en effet à une situation où le virus circule doucement à l’échelle nationale parce que l’épidémie n’est qu’à une phase initiale ou, au contraire, décline fortement.
Le salut ne viendra pas d’un vaccin (si on en trouve) avant longtemps. La mise au point de traitements reste pour l’heure dans l’ensemble décevante et le médicament dont on parle aujourd’hui le plus réduirait (de 15-25 % ?) la mortalité des cas graves, ce qui serait déjà bien, mais ne joue pas sur l’épidémie.
En cas de reprise de l’épidémie, le port généralisé du masque est l’une des principales mesures de protection collective (avec la distanciation physique, le lavage des mains...), toute l’expérience historique et internationale le démontre. C’est pourquoi il faut que les exigences en ce domaine soient clairement énoncées.
Pierre Rousset
Lancet : Une menace annoncée – Une faillite catastrophique des gouvernements occidentaux
Citation : Richard Horton, Hervé Morin et Paul Benkimoun, Le Monde du 20 juin 2020, [6].
Dans un livre publié au Royaume-Uni [7], [Richard Horton], le rédacteur en chef de la revue médicale The Lancet, dénonce l’impéritie de nombreux pays face à la menace pourtant annoncée de la pandémie [8]. (...).
Dès janvier, le Lancet avait publié cinq articles qui permettaient d’appréhender ce qui attendait la planète si rien n’était entrepris pour contrer la diffusion internationale du SARS-CoV-2. Richard Horton tire aussi les leçons de cet épisode.
Vous venez de publier un livre dans lequel vous êtes très sévère sur la façon dont la pandémie a été gérée, en particulier dans votre pays, le Royaume-Uni…
La raison pour laquelle mes mots sont durs, c’est que nous avons publié à la fin du mois de janvier dans le Lancet cinq articles qui décrivaient parfaitement cette nouvelle maladie pour laquelle il n’y avait ni traitement ni vaccin, qui présentait une assez forte mortalité, et qui se transmettait entre humains.
Pour reprendre les mots de Gabriel Leung (université de Hongkong), « ce mode de transmission indiquait une forte probabilité de pandémie mondiale ». On savait tout cela le 31 janvier. La veille, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait déclaré une urgence de santé publique de portée internationale.
Et, pendant les six semaines qui ont suivi, la plupart des pays occidentaux n’ont absolument rien fait. C’est une erreur impardonnable.
La question est : pourquoi le président [français Emmanuel] Macron, le président [du Conseil italien Giuseppe] Conte, pourquoi le premier ministre [britannique Boris] Johnson, pourquoi le président [américain Donald] Trump n’ont-ils rien fait ? Ne comprenaient-ils pas ce qui se passait en Chine ? Ne croyaient-ils pas les Chinois ? N’ont-ils pas demandé à leurs représentations diplomatiques à Pékin d’enquêter ? Je ne comprends pas. Les preuves étaient très claires, dès fin janvier. Donc je pense que les politiciens vont devoir s’expliquer.
[I]l y a une défaillance systématique des gouvernements occidentaux qui n’ont pas pris ces messages au sérieux. Etait-ce du racisme envers les Chinois ? C’est une faillite catastrophique des exécutifs occidentaux. Cette pandémie est un désastre que nous avons nous-mêmes créé.
Des commissions d’enquête parlementaires ont-elles été mises en place au Royaume-Uni afin d’évaluer la gestion de la pandémie par le gouvernement ?
Non. La France a un temps d’avance sur nous. Nos politiciens nous disent que ce n’est pas le bon moment. Ce que je trouve dément. Si nous avons une seconde vague plus tard cette année, nous ferions mieux d’avoir tiré les leçons de notre mauvaise gestion de la première.
(...) Il n’y a pas une personne en France ou dans aucun autre pays européen qui soit responsable à elle seule d’une faillite nationale. C’est le système qui a failli, le système de conseils scientifiques qui a failli dans votre pays comme dans le mien. Le système de riposte politique a failli dans votre pays comme dans le mien.
En quoi la France a-t-elle failli, selon vous ?
Lorsqu’il y a eu proclamation d’une urgence de santé publique de portée internationale, le 30 janvier, pourquoi la ministre de la santé [d’alors, Agnès Buzyn] n’a-t-elle pas immédiatement envoyé un message à l’ambassade de France à Pékin pour lui demander son aide pour comprendre ce qui se passait à Wuhan, quel était ce virus, à quel point il était inquiétant, s’il était aussi préoccupant que l’indiquaient des articles dans The Lancet ?
Si l’ambassade avait fait correctement son travail, elle aurait rassemblé en quarante-huit heures les informations du bureau de l’OMS à Pékin, de la Commission nationale de santé du gouvernement chinois. Elle aurait compris la nature de la menace, l’aurait immédiatement transmise au ministère de la santé et au Palais de l’Elysée et, à la fin de la première semaine de février, le gouvernement aurait disposé d’une vision très claire du danger.
Si cela ne s’est pas produit, c’est une faillite catastrophique du gouvernement français et les Français doivent demander pourquoi le gouvernement n’a pas protégé les près de 30 000 vies qui ont été perdues, comme nous en avons perdu 40 000. C’étaient des morts évitables. Ces personnes devraient être en vie aujourd’hui.
Pourquoi les gens ne sont-ils pas davantage en colère à ce sujet ? J’ai vu les manifestations des « gilets jaunes » dans les rues de Paris. Elles m’ont frappé. Pourquoi les « gilets jaunes » ne manifestent-ils pas dans la rue contre l’échec du gouvernement français à protéger les vies des près de 30 000 de ses citoyens ? Qui demande des comptes au gouvernement ? (...) Nous avons besoin d’une enquête qui démontre clairement qu’il ne s’agit pas de blâmer des individus, mais de comprendre ce qui n’a pas marché.
(...)
Nous ne nous étions pas préparés à quelque chose du type SRAS [syndrome respiratoire aigu sévère]. C’était une erreur, car le SRAS de 2002-2003 était un prototype de ce que nous avons aujourd’hui. Nous savons qu’au cours des vingt ou trente dernières années, la fréquence des infections chez l’animal qui passent à l’homme a augmenté. La raison en est connue : urbanisation massive, taudis urbains, marché avec des animaux vivants dans les villes, mauvaises conditions d’hygiène… (...) Nous savions que nous étions en train de créer les conditions d’incubation d’une pandémie, mais nous ne savions pas exactement quand elle surviendrait. C’est sur ce point que nous avons trahi nos citoyens en ne nous préparant pas comme il fallait.
En 2016, le Royaume-Uni a fait une simulation – l’exercice Cygnus – afin d’évaluer l’impact d’une pandémie grippale. Elle a montré que nous n’étions pas prêts pour une pandémie. Et nous nous retrouvons aujourd’hui dans une pandémie à laquelle nous n’étions pas préparés. Un nouvel exemple d’échec gouvernemental et de la santé publique. Nous savions qu’il y avait un problème, nous ne l’avons pas réglé.
En France, il y avait un plan pour une situation pandémique, mais il semble qu’il soit resté dans un placard…
Exactement. Mais ce ne sont pas seulement les politiciens qui sont responsables. Votre pays comme le mien ont la chance d’avoir certains des meilleurs scientifiques au monde. L’Institut Pasteur est un réseau de classe mondiale d’institutions de recherche sur les maladies infectieuses. Où étaient les voix de l’Institut Pasteur pour pousser le gouvernement à se préparer à une pandémie, dès février ?
Il faut poser ces questions sur les scientifiques, au Royaume-Uni comme en France, pour savoir pourquoi l’élite scientifique ne faisait pas valoir ces signaux d’inquiétude. (...) [C]e que je dis, c’est que les choses étaient claires en janvier [2020]. Quiconque disait en mars qu’il n’y avait pas un danger immédiat avec cette pandémie montrait une incompétence incroyable. En mars, le virus faisait rage en Italie du Nord.
(...)
Autre question : où était l’Union européenne (UE) ? Une des raisons de l’échec britannique est le Brexit, l’exceptionnalisme, la mentalité îlienne : c’est un défaut psychologique classique en Grande-Bretagne, la croyance que nous sommes meilleurs que tous les autres. Eh bien on a prouvé tout le contraire dans la façon de gérer cette pandémie.
Mais l’UE avait une opportunité de s’assurer que non seulement les pays soient préparés, mais aussi coordonnés. Une des choses les plus marquantes est d’avoir vu vingt-sept Etats avoir vingt-sept stratégies différentes.
Pourquoi l’UE n’a-t-elle pas réuni ses Etats membres pour qu’ils apprennent les uns des autres, coopèrent et s’aident d’une façon bien plus coordonnée ? Je sais que la réponse est que la santé est une responsabilité nationale. Mais on s’en fout ! C’était une pandémie, une urgence, une menace à la sécurité nationale ! L’UE aurait dû avoir une part bien plus active pour unifier les pays dans ces circonstances.
Fin de citation.
Comment la parole et le vent diffusent le SARS-CoV-2
Citation : Hervé Morin et Audrey Lagadec, Le Monde, 26 mai 2020 [9]
L’éjection de gouttelettes par la parole ou lors d’un éternuement et leur trajectoire à l’air libre ont été étudiés par deux équipes de scientifiques.
Il apparaît de plus en plus clairement que le simple fait de parler engendre l’émission de gouttelettes susceptibles de propager le nouveau coronavirus. Philip Anfinrud et ses collègues des Instituts nationaux de la santé (NIH, Bethesda, Maryland) ont utilisé une illumination laser pour visualiser ces gouttelettes. Ils ont constaté qu’un locuteur pouvait en émettre jusqu’à 10 000 par seconde, et qu’elles pouvaient subsister dans un lieu confiné jusqu’à quatorze minutes (PNAS du 13 mai).
En extérieur, Talib Dbouk et Dimitris Drikakis, de l’université de Nicosie (Chypre), ont simulé la dispersion d’un nuage de particules engendré par un éternuement (Physics of Fluids du 19 mai). En l’absence de vent, ces gouttelettes se propagent à moins de 2 mètres. Mais, dès qu’une brise se lève, elles peuvent voyager à 6 mètres sans qu’une forte dilution soit intervenue. Selon eux, une distanciation physique de 2 mètres dans ces conditions est insuffisante. Conclusion : en intérieur comme dehors, le port du masque est le meilleur rempart contre le Covid-19.
(Fin de citation.)
La décrue – un moment complexe
Citation : François Béguin et Camille Stromboni, Le Monde, 04 juin 2020 [10]
« La décrue est plus complexe que le climax de la crise » : les contraintes liées au Covid-19 continuent à peser sur les hôpitaux
Alors que le nombre de patients touchés par le SARS-CoV-2 diminue, les établissements doivent reprendre une activité normale, tout en limitant les risques d’infection, une équation complexe.
Si le nombre de patients atteints du Covid-19 ne cesse de diminuer, les hôpitaux publics n’en ont pas fini avec la crise pour autant. Tous, à leur échelle, se retrouvent contraints de trouver un équilibre inédit − au moins jusqu’à la fin de l’été −, entre des règles sanitaires encore très strictes, pour éviter les risques de contamination entre patients « Covid » et « non-Covid », et la nécessité de rester prêt en cas de remontée épidémique. (...)
Pour l’instant, le « plan blanc » déclenché par le gouvernement le 13 mars − qui annulait les opérations non urgentes et permettait un rappel rapide des personnels − n’a toujours pas été formellement levé. Dans les faits, sous la houlette des agences régionales de santé (ARS), l’activité reprend au ralenti, à des rythmes différents selon les régions et selon les spécialités. (...) Pour limiter les risques de contamination, les hôpitaux ont été invités, quand ils le pouvaient, à ne plus hospitaliser qu’un seul patient par chambre double. (...)
(...)
Dans de nombreux hôpitaux, il est donc hors de question, à ce stade, de retrouver le niveau d’activité d’avant-crise. « Vous ne pouvez plus faire quarante consultations en trois heures avec des salles d’attente remplies, ni optimiser les flux comme avant », estime Jérôme Goeminne, le directeur du groupement hospitalier de territoire Cœur Grand-Est, qui comprend notamment les sites de Verdun ou de Bar-le-Duc (Meuse). (...). « Des patients vont devoir attendre », juge-t-il.
(...)
Autre signe que l’hôpital a changé : dans la plupart des établissements de santé, le port du masque est désormais obligatoire, pour les patients comme pour les soignants. « La venue des patients qui ont un rendez-vous fait l’objet de davantage d’attention en amont », souligne Anne Casetta, chef du service hygiène hospitalière à Cochin. Pour y parvenir, dans cet hôpital comme dans de nombreux autres, des SMS rappelant les gestes barrières et invitant à répondre à des questions sur la présence de symptômes sont envoyés avant la venue à un rendez-vous. A différents endroits de l’établissement, des stands ont été installés pour distribuer masques et solution hydroalcoolique.
(...)
Si les patients atteints par le Covid-19 demeurent rares, le travail aux urgences est néanmoins « un peu plus chronophage », reconnaît-elle. « Pour un patient qui venait en toussant et avec un peu de fièvre, avant, c’était une bonne vieille pneumopathie classique, décrit-elle. On a toujours ce patient, mais maintenant, on le place immédiatement dans le circuit Covid, jusqu’à preuve du contraire. Donc forcément, ce sont des actes en plus, du travail de désinfection pour les femmes de ménage, du matériel de protection à enfiler… », prévient le médecin.
Fin de citation.
Sans salaire, sans chômage : les fauchés du Covid
Citation : Mathilde Goanec, Mediapart, 10 juin 2020 [11]
Leur entreprise est en faillite, la succession de leurs contrats courts s’est interrompue, ou l’assurance-chômage ne répond plus : récits de salariés qui ne touchent plus un centime depuis mars, et craignent pour l’avenir.
« Nous sommes partis en week-end le vendredi 13 mars, et nous ne sommes jamais rentrés à l’agence. » Caroline est en passe d’être licenciée économique, à la suite du dépôt de bilan de son employeur, propriétaire d’une petite entreprise de publicité à Bordeaux.
Comme sept de ses collègues, la jeune femme ne touche plus aucun salaire depuis le mois de mars. « À 31 ans, j’ai dû demander de l’aide à mon père pour payer mon loyer, explique Caroline. Ma sœur me fait des courses, mon frère me prête un peu d’argent. » Parmi ses collègues, l’un a rendu son appartement pour rentrer vivre chez sa mère, une autre a contracté un crédit. Pour tous, le moral est au plus bas.
Jusqu’ici, même les petites entreprises ont à peu près tenu le coup lors de cette crise sanitaire, grâce aux aides d’urgence débloquées par l’État. Mais le risque de faillite n’a pas disparu, notamment pour des entreprises dont la trésorerie était déjà précaire. Certains de leurs salariés peuvent se retrouver du jour au lendemain sans salaire.
« Jusque-là, l’économie était en quelque sorte à la fois sous morphine et sous perfusion pendant le confinement, confirme Bernard Hibert, l’un des présidents régionaux de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises). Mais avant la fin de l’année, la situation peut dégénérer. Déjà, on remarque un afflux de dossiers de défaillance, l’étape qui précède l’arrivée des entreprises en difficulté devant les tribunaux de commerce. »
Pour Caroline, il n’y a pas eu besoin d’attendre six mois : « Nous avons découvert à la faveur du coronavirus que notre boîte avait déjà un gros souci avec la banque, et l’argent du chômage partiel versé par l’État est venu combler ce trou plutôt que de payer nos salaires. » La salariée s’est retrouvée comme d’autres dans une véritable faille : tant que son entreprise n’est pas jugée formellement en dépôt de bilan par un tribunal de commerce, elle et ses collègues n’ont droit à rien.
Selon l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), le futur sera sombre. L’AGS intervient justement pour garantir les salaires aux employés en cas de redressement ou de liquidation judiciaire d’une entreprise.
Elle a pourtant constaté une baisse surprenante de son activité au cours des deux derniers mois. « Ne nous y trompons pas, relève l’organisme dans son dernier rapport. [Ce] n’est que la conséquence des mesures prises par l’État au soutien des entreprises en difficulté, auxquelles est venu se rajouter le ralentissement de l’activité des tribunaux de commerce. »
L’AGS craint même un effet retard, lorsque ces aides se tariront (...).
Pour tenter de retrouver les sommes dues ces derniers mois, Caroline à Bordeaux a de son côté lancé tout récemment avec un collègue une procédure en référé auprès du tribunal des prud’hommes. « Je n’ai pas pu chercher du travail ces trois derniers mois, ni m’inscrire au chômage, car je ne suis pas encore licenciée officiellement. Que de temps perdu… »
(...)
« Entre deux contrats, on s’inscrit au chômage, explique Michel Castek. Or je suis arrivé en fin de droit le 28 février, et le prolongement automatique des droits décrété en urgence par le gouvernement ne démarrait qu’au 1er mars. Donc à deux jours près, je me suis retrouvé sans rien. »
La réforme récente de l’assurance-chômage [1], dont la première phase est entrée en vigueur en novembre dernier, sera le deuxième coup de bâton sur sa tête, pressent-il.
(...)
« Nous sommes deux millions de travailleurs intermittents, du fleuriste qui va décorer une salle de mariage, en passant par l’hôtesse d’accueil à Roland-Garros, ou encore le cuisinier qui travaille en extra, rappelle Ahcene Azem, autre membre actif, maître d’hôtel de métier. Aujourd’hui, plus de 400 000 personnes en fin de droit ne touchent plus rien du tout. Et à cause du Covid, les autres craignent de ne pas avoir un nombre d’heures travaillées suffisant pour s’inscrire à Pôle emploi cet automne. »
Le deuxième volet de la réforme, portant entre autres choses sur le montant des indemnités, devait s’appliquer au premier avril mais a été repoussé à la rentrée. Le CPHRE réclame, comme de nombreuses associations défendant les intermittents et les précaires, sa suppression pure et simple : « On va avoir des allocataires qui se retrouveront sous le seuil de pauvreté, s’insurge Ahcene Azem. Après les morts du Covid, il y aura des morts du fait de la crise sociale et je pèse mes mots ! »
L’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) a publié une étude le mois dernier [4]–– qui tend à lui donner raison : depuis quarante ans, ceux qui sont le plus exposés au chômage sont de moins en moins bien indemnisés. « La réforme de 2019 est constitutive d’un effondrement historique de l’indemnisation pour les salariés à l’emploi discontinu », concluent d’ailleurs Mathieu Grégoire, Claire Vivès et Jérôme Deyris de l’IRES.
Les intermittents du spectacle (un peu moins de 300 000 personnes) ont obtenu une « année blanche » et un report automatique des indemnités, jusqu’à l’été 2021, pour tenter de sauver le monde de la culture en déroute. Une décision saluée par la ministre du travail Muriel Pénicaud. « Pour nous, rien, silence et déni », regrette encore Ahcene Azem. Ce n’est pas de la jalousie, on lutte pour les mêmes droits. Ce que nous reprochons, c’est une politique gouvernementale qui désagrège le monde du travail. »
D’autres organismes font également défaut, alors que nombre de contrats courts n’ont pas été renouvelés ce printemps, toujours en raison de l’épidémie de coronavirus. Ils constituent pourtant en temps normal l’immense majorité des embauches. Comme à La Poste, par exemple, explique Cécilia, depuis Angoulême.
(...)
« À ce jour, je n’ai toujours rien reçu, s’alarme Cécilia, le service est injoignable par téléphone et le site internet est indisponible. Je suis seule avec une fille adolescente et je n’ai aucun revenu depuis le 5 avril. » Un témoignage confirmé par d’autres récits recueillis par Mediapart récemment.
Cécilia a retrouvé, depuis quelques jours, un travail dans le commerce, mais a dû demander de l’aide à une assistance sociale afin de « mettre de l’essence dans la voiture pour aller au boulot ». C’est un contrat de trois mois. En septembre, l’inconnu resurgira.
Fin de citation.
Différents scénarios : quatre, cinq...
Citation : Paul Benkimoun, Le Monde, 04 juin 2020 [12]
Coronavirus : pour le conseil scientifique, un nouveau confinement généralisé n’est « pas souhaitable »
Dans son nouvel avis, diffusé jeudi, les treize membres du conseil scientifique envisagent quatre scénarios et proposent un plan de prévention renforcé. (…)
Elles vont du scénario le plus favorable d’une « épidémie sous contrôle » à l’autre extrême, une épidémie atteignant « un stade critique », en passant par deux hypothèses intermédiaires : quelques foyers épidémiques avec une reprise locale de l’épidémie ou « une reprise diffuse et à bas bruit ». (…)
Les treize membres du conseil scientifique ayant participé aux discussions rappellent les principales connaissances acquises sur l’épidémie de Covid-19. En premier lieu, ils évoquent les facteurs associés à une plus grande gravité de la maladie et à un risque plus élevé de décès : l’âge et certaines maladies associées, la précarité sociale – comme cela a été constaté en France comme à l’étranger – et enfin le fait de résider dans « des zones à forte concentration de population et certaines régions plus que d’autres, sans que l’on puisse donner d’explication à cette disparité ».
« Faible immunité collective »
Les scientifiques rappellent également les connaissances acquises sur la transmission du SARS-CoV-2 et analysent la situation dans laquelle se trouve le pays entré dans la deuxième phase du déconfinement : une épidémie en décroissance mais avec « la présence actuelle de 75 clusters sur l’ensemble du territoire ». S’y ajoute une « faible immunité collective » (…)
Les scientifiques ont élaboré quatre scénarios prospectifs pour « le court et le moyen termes », avec une contrainte : ne pas devoir recourir à nouveau à un confinement généralisé. Cette option, affirme l’avis, « n’est pas souhaitable ni probablement acceptable considérant les enjeux sanitaires, sociaux et économiques. Il est donc essentiel de tout faire pour éviter une telle situation d’échec ».
« Une gouvernance claire »
L’appréciation de la situation à partir d’« indicateurs plus ou moins précoces » permettra de distinguer la trajectoire suivie dans la réalité. Ces indicateurs, existants – comme les différents systèmes d’information d’activité médicale et de suivi des tests qui « devront communiquer » – ou nouveaux – comme l’application StopCovid –, seront donc décisifs dans la capacité de réaction. Le conseil souligne qu’il ne s’agit pas de scénarios successifs, évoluant du moins grave vers le pire, « des scénarios critiques pouvant survenir d’emblée », et qu’ils appellent tous une réaction rapide en activant des mesures préétablies.
Avant de les développer, l’avis insiste sur la « nécessité d’une gouvernance claire, opérationnelle et en partie territorialisée ». Elle devra inclure des compétences scientifiques et sanitaires, mais aussi interministérielles et plus largement institutionnelles.
« L’association d’acteurs de la société civile et de la vie économique est de nature à renforcer sa légitimité, ainsi que l’adhésion aux mesures envisagées dans chaque scénario », souligne l’avis. Sur ce dernier point, le souhait du conseil scientifique d’une plus grande implication citoyenne dans les discussions et décisions n’a pas été entièrement suivi par le gouvernement.
Dans aucun des scénarios, même le plus optimiste, les mesures de lutte contre l’épidémie ne pourront être abandonnées. Dans le meilleur des cas, l’épidémie serait sous contrôle avec quelques foyers épidémiques localisés qui pourraient être maîtrisés. Si ces clusters devenaient critiques, avec le risque de ne plus circonscrire les chaînes de transmission, la France se trouverait dans le deuxième scénario, qui « exigerait des mesures strictes, précoces et localisées, afin d’éviter une perte de contrôle plus large de l’épidémie ».
Pratique systématique de tests
Si les chaînes de transmission ne pouvaient être identifiées et a fortiori maîtrisées, le pays basculerait dans le troisième scénario, celui d’une « reprise progressive et à bas bruit de l’épidémie ». Cette fois, les mesures strictes prévues dans le plan de prévention et de protection rapprochées (P2R-Covid) devraient être mises en œuvre au niveau régional, voire national, selon les informations fournies par les indicateurs.
Une « dégradation critique des indicateurs traduirait une perte du contrôle de l’épidémie », selon le quatrième scénario. Une telle évolution « exigerait des décisions difficiles, conduisant à choisir entre un confinement national généralisé, permettant de minimiser la mortalité directe, et d’autres objectifs collectifs, économiques et sociaux, s’accompagnant alors d’une importante mortalité directe ».
Plusieurs « points d’attention » sont à surveiller, selon le conseil scientifique : le respect des gestes barrières, complétés par le port du masque lorsque la distanciation physique ne peut être respectée ; la pratique systématique de tests devant des « signes même peu évocateurs », et le plus rapidement possible pour les personnes ayant été en contact avec un sujet positif ; l’isolement des personnes ayant eu un diagnostic positif de Covid-19.
Opinions divergentes
Enfonçant le clou sur la participation citoyenne, le conseil scientifique « estime que les différents scénarios doivent faire l’objet d’une communication active afin de bien éclairer les Français sur l’avenir et de recueillir leurs opinions ».
Le plan de prévention et de précaution rapprochées que l’avis préconise d’élaborer comprend un ensemble de mesures à déclencher selon la situation épidémiologique correspondant aux divers scénarios.
Elles ont en commun d’être « adaptées au risque de formes graves et de décès », « proportionnelles au risque » tel que les connaissances scientifiques permettent de l’appréhender, « fondées sur le principe de solidarité », à la fois limitées mais préservant l’intérêt général, « anticipées et partagées avec les populations concernées », et « compatibles avec un impact limité sur la vie sociale, l’activité économique et sur le système de santé ».
Le plan P2R-Covid est décliné en « sept protocoles », chacun consacré au renforcement d’une composante spécifique : mesures barrières et mesures de distanciation physique dans la population générale ; pratique du tester-isoler-tracer ; confinement-protection des personnes à risque de formes graves ; protection des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) avec une nouvelle stratégie proposée associant « dépistage, visite des familles et prise en charge précoce et adaptée » ; assistance particulière afin de « permettre aux populations les plus précaires d’avoir sereinement recours au dépistage » ; besoins spécifiques des grandes métropoles, celles-ci et, notamment l’Ile-de-France, étant « confrontées à des enjeux différenciés de ceux des territoires ruraux » ; et préparation hospitalière.
Le quatorzième membre du conseil scientifique, Jean-Laurent Casanova, n’a pas participé aux discussions de cet avis. Ses opinions divergentes – allant dans le sens de mesures plus strictes, comme le port du masque obligatoire dans l’espace public ou le contrôle strict de l’isolement des malades − figurent à la fin du document.
Fin de citation.
Citation : Grégory Rozières, Huffington Post. 01/06/2020 [13]
[J]usqu’à quand devra-t-on rester vigilant ? À quel moment pourrons-nous dire, enfin, que cette parenthèse est définitivement derrière nous ? S’il est impossible de prédire l’avenir, on peut tout de même évoquer les différentes hypothèses plus ou moins probables, au vu du fonctionnement du coronavirus Sars-Cov2 et des précédentes pandémies mondiales. Et la réponse a peu de chance d’être “très bientôt”.
1°) Supprimer le coronavirus. (…) C’est-à-dire s’assurer que le Sars-Cov2 n’infecte plus personne. On peut envisager deux hypothèses, qui sont malheureusement hautement improbables pour le moment.
L’idéal serait de réussir à reproduire ce qui a été fait avec le premier Sars en 2003, grâce à des mesures de dépistage et de quarantaine massives. Cette épidémie a fait moins de 800 morts. Mais ce coronavirus était bien différent de celui qui infecte le monde entier depuis le début de l’année. “La plupart des patients atteints du Sars n’étaient pas si contagieux que cela jusqu’à une semaine après l’apparition des symptômes”, rappelle à Scientific American l’épidémiologiste Benjamin Cowling de l’université de Hong Kong [3].
À la différence, les personnes infectées du Covid-19 sont surtout contagieuses lors des premiers jours des symptômes, mais également dans les 48 heures précédentes. Sans compter la question de la contagiosité des asymptomatiques, encore floue. Il est donc bien plus difficile d’éradiquer le coronavirus Sars-Cov2 entièrement, surtout qu’il circule maintenant partout sur la planète.
2°) Improbable immunité croisée. La seconde hypothèse a elle aussi à voir avec d’autres coronavirus, qui pourraient cette fois-ci nous être utiles [voir ce point dans la partie consacrée à l’immunité croisée.].
3°) La longue route de la vaccination Pour les autres hypothèses, malheureusement, les perspectives sont un peu plus lointaines. Elles demanderont donc de garder une partie des mesures de protection mises en place (ou de les réactiver au besoin) et de rester vigilants au moins pendant de longs mois.
La première est celle du vaccin. (…) [Un vaccin aussi performant que celui qui a permit d’éradiquer la variole peut-il] exister pour le Sars-Cov2. Peut-être sera-t-il moins performant, ou devra-t-il être adapté chaque hiver, comme celui de la grippe saisonnière ? Ce serait tout de même une avancée significative permettant de réduire drastiquement l’impact sanitaire du Covid-19. Pour autant, ce genre de recherche prend de longs mois. Il ne faut pas espérer un vaccin efficace avant au moins une année. Surtout que nous n’avons jusqu’alors jamais réussi à trouver de vaccin contre les coronavirus [7].
4°) L’immunité collective, lente ou effrayante [L]e coronavirus pourrait, théoriquement, s’éteindre de lui-même. Il suffirait en effet qu’une partie suffisante de la population soit immunisée. C’est ce que l’on appelle “l’immunité collective”. Sauf que pour que cela soit possible, il faudrait qu’au moins 70% de la population ait contracté le coronavirus. [Ou du moins que] suffisamment de personnes soient immunisées afin qu’un infecté rencontre majoritairement des personnes impossibles à infecter et que le virus ne puisse donc pas s’étendre.
C’est cette stratégie que certains pays ont tenté d’atteindre sans succès pour le moment. La Grande-Bretagne, par exemple, a dû faire marche arrière en catastrophe en voyant ses hôpitaux submergés par l’épidémie de Covid-19. (…) [En effet], vu le taux de mortalité, atteindre ce seuil [d’immunité] aurait un coût très important. À l’échelle de la France et en prenant les hypothèses basses les plus probables au vu de la littérature scientifique (…) cela coûterait la vie à plus de 230.000 personnes. Sans compter le fait qu’en laissant le coronavirus faire son œuvre, l’épidémie serait extrêmement rapide, comme on l’a vu en mars, entraînant un raz-de-marée de malades qui mettrait les hôpitaux à genoux et dont les conséquences, hors personnes atteintes du coronavirus, sont difficiles à estimer.
Pour qu’une immunité collective puisse avoir lieu, il faudrait que le coronavirus circule doucement, à bas bruit, pour ne pas submerger les services de santé, pendant de longs mois, voire de longues années. Et encore, nous ne connaissons pas grand-chose à l’immunité produite par le coronavirus. (…)
5°) Apprendre à vivre avec le virus Il est également possible qu’aucun de ces scénarios n’ait lieu. Auquel cas il faudra apprendre à vivre avec le coronavirus, dont la présence pourrait diminuer en fonction des saisons. Car si les chercheurs ne croient pas trop au fait que l’été puisse annihiler le virus, il est possible qu’il circule moins [9], mais revienne à l’automne ou en hiver.
En clair, que l’épidémie devienne une endémie, une maladie habituelle, saisonnière, comme la grippe ou les autres coronavirus qui provoquent des rhumes. C’est ce qu’il s’est passé avec la grippe pandémique H1N1 de 1918, la plus grande épidémie du XXe siècle qui a tué plus de 50 millions de personnes, rappelle Scientific American.
Après trois vagues ayant entraîné la majorité des décès en deux ans, le virus a continué de circuler, mais avec des conséquences bien moins graves, pendant 40 ans. C’est une pandémie d’une autre souche grippale (H2N2) qui, en 1957, réduisit à néant ou presque la circulation de la grippe de 1918. Et personne ne sait trop pourquoi.
Fin de citation.
L’immunité croisée
Citation : Paul Benkimoun et Chloé Hecketsweiler, Le Monde, 04 juin 2020 [14]
L’existence d’une immunité croisée, acquise en combattant d’autres infections, semble probable, mais les études pour le démontrer sont encore préliminaires.
Grâce à un phénomène appelé « immunité croisée », certaines personnes seraient en partie protégées contre le SARS-CoV-2 par des défenses acquises en combattant d’autres infections. (…) Après chaque infection, le corps « stocke » pour une durée plus ou moins longue une partie de cet arsenal : elle sera réactivée en cas de nouvelle attaque par le même agent infectieux, ou par un autre présentant certaines similitudes.
(…)
Une partie de la population pourrait (…) bénéficier d’une certaine protection contre le SARS-CoV-2. En l’absence d’un vaccin, celle-ci compenserait en partie le faible niveau d’immunité dans la population, même s’il est trop tôt pour en connaître l’impact.
(…)
« Cette immunité croisée pourrait jouer un rôle chez les personnes peu ou pas symptomatiques, notamment les enfants », souligne le virologue Etienne Decroly, directeur de recherche au CNRS, en rappelant qu’« au début de l’épidémie on pensait que la distance génétique entre le SARS-CoV-2 et les autres coronavirus était trop lointaine pour que cela marche ». Depuis, les connaissances ont évolué.
« Plusieurs publications ont montré l’existence d’une protection croisée contre le SARS-CoV-2 chez des personnes qui ont été infectées par le SARS-CoV en 2003. Le problème est qu’il y avait eu peu de cas d’infection lors de l’épidémie de SRAS [syndrome respiratoire aigu sévère]. Rien à voir avec la pandémie actuelle », souligne James Di Santo, directeur du laboratoire Immunité innée à l’Institut Pasteur (Inserm U1223). Peu de gens bénéficieraient donc de cette protection liée au SRAS.
(…)
C’est aussi l’explication avancée au fait que les jeunes enfants font généralement des formes beaucoup moins graves de Covid-19, alors qu’ils peuvent autant être infectés que les adultes. Cette protection croisée serait héritée des fréquentes infections par l’un des quatre coronavirus saisonniers. Dans une étude britannique, les trois quarts des enfants de 3 ans avaient déjà été infectés par deux des coronavirus saisonniers, notamment CoV-NL63, qui utilise le même récepteur que le SARS-CoV-2 pour infecter les cellules.
« Il y a eu peu d’études sur les coronavirus saisonniers. Il faut étudier le type de protection croisée qui pourrait en résulter, mais elle pourrait ne pas avoir un fort impact, car la réponse immunitaire est souvent proportionnelle à l’intensité des manifestations clinique », tempère M. Di Santo.
Fin de citation
Citation : Grégory Rozières, Huffington Post. 01/06/2020 [15]
Improbable immunité croisée. (…) Et si vous étiez immunisé au Sars-Cov2 sans le savoir ? Quelques études publiées récemment font état d’une possible “immunité croisée” : le fait que notre corps ait déjà appris à se battre contre d’autres coronavirus lui permettrait de faire face à une tentative d’infection par le Sars-cov2, le virus responsable de l’épidémie actuelle.
Il existe en effet quatre autres coronavirus responsables de certains rhumes sans gravité que nous attrapons pendant l’hiver. Des chercheurs se sont rendu compte que les cellules T, qui participent à la réponse immunitaire du corps, s’activaient face au Sars-Cov2 chez certaines personnes, même si elles n’avaient pas eu le Covid-19.
Mais comme nous le rappelions ici [4], en déduire que la majorité de la population serait immunisée sans le savoir est une extrapolation. Ces études sont très limitées et ne démontrent rien de vraiment probant et solide. De plus, on ne sait pas si cette réaction immunitaire serait suffisante pour être protégé. Surtout que la réalité de terrain montre plutôt l’inverse : sur le porte-avions Charles de Gaulle, 70% des marins ont été infectés. Si une immunité croisée n’est pas impossible, elle est pour le moment plutôt improbable, malheureusement.
Citation : Paul Benkimoun et Chloé Hecketsweiler, Le Monde, 04 juin 2020 [16]
En modifiant la circulation du virus et la population susceptible d’être infectée, l’existence d’une immunité croisée change l’allure des modèles utilisés pour « prédire » l’évolution de l’épidémie. Dans un article publié dans la revue Science, une équipe de l’école de santé publique Harvard T. H. Chan (Boston) explore différents scénarios en faisant varier le degré d’immunité croisée avec deux autres coronavirus saisonniers − HCoV-OC43 et HCoV-HKU1 −, la durée de l’immunité contre le SARS-CoV-2 et la valeur selon les saisons du R0, le nombre moyen de personnes contaminées par chaque individu infecté.
A une exception près, tous les scénarios prédisent une réémergence de l’épidémie avec des vagues espacées de plusieurs mois ou années. « Même si l’immunité contre le SARS-CoV-2 ne dure que deux ans, une légère (30 %) immunité croisée modérée contre le HCoV-OC43 et le HCoV-HKU1 pourrait efficacement empêcher la transmission du SARS-CoV-2 pendant trois ans, avant une résurgence en 2024 », estiment les auteurs de l’article. Si la protection conférée par une première infection se révèle inférieure à un an, le SARS-CoV-2 pourrait réapparaître chaque hiver, avec des « vaguelettes » semblables à celles des autres coronavirus. Rien de comparable avec la vague qui s’achève.
L’état des connaissances scientifiques ne permet pas de privilégier un scénario plutôt que l’autre : les mécanismes d’immunité croisée sont encore mal cernés, et la durée de l’immunité acquise par les personnes infectées par le SARS-CoV-2 ne sera pas connue avant plusieurs années. Il a fallu attendre 2006 pour déterminer que les anticorps présents chez les personnes touchées par le SRAS de 2003 diminuaient beaucoup après deux ans.
Des études sérologiques seront aussi nécessaires pour estimer avec précision la part de la population contaminée par le SARS-CoV-2 après la première vague épidémique, et le nombre de personnes déjà immunisées contre d’autres coronavirus, susceptibles, donc, d’être protégées. Enfin, l’impact des mesures de distanciation physique n’est pas pris en compte par les épidémiologistes dans ces scénarios.
Fin de citation
Coronavirus : l’âge, principal facteur de risque de mortalité
Citation : Pascale Santi et Cécile Ducourtieux, Le Monde, 19 mai 2020 [17]
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Qui meurt du Covid-19 ? Une étude statistique d’une ampleur inédite en Europe apporte une réponse détaillée. Mis en ligne le 7 mai, les premiers résultats du projet Opensafely se basent sur les données médicales de 17 millions de personnes résidant au Royaume-Uni et offrent une analyse des facteurs de risque de décès. Cette étude n’est pas encore publiée dans une revue à comité de lecture.
Sur cette très large cohorte, 5 683 personnes sont décédées du Covid-19 dans des hôpitaux britanniques entre le 1er février et le 25 avril. Les facteurs de risque de mortalité que révèle cette étude menée conjointement par des équipes d’Oxford, de l’université de Leeds, du Centre de recherche national en soins intensifs (ICNARC) et de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, corroborent ce que les observations des praticiens et les résultats d’autres études ont déjà montré.
Les hommes, les personnes âgées, les plus démunies, celles sujettes à des diabètes non contrôlés ou à des asthmes sévères font partie des populations les plus à risque. Les plus de 80 ans constituent plus de 51 % des décès, les plus de 70 ans 79 % des disparitions. 63 % des morts à l’hôpital étaient des hommes (avec près de deux fois plus de risque de décéder du Covid-19 que les femmes), 36 % souffraient de problèmes cardiaques (deux fois plus de risques de décéder qu’une personne sans ce problème de santé, du même sexe et du même âge). L’obésité constitue aussi un facteur de risque évident – avec, pour les indices de masse corporelle (IMC) supérieurs à 40, près de trois fois plus de risques de mourir qu’une personne non obèse du même âge et du même sexe. Le fait d’avoir un IMC élevé révèle souvent des réponses immunitaires modifiées, un lien avec le diabète et/ou l’hypertension – même si les auteurs ont eu la surprise de constater que cette dernière ne constituait pas un sur-risque.
« L’information principale qui ressort de ce travail est le poids majeur, quasi exclusif, de l’âge sur la mortalité du Covid-19 », souligne le docteur Dominique Dupagne sur son blog Atoute.org. Le Haut Conseil de la santé publique avait déjà fixé à 70 ans le seuil pour être considéré comme personne à risque de complications et de décès pour le Covid-19.
Les plus de 80 ans présentent ainsi un risque plus de douze fois supérieur à celui des personnes âgées de 50 à 59 ans, et de 180 fois supérieur à celui des 18-39 ans. Les récents chiffres de l’épidémie en France le montrent aussi. Dans son point épidémiologique arrêté le 12 mai (26 991 décès), Santé publique France souligne ainsi qu’au moins 84 % des décès concernent des personnes ayant des comorbidités et au moins 93 % des morts sont des sujets âgés de plus de 65 ans.
« Même si l’âge est un facteur déterminant, tout expliquer par l’âge n’est pas acceptable », affirme le Réseau Environnement Santé (RES), qui insiste sur le poids des comorbidités. « Malgré le constat fait à l’Assemblée générale de l’ONU en 2011 et 2018, avec pour objectif pour 2030 l’arrêt de la progression du diabète et de l’obésité, aucun pays ne s’est vraiment engagé en ce sens », déplore RES.
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Fin de citation.
Jeunes ou vieux, il faudrait choisir ? La tribune de Léna Konc dans le Monde du 30 mai 2020 [18]
La crise du Covid-19 : « révélateur des questions générationnelles et des priorités parfois incompatibles entre les plus âgés et les plus jeunes » [19]
Privilégier la sauvegarde du système sanitaire pour limiter la mortalité des populations plus âgées ou réduire des risques économiques affectant surtout les plus jeunes ? la politiste Lena Konc analyse dans une tribune pour le « Monde » ces priorités en partie incompatibles.
« On est tous dans le même bateau » est une des phrases les plus entendues depuis le début de la crise du Covid-19. Si cette expression se veut un appel symbolique à la solidarité et à la responsabilité commune, elle s’avère néanmoins fondamentalement inexacte.
En effet, la brèche créée par la crise du Covid-19 est d’abord sociale. Le brusque frein à l’activité économique affecte en premier lieu les personnes dont la situation est la plus précaire, qui ont plus de risques de perdre leur emploi et sont moins résilientes sur le plan financier. De la même façon, être confiné dans un appartement urbain surpeuplé ne constitue pas la même expérience que lorsque l’on se trouve dans une vaste maison de campagne.
Cependant, au-delà des inégalités économiques et sociales dramatiquement accentuées en période de crise, la situation exceptionnelle que nous vivons constitue surtout un révélateur des questions générationnelles, et des priorités parfois incompatibles entre les plus âgés et les plus jeunes. Le concept philosophique de justice intergénérationnelle, qui pense la distribution des avantages entre les générations, devient dès lors un prisme pour l’analyse des réponses des pays face au Covid-19.
Les générations sont inégalement affectées par la crise du Covid-19. D’un côté, ce sont les personnes âgées qui constituent la principale population à risque. Une étude de l’université d’Oxford et de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, en cours de validation par la communauté scientifique, conclut que le facteur déterminant associé à la mortalité de la maladie est de très loin l’âge. Avec un taux de mortalité de 12,64 %, les patients de plus de 80 ans présentent un risque de décès 180 fois supérieur à celui des 18-40 ans.
Les personnes âgées représentent également la majeure partie des hospitalisations. Ainsi, la lutte contre la propagation du virus vise en priorité à protéger ces populations et à leur assurer un suivi médical de qualité. De l’autre côté, si les populations plus jeunes développent généralement une version bénigne du Covid-19, ce sont elles qui supporteront en majorité les conséquences du confinement.
L’Organisation international du travail (OIT) explique que les jeunes ont trois fois plus de risques que le reste des travailleurs de se retrouver au chômage en conséquence de la crise actuelle, qui pourrait amputer de 8 % la croissance du PIB français en 2020. Après la destruction nette de 450 000 postes au premier trimestre 2020 et une perte de fluidité de la réallocation des emplois, les mois à venir s’annoncent compliqués pour le marché du travail.
Un arbitrage contraint
Par ailleurs, une instabilité de l’emploi et une baisse des salaires pourraient s’observer sur le moyen terme, notamment dans les pays du sud de l’Europe, précarisant d’autant plus les jeunes qui se remettent à peine de la crise de 2008. A ces effets sur l’emploi s’ajoutent les retombées de l’accroissement du déficit public, estimé à 9 % du PIB en France en 2020.
Les prévisibles mesures d’austérité qui viseront dans les prochaines années à contenir l’endettement pourraient contraindre les Etats à réduire leurs investissements et fragiliser les acquis sociaux sur le long terme, agissant sur le bien-être des générations présentes et futures.
Ainsi, le débat lié à la gestion du Covid-19 ne se pose pas seulement entre la valeur que l’on accorde à la vie humaine ou la priorité que l’on donne à l’économie de marché et aux systèmes de production de valeur. La propagation galopante de la maladie, le manque d’anticipation et la pression sociale ont obligé nos sociétés à un arbitrage : se positionner pour la sauvegarde du système sanitaire, et a fortiori la limitation de la mortalité des populations plus âgées, ou mitiger des risques économiques affectant en priorité les plus jeunes, par une stratégie dite de l’immunité collective.
Des approches très différenciées
Or, cet arbitrage est intergénérationnel. Il est conditionné par des composantes culturelles ainsi que par les systèmes sociaux en place et le degré de protection qu’ils offrent aux citoyens. Les pays ont adopté des approches différentes face à cet arbitrage. L’Espagne, l’Italie et la France ont préféré un confinement strict, avec pour objectif premier de ne pas saturer les services hospitaliers et de sauver un maximum de vies.
En parallèle, les gouvernements ont tenté de limiter les effets de l’inédite baisse d’activité en renforçant les systèmes d’aide sociale existants, engendrant néanmoins une hausse importante de l’endettement public. A l’inverse, d’autres pays comme les Etats-Unis ont adopté un confinement plus flexible, acceptant de risquer un nombre de victimes plus important pour éviter que la crise sanitaire ne devienne sociale.
Cette approche est parfaitement résumée par la phrase du gouverneur du Texas, Dan Patrick : « Personne ne m’a demandé si, en tant que senior, j’acceptais de risquer ma survie pour que les Etats-Unis demeurent ce pays que l’on aime pour nos enfants et petits-enfants. Parce que si c’est le choix qui se pose, je prends le risque. »
Toute décision a un coût important
La préférence est dès lors donnée aux générations les plus jeunes et à la sauvegarde de leur qualité de vie, dans un pays où la liberté et la responsabilité prévalent sur les droits sociaux, et où toute crise économique met en péril la survie de millions de personnes et attaque les fondements du « rêve américain ».
En définitive, la crise du Covid-19 cristallise des différences culturelles trouvant leurs racines dans l’histoire et l’organisation sociale des pays, entre utilitarisme et universalisme. A court terme, toute décision semble avoir un coût important.
Cependant, si les vies humaines perdues ne peuvent être récupérées, une bonne gestion de la crise économique et de la dette publique pourrait limiter les impacts sur les plus jeunes, assurant ainsi une moindre pénalisation générationnelle. Y parviendrons-nous ? Seul l’avenir nous le dira.
Lena Konc, politiste, diplômée de Sciences Po, d’HEC et du Collège d’Europe. Consultante stratégique pour les secteurs public et privé.
Fin de citation.
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