Le 17 mai dernier, Nestsai Marova, Joanna Mamombe et Cecilia Chimbiri sont retrouvées au bord d’une route de campagne, à une heure de route de la capitale du Zimbabwe, Harare. Les jeunes femmes, membres du Movement for Democratic Change, le principal parti d’opposition, ont disparu deux jours plus tôt à l’issue d’une manifestation.
En état de choc, elles racontent avoir été battues et violées après avoir été appréhendées par les forces de l’ordre. La police, qui avait d’abord confirmé leur arrestation, s’est rétractée et suggère désormais que les agresseurs sont probablement des “usurpateurs”, même si la voiture de l’une des victimes a été retrouvée devant le commissariat central de la capitale, selon le journal indépendant The Newsday.
Pour l’opposition comme pour une partie de la presse, l’épisode rappelle de douloureux souvenirs, deux ans et demi après la chute de Robert Mugabe. Renversé à 93 ans après plus de trois décennies de pouvoir marquées par la violence, Robert Mugabe est remplacé en novembre 2017 par son ancien bras droit, Emmerson Mnangagwa. Six mois plus tard, le président par intérim est donné vainqueur des élections sur la promesse d’un “Nouveau Zimbabwe”. En avril dernier, son ministre de l’Économie suppliait encore le Fonds monétaire international (FMI) de prêter 200 millions de dollars au pays en échange de réformes politiques.
Mais pour le Zimbabwe Independent, l’agression des trois jeunes femmes signe bien le retour du “mugabéisme” : “Le kidnapping et la torture présumés de membres de l’opposition par les forces de sécurité la semaine dernière indique le retour au règne brutal de Robert Mugabe, quand les disparitions, les passages à tabac et les exécutions extrajudiciaires se produisaient de manière routinière en toute impunité”, écrit le journal dans un éditorial :
“Beaucoup ont célébré la chute de Mugabe en croyant voir le début d’une nouvelle ère. Certains journaux ont parlé de ‘la fin d’une époque’. Oui, c’était bien le Waterloo de Mugabe, mais pas la fin d’un système répressif.”
Terroriser les opposants
L’auteure et activiste zimbabwéenne Thandekile Moyo estime également que les sévices vécus par les trois jeunes femmes relèvent d’une “stratégie” visant à terroriser les adversaires du parti au pouvoir. “Le plus dérangeant dans ces agressions est leur similarité avec les méthodes utilisées par les soldats de la 5e brigade au cours des massacres du Gukurahundi”, écrit-elle dans un éditorial publié par le Daily Maverick. Entre 1983 et 1987, 10 000 à 20 000 personnes ont trouvé la mort dans une répression sanglante menée par les troupes de Mugabe. À leur tête, la 5e brigade, une unité particulièrement violente formée par des instructeurs nord-coréens.
“Malheureusement, ces similarités ne sont pas une coïncidence, poursuit Thankhekile Moyo. L’un des auteurs des massacres du Gukurahundi s’appelle Emmerson Mnangagwa.” Dans les années 1980, l’actuel président était le ministre en charge de la Sécurité de l’État. Depuis son arrivée au pouvoir, 48 personnes ont été victimes d’enlèvement, d’après l’opposition. Elle rappelle aussi qu’aucune enquête n’a jamais fait la lumière sur la mort de six manifestants après sa victoire contestée. Les trois jeunes femmes agressées, elles, sont poursuivies pour avoir pris part à une manifestation illégale, vient d’annoncer le gouvernement.
Mathilde Boussion
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