“Kyaw Thu* a attendu la tombée de la nuit avant d’emmener sa famille sur les rives du fleuve, à proximité de son village. Forcés de fuir au moment où, partout dans le monde, des millions de personnes étaient sommées de rester chez elles face à la pandémie de Covid-19”, relate le quotidien britannique The Guardian dans une nouvelle enquête sur les atrocités commises par l’armée birmane dans l’État d’Arakan, dans l’ouest de la Birmanie.
Durant cette nuit de mars, “personne n’allumait de lumière ou de cigarette par crainte d’éveiller l’attention de l’armée birmane”, alors que les résidents du village de Tin Ma fuyaient pour trouver refuge dans la ville la plus proche.
Trois ans à peine après la violente campagne de répression contre les communautés musulmanes rohingyas dans l’Arakan, qui vaut à la Birmanie d’être poursuivie pour génocide devant la Cour internationale de justice des Nations unies,, l’armée est à nouveau accusée de commettre des crimes de guerre, détaille le quotidien britannique.
Revendications autonomistes
“Les tactiques sont similaires, mais cette fois-ci, les principales cibles sont des bouddhistes arakanais.” Ces derniers se plaignent depuis longtemps de persécutions et estiment “que le développement de leur État a été entravé par le gouvernement central”.
“Depuis plus d’un an, le conflit latent a pris de l’ampleur entre l’armée gouvernementale et l’Armée de l’Arakan, un groupe armé qui réclame une plus grande autonomie” pour les bouddhistes de l’État.
Selon des témoignages de villageois de Tin Ma, recueillis par The Guardian, l’armée birmane est entrée dans le village en février et mars, brutalisant les habitants et tirant en l’air, visiblement à la recherche des militants de l’Armée de l’Arakan.
Selon plusieurs témoignages, le 16 mars, les soldats ont rassemblé des douzaines d’hommes. Aung Lay* raconte qu’il “a été attaché, ses yeux ont été couverts et on lui a dit qu’en cas de tentative de fuite, on lui tirerait dessus. Quand il a été libéré, il s’est caché dans les fourrés et a découvert le corps d’un homme détenu avec lui.” Après la fuite des habitants du village, leurs maisons auraient été brûlées. “Deux villageois ont dit avoir vu des soldats en train de brûler des maisons le 22 et le 23 mars.”
“Il n’est pas possible de vérifier ces témoignages. Une interdiction de fait ne permet pas aux médias étrangers de travailler dans l’État d’Arakan, les journalistes locaux sont la cible de harcèlement et Internet a été bloqué depuis un an, rendant difficile l’analyse des données pouvant confirmer de possibles exactions.”
Images satellite comme preuve
“Mais, des images satellite, fournies par Planet Labs Inc. et analysées par Human Rights Watch, confirment qu’environ 140 bâtiments ont été incendiés à Tin Ma, probablement aux dates évoquées” par les villageois. Confirmation établie également pour 180 bâtiments dans un autre village, Pyaing Taing, du même district de Kyauktaw.
The Guardian a connaissance de 19 autres rapports dans lesquels les maisons de civils en Arakan et dans l’État Chin ont été détruites par des tirs d’avion ou brûlées depuis janvier.
Face aux accusations au sujet de Tin Ma, le brigadier général Zaw Min Tun a dit savoir que des maisons avaient été brûlées sans évoquer les éventuelles responsabilités. Selon Zaw Min Tun, “certaines accusations contre les militaires provenaient de ‘soi-disant villageois membres de l’Armée de l’Arakan’”. Il a précisé que ces accusations feraient l’objet d’une enquête et seraient poursuivies en justice.
“Dans les zones de conflits, l’armée fait très attention à suivre les règles de l’engagement.”
Il a ajouté qu’il était difficile de faire la distinction entre les insurgés et les villageois.
Un black-out sur l’information
L’Armée de l’Arakan a été désignée comme un groupe terroriste par le gouvernement birman, une qualification qui induit que les journalistes peuvent être poursuivis pour avoir cité des représentants des rebelles. Une entrave supplémentaire à l’information.
L’Armée de l’Arakan est également accusée d’abus, notamment de kidnappings de représentants des autorités locales, précise le quotidien britannique.
Les habitants de Tin Ma souhaitent que les atrocités infligées à leur village soient connues à l’échelle internationale et appellent la communauté internationale à visiter les lieux afin de se rendre compte de ce qui s’y est passé.
* Les noms ont été modifiés.
The Guardian
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