- La soif, première préoccupatio
- Contre la pollution industriel
- La densification urbaine
- Le dérèglement climatique
- De nouvelles causes
- Celles et ceux qui luttent
- Les modes de protestation
- Pas de jonction des luttes
- Pas de solidarité internationa
- Luttes de classes
- Les réponses des pouvoirs (…)
- Volontariat, autogestion
- Révolution et écologie
En 2011, les soulèvements révolutionnaires n’avaient pas développé de revendication écologique, même s’il paraît que la revendication de dignité pouvait être sous tendue par l’absence d’eau, d’égout, d’électricité et la pollution. Les soulèvements de 2019 non seulement sont sous tendus par les mêmes préoccupations, mais certaines exigences environnementales font partie des revendications des révolutionnaires et sont clairement exprimées.
La soif, première préoccupation
Les luttes pour l’eau potable (absente, polluée, salée ou mal dessalée, ou trop chère) sont les plus nombreuses, suivies par les luttes pour l’eau d’irrigation (Khouzestan), contre les factures anticipées (Tunisie). La revendication de l’eau peut être le fait de grands et petits agriculteurs. A ce sujet, notons les luttes contre les grands agriculteurs qui accaparent l’eau (Maroc, Tunisie), parfois pour la culture du cannabis (Maroc) ou du qat (Yémen), ou des luttes contre la culture intensive d’oléagineux (Soudan).
Puis viennent les luttes contre des décharges polluantes, (Algérie, Arabie Saoudite, Gaza, Liban) et pour des réseaux d’assainissement (absents ou non fonctionnels), pour la collecte des déchets, contre les déchets toxiques (Tunisie) ou encore les déversoirs de margines (Tunisie). Des pays ont été le théâtre de conflits sur la durée contre des projets d’incinération (Liban), de stations d’épuration (Égypte).
Les dernières années ont vu une augmentation des luttes pour l’électricité (pour le raccordement, contre les délestages ou les hausses de tarification [2]), souvent liées aux luttes pour l’eau (l’électricité alimentant les pompes), à celles des pêcheurs (un délestage dans une conserverie oblige les pêcheurs à jeter leur pêche) au dérèglement climatique (l’électricité faisant fonctionner réfrigérateurs, ventilateurs, etc).
Contre la pollution industrielle
Viennent ensuite les luttes contre des industries polluantes, notamment : -et à titre d’exemple seulement car ces luttes sont d’importance très différente- les huileries (Maroc), les cimenteries (Liban, Cisjordanie), la production de dindes et de poules (Maroc), les briqueteries (Irak, Tunisie), les conserveries de poisson (Maroc), l’extraction aurifère (Soudan), la farine de poisson (Mauritanie), le meulage de pierre (Maroc), les engrais (Égypte), les carrières de tuf (Algérie), d’agrégats, de pierres (Liban, Maroc), de marbres, de sable (Algérie), de gravier (Tunisie), les mines de phosphate (Israël), les raffineries de phosphate (Tunisie), de pétrole (Irak), l’aquaculture (Algérie, Tunisie), les explosifs utilisés dans les travaux publics (Algérie), la liquéfaction de l’asphalte (Maroc), les générateurs électriques (Israël), ou les industries utilisant le bien commun : mise en bouteille de l’eau (Algérie, Maroc), extraction du sable (Maroc).
Les entreprises étrangères polluantes particulièrement visées sont l’allemande Heidelberg Cement (Égypte), les françaises Lafarge (Jordanie) ou Amendis (Maroc [3]), la russe Miro Gold (Soudan), la multinationale Holcim (Liban), les turques Ozgun et EMRE-ETB (Algérie), l’indienne TCI-Sanmar (Égypte), la saoudienne Khazain SARL (Mauritanie) etc,... Sont également combattus des projets financés par des institutions internationales tel celui du future barrage de Bisri (Liban).
Des perspectives d’exploitation du gaz de schiste ont à nouveau fait descendre des populations dans la rue (Algérie).
Viennent ensuite les luttes contre la pollution des fleuves et rivières (liées souvent aux entreprises polluantes (Égypte, Liban) et pour les fleuves tout court menacés par des barrages (Irak, Kurdistan d’Irak, Liban) déjà réalisés ou en projet.
La densification urbaine
L’interpénétration des zones rurales et urbaines entraîne des revendications telles la délimitation de périmètres de chasse (Maroc) afin d’être protégé des tirs, des sangliers (Maroc), des animaux errants : chiens (Égypte), serpents dans les douches d’écoles (Irak) ; mais aussi des luttes pour la préservation du caractère rural de localités (Algérie) ou de sites (île de Warak en Égypte, Fuheis en Jordanie).
Les habitants des zones urbanisées se lèvent contre le passage de camions de gros tonnage, de voitures, notamment les taxis clandestins, les antennes réseau de téléphone (Algérie, Égypte), les ventes de psychotropes (Égypte, Jordanie), les pylônes à haute tension (Égypte), les générateurs électriques (Liban), la pollution de l’air (Maroc).
Les populations des grandes villes se mobilisent pour la préservation d’arbres (Rabat, Casablanca), d’espaces verts (Port Soudan), de parcs (Rades, Tunisie), de forêts (Mont Chenoua, Algérie), de lacs ou de zones humides (Dar Bouazza, Casablanca), de salines (Aden), de zones côtières, menacées par des projets immobiliers ou la main mise sur les biens communs ou par la pollution (Aokas, Beyrouth, Safi, Nouakchott,) ou par des marinas (Bizerte) [4].
Urbains et ruraux se mobilisent pour pour la sécurité routière (exigence de passerelles, d’amortisseurs de vitesse (Algérie, Égypte), de passages à niveau, de signalisation (Gaza) pour des transports publics (Maroc), le ramassage scolaire. La question du transport public se pose dans tous les pays de la région pour que les transports relient de nouvelles zones périphériques, ou qu’ils soient plus nombreux ou en état, ou encore assurés par les employeurs (Tunisie) mais la question de la tarification n’est pas posée.
Le dérèglement climatique :
Sécheresses, incendies et inondations ont entraîné des luttes pour des indemnisations, des relogements, des routes, des ponts, des ports (Algérie, Égypte, Liban, Mauritanie, Soudan, Tunisie, Yémen), pour des stations de drainage des eaux pluviales, mais aussi un débat sur la gratuité de la consommation électrique en cas de canicule.
De nouvelles causes...
Plusieurs pays ont vu des campagnes pour le respect de la vie animale (tortues marines, Libye, Égypte, chiens errants et outardes, Tunisie, chiens errants Koweït, outardes, Tunisie), contre le braconnage industriel (Khouzestan).
Et de nouvelles revendications :
– des hôpitaux pour soigner les personnes affectées par les pollutions
– autorisation de permis de chasse pour se protéger des sangliers
– pistes cyclables
Terrorisme et écologie
Des séquelles du terrorisme en Algérie font descendre des populations dans la rue lors de la découverte de bombes dans la terre, pour exiger des infrastructures dans des villages abandonnés lors de la décennie noire et dans lesquels des habitants voudraient retourner. En Tunisie, des habitants exigent de pouvoir s’alimenter en eau sans être exposés à des risques (Mont Chaambi).
Celles et ceux qui luttent
Les populations qui luttent sont celles qui sont les plus éloignées des centres urbains, les oubliées du développement. Hommes, femmes et enfants sortent dans les rues pour manifester après avoir tenté en vain d’autres moyens. Les femmes sont souvent le fer de lance ou l’élément moteur (Libye, Mauritanie, Yémen) de ces mobilisations, en majorité locales. Ces populations parcourent au Maroc distances énormes à pied pour se faire entendre et n’hésitent pas à se rendre à la première agglomération voisine à dos d’âne, ou accompagnés de troupeaux assoiffés.
Les habitants de quartiers précaires (chalets, bidonvilles, bâti très ancien) cumulent plusieurs problèmes : pas de raccordement à l’eau, ni à l’électricité, absence d’égouts. Ils sont plus vulnérables aux dérèglements climatiques et parfois menacées d’expulsion (Algérie, Égypte).
Les parents d’élèves se mobilisent contre l’absence d’eau potable (Algérie, Égypte, Tunisie), le déversement des eaux usées dans les salles de classes, voire les effondrements d’école, parfois mortels (Algérie) ou la présence d’amiante, et les personnels enseignants des écoles et collèges en Algérie, pour les mêmes raisons que les parents d’élèves.
Les élèves (Maroc, Israël, Cisjordanie) les lycéens (Égypte) et les étudiants (Algérie, Soudan, Yémen) se mobilisent contre le mauvais état ou l’insalubrité de leurs écoles, lycées ou cités universitaires.
Les chômeurs réclament fin de la pollution et emploi dans l’entreprise polluante (Algérie, Irak, Jordanie, Tunisie). Parmi les autres catégories touchée par la pollution et luttant selon leurs moyens : les malades du cancer (Irak), les détenus (prison du Néguev).
Plusieurs catégories de travailleurs particulièrement exposés à la pollution, au danger ou la soif manifestent ou débraient : les travailleurs forestiers (Algérie), les agents de la propreté (Algérie), les marins pêcheurs (Algérie, Égypte, Liban), les agriculteurs, affectés par l’épandage toxique (Soudan) ou le manque d’eau d’irrigation (Soudan, Algérie, Jordanie, Cisjordanie), les éleveurs du fait du manque d’eau (Mauritanie), les commerçants affectés par les coupures d’eau et d’électricité, les chiens errants et la pollution (Jordanie), les travailleurs de l’aviation civile (Koweït), les ouvriers du bâtiment (Qatar), les travailleurs des industries et des carrières, les personnels des décharges, des agences de l’eau (Libye).
Les modes de protestation :
Les modes les plus utilisés sont les manifestations (y compris en mer : cortège de barques de pêche au Liban), les sit-in, les blocages de routes avec pierres, les pneus brûlés, le déversement d’ordures (Irak), les marches au Maroc, le blocage de voies ferrées.
En Algérie, il y fréquemment recours à la fermeture des Assemblées Populaires Communales, des sièges de l’Algérienne Des Eaux, de la daïra. Les populations investissent les locaux des sociétés d’eau (Égypte, Tunisie). Il peut y avoir boycott des factures d’eau, et au cœur de l’été dernier, il y a eu des lancers de viandes putréfiées (Algérie) ou de peaux de moutons (Maroc).
Lors des manifestations, le matériel des manifestants est sommaire : banderoles ou pancartes, seaux, jerricans ou bouteilles vides ou remplies d’eau sale, port de masques, drapeaux nationaux ou symboliques d’un groupe (amazigh), portraits du roi (Maroc).
Les grèves sont le fait des élèves, parfois sur instigation des parents, des lycéens, étudiants (Libye) et travailleurs. A ces grèves ouvrières s’ajoutent les journées ville morte dites « grève générale » (Tunisie).
Ensuite viennent les fermetures de décharges, les blocages de travaux de barrages, ou de vannes de barrages, la coupure de l’eau alimentant entreprises (Tunisie), les blocages de l’accès aux champs de pétrole (Irak, Libye, Tunisie), les blocages de l’eau destinées à des voisins (Algérie), ou les sit-in avec tentes (Soudan). Les sit-in ont décru ou ont disparu dans la dernière période, notamment le sit-in avec occupation d’une zone à défendre, [peut-être] le plus ancien du monde à Imider au Maroc [5]. Restent les exceptions du Soudan [6] contre l’extraction aurifère, et de la Tunisie, contre une carrière à Al Houeidiya.
Nouveaux modes de protestation :
L’humour s’est invité dans les luttes avec des Fêtes en Tunisie : l’« Anniversaire des ordures » ou la « Fête du trou »
Le boycott a vu le jour au Maroc et en Algérie, notamment le boycott d’événements festifs en temps de canicule.
La circulation à bicyclette voudrait s’imposer progressivement parallèlement à la revendication de pistes cyclables.
Les soutiens
Les soutiens sont en général des sections d’organisations de défense des droits de l’homme au Maroc ou en Tunisie, des organisations berbères, ou palestiniennes. Le rôle de l’Union Générale Tunisienne du Travail en Tunisie (UGTT) est ambivalent, allant du don de fonds aux victimes des inondations, au soutien à des personnels enseignants dont le lycée a été investi par des chiens errants et des sangliers, jusqu’à l’opposition à la décision de la municipalité de Sfax d’interdire le transport de produits chimiques dangereux en ville et bien évidemment le refus de la fermeture de la Société Industrielle d’Acide Phosphorique et d’Engrais usine (SIAPE) au nom de l’emploi.
Pas de jonction des luttes
Ces luttes sont locales, souvent simultanées et se prolongent parfois pendant des années sans s’étendre, à l’exception du Soudan où les populations lésées par l’usage de cyanure dans l’extraction aurifère ont mené des sit-in simultanés contre des entreprises différentes. Les mêmes manifestent à répétition ; toutefois, si des conflits se prolongent, certains se structurent pour protéger des ZAD (Ile de Warak en Égypte, bande d’Aokas en Algérie) ou contre l’incinération de déchets (Liban), contre les cimenteries (Liban), la pollution des rivières et les barrages (Liban), contre les mines de charbon (Jerada Maroc), de phosphate (Néguev), le Groupe Chimique Tunisien (Gabes) ou la SIAPE à Sfax (Tunisie).
Des collectifs ad hoc voient le jour et s’y joignent alors des associations et des partis politiques. La coordination Akal [7] a vu le jour essentiellement dans le Sud Marocain, qui cherche à combiner la défense de l’identité amazigh, des terres collectives et des ressources naturelles, tout en intégrant des revendications écologistes. Au Soudan, la jonction entre la défense de l’identité nubienne et la lutte contre l’extraction aurifère et contre les barrages au Soudan a été faite il y a des années et reste un élément pouvant expliquant la combativité des populations [8].
Pas de solidarité internationale
Si l’extension des luttes est absente, la solidarité internationale l’est aussi, à l’exception des campagnes autour des fleuves ou des barrages, de quelques campagnes frontalières (Algérie Libye, lors des inondations), de la solidarité avec les morts en mer en Méditerranée à Zarzis (Tunisie) et des Journées internationales des Fridays For Future répercutées dans la jeunesse scolarisée de quelques capitales.
Le lien est immédiat avec les luttes des groupes opprimés : Nubiens du Soudan, Amazigh (Maroc) Arabes d’Iran, Palestiniens, et la cause est alors répercutée dans les diasporas ou dans des groupes opprimés de par le monde : les peuples autochtones en solidarité avec les amazigh en lutte pour l’eau à Imider (Maroc).
Luttes de classes
Très souvent, les populations déclinent une série de revendications. Et aux exigences portée environnementale s’ajoutent d’autres, sociales : centres de santé, gaz de ville, emploi, bitumage de routes, éclairage public, entretien de cimetières, agents de voirie, stades, loisirs, classes, toutes revendications qui sont le fait de populations délaissées par les pouvoirs, locaux ou centraux. La dénonciation de l’entreprise polluante et l’exigence d’y être employé vont souvent de pair. Et les populations qui se révoltent pour l’eau ou des réseaux d’assainissements sont souvent les mêmes que celles qui exigent des emplois. Ces revendications en disent long sur la classe en lutte pour l’environnement : petits paysans, chômeurs, employés.
Si la revendication environnementale est dans cette région du monde une revendication sociale et est portée essentiellement par les plus démunis, elle ne rencontre pas le soutien qu’elle mériterait des syndicats ou des partis censés porter le combat des classes sociales défavorisées. Elles et ils sont souvent très seul.e.s dans ce combat, perçu comme un combat les opposant à ceux ou celles ayant un emploi (polluant) qu’il convient de défendre à n’importe quel prix.
L’immense majorité de ces luttes sont mues par une logique d’aspiration au développement et d’accès aux services, d’autres par des préoccupations d’ordre sanitaire, et enfin, d’autres par des préoccupations environnementales et/ou écologique. Ces dernières sont rarement assumées comme telles mais une lutte récente en Tunisie pourrait ouvrir une nouvelle perspective : les sit inneurs de Houeidiya (pour l’essentiel des femmes et des hommes de la petite paysannerie), contre la pollution de leur unique source d’eau potable par une carrière de pierres, n’ont pas ajouté à la revendication de la fermeture définitive de la carrière d’autre revendication sociale. Il s’agit d’une lutte pour la vie, et non pour « développement », une lutte qui ne peut se négocier, puisqu’il s’agit du droit à l’existence [9].
Les réponses des pouvoirs en place
Si les luttes sont locales, les interlocuteurs visés le sont aussi, à l’exception du Maroc et de la Mauritanie, où le Roi et le Président sont souvent respectivement interpellés.
Les réponses des autorités vont de l’indifférence aux promesses sans lendemain. Ici et là, une école amiantée (Algérie) ou une usine polluante est fermée (Liban, Tunisie) au terme d’une longue mobilisation. Mais généralement la répression est immédiate : des journalistes menacés pour avoir couvert des questions environnementales (Irak) ou arrêtés : Soudan. Idem pour des artistes (Égypte). Plus généralement il y a interpellation et poursuites judiciaires (Égypte, Khouzestan d’Iran, Maroc, Soudan, Tunisie), tirs à balles réelles et blessés (Algérie) ou tués (Irak, par centaines). La répression peut être le fait de milices privées des entreprises (Soudan).
Des personnes sont interpellées par la police de l’environnement (Koweït) et poursuivies (Maroc), une nouvelle police qui use de son pouvoir pour régler des comptes envers les plus vulnérables (vendeurs ambulants, militants).
Si cette répression a pu entraîner l’hilarité dans le cas de la chanteuse Shirine en Égypte, elle entraîne plus généralement des luttes pour la libération des personnes emprisonnées.
Volontariat, autogestion
Le volontariat a connu une recrudescence en 2019 : il concerne surtout des actions de collecte de déchets dans les quartiers, mais aussi dans les forets, de reboisement, la restauration de fontaine et l’entretien de sources, l’entretien d’écoles, la construction de passerelles sur les rivières ou le bitumage de route et il est majoritairement le fait des populations algériennes dans le sillage du hirak. Ailleurs, on note :
– une campagne de nettoyage des hôpitaux à Gaza, en coordination avec le personnel en grève, en Tunisie
– du volontariat dans les camps de Jordanie suite au retrait de l’UNRWA
– travailleurs du nettoyage travaillant volontairement (Liban)
– nettoyage de rues (Liban)
– nettoyage d’oued (Maroc)
– ecojogging (Mauritanie)
Salué en Algérie par les autorités incapables de résoudre leurs problèmes, le volontariat reste toutefois à apprécier en corrélation avec la montée du mouvement révolutionnaire. Cette prise en charge par les populations elles-mêmes est évidemment encouragée, saluée, voire quelquefois aidées par des autorités locales, mais elle peut être réprimée, comme au Khouzestan d’Iran, par un pouvoir qui ne tolère d’autres initiatives que les siennes.
Du côté de l’autogestion, à part des exemples isolés comme un lancement de coopérative par des femmes (Mauritanie), elle est le fait des comités de résistance au Soudan parallèlement à la montée du mouvement révolutionnaire, des communes auto administrées en Syrie dans tous les aspects de la vie quotidienne, souvent avec des financements internationaux, associatifs ou autres.
Certaines problématiques ont atteint un tel stade qu’elles ont entraîné l’émergence de structures locales ou nationales, telles les tunisiennes : « Vous nous assoiffez », « Jendouba veut le développement », en plus des structures déjà existantes telles l’Observatoire Tunisien de l’Eau, Nomad 08 ou le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES).
Révolution et écologie
Avant les soulèvements de 2019, Le hirak du Rif au Maroc avait révélé l’intégration de la dimension écologique dans un mouvement insurrectionnel en en intégrant dans sa plateforme revendicative la question de la défense d’un mode d’exploitation non industriel de la pêche ou de la petite agriculture vivrière.
Lors des soulèvements de 2019, des exigences environnementales font partie des revendications des révolutionnaires et sont clairement exprimées. Au niveau symbolique, il y a eu dans les quatre pays (Soudan, Algérie, Irak, Liban) une prise en charge par les manifestants de la question de la soif et des déchets (distribution d’eau, nettoyage des rues après les manifestations, arrosage des manifestants). Mais est-ce seulement symbolique ?
La jonction avec les luttes populaires a commencé en Algérie :
– par des slogans explicites « Nous ne voulons pas d’ordures, ni dans la rue ni au pouvoir » [10],
– par la reprise de campagnes menées par les populations : contre le gaz de schiste, la loi sur les hydrocarbures, la défense du Mont Chenoua menacé par les carrières.
Le point de départ n’est pas nécessairement environnemental, mais anti corruption tel à Skikda, le slogan des manifestants : « wilaya corrompue, vous l’avez vendue » due à l’absence des élus lors des inondations, ou à Tiaret : « ouvrir les dossiers de la corruption à Tiaret, ceux de la concession du foncier » ou des manifestants réclamant leur part du développement à proximité des champs gaziers de Hassi Rmel.
Réciproquement, bien des manifestants ont repris au niveau local, pour des revendications locales telles que l’eau, les slogans centraux transposés à leur échelon : « klitou el baladia, asabat serraqine » (Vous avez volé la municipalité, bande de voleurs).
Au Liban, où la question des déchets avait débouché sur une crise politique en 2015, et où la question reste l’équation de toute alternative, le hirak a fait siennes des causes locales et manifeste contre les centrales électriques au Liban, contre le barrage de Bisri.
Au Soudan, les révolutionnaires ont repris les causes des manifestants anti cyanides, l’approvisionnement en eau des populations, le sauvetage des animaux du zoo de Khartoum. La situation de double pouvoir qui prévaut depuis des mois a contribué à l’auto organisation dans la durée et les révolutionnaires prennent en charge via leurs comité locaux, des campagnes d’information et de nettoyage des quartiers.
En Irak, le mouvement révolutionnaire est d’emblée éco social, motivé entre autres par l’exigence de l’eau potable et de l’électricité et il est assumé comme tel.
A l’heure où nous écrivons ces lignes, la pandémie de covid-19 a donné un coup d’arrêt à ces mouvements, pour le plus grand bonheur des pouvoirs qui tenteront d’expliquer tous les problèmes socio-économique par le « virus ». Mais la satisfaction de ces derniers pourrait ne pas durer, la crise sanitaire risquant de révéler davantage les carences des systèmes, notamment la pénurie d’eau et d’électricité, et les disparités sociales. Si la menace de la pandémie venait à s’atténuer, et avec elle les raisons biologiques qui dissuadent aujourd’hui les gens de se rassembler, les méthodes traditionnelles de répression ne pourraient alors plus empêcher les luttes de se propager et les soulèvements révolutionnaires de s’accentuer.
Puisse ce rapide survol de la région avoir contribué à mettre en valeur les populations qui ont lutté pour leur survie et celle de leurs sociétés et à clarifier les enjeux à venir.
Luiza Toscane