Cette semaine, en France, des millions de personnes – enseignant·e·s, travailleurs/euses, salarié·e·s intérimaires, enfants – reprennent le chemin de l’école, de l’usine, des chantiers du BTP ou du nettoyage, du bureau, de la plate-forme logistique, des transports…
Pour chacun·e, il s’agit d’entrer dans la quadrature du cercle que connaissent ceux qui n’ont pas pu interrompre le travail depuis le début de l’épidémie, et avec quelles conséquences physiques et psychiques ! Il s’agit de travailler, enseigner, étudier, sans se retrouver à risque d’être contaminé et contaminant par un virus redoutable et omniprésent.
On veut faire porter aux individus exclusivement la responsabilité de la circulation du virus avec comme seule arme les « gestes barrières ». Et ceci sous injonction insupportable du gouvernement et du patronat quant à l’urgence de la reprise économique, qui justifierait toutes les infractions à la sécurité sur les lieux de travail, le plus dramatique étant que quelques syndicats aient cru utile de se joindre au concert, alors que la question fondamentale est celle de la vie et de la santé des travailleurs/euses.
Alors que, dans le cadre du référé Renault Sandouville, le juge a clairement indiqué que « cette reprise ne permettait pas d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs de l’usine face au risque lié au Covid-19 », la déclaration de Muriel Pénicaud considérant que « les conditions sanitaires sont réunies » [1] revient, de fait, à critiquer la décision du juge des référés et donne un signal aux employeurs sur le fait que même s’ils ne respectent pas le code du travail, notamment sur l’évaluation des risques, ils auront le soutien de la ministre contre les syndicats, voire contre l’inspection du travail et la justice elle-même.
Alors que le gouvernement a eu la main très lourde en sanctionnant les citoyen.ne.s hors des clous des injonctions du confinement (1 million de verbalisations et des peines de prison ferme !), avec un seul message : « Restez chez vous. Sauvez des vies ! », pour ceux qui n’ont pas d’autres choix que d’aller à l’usine, à l’école ou sur le chantier, le discours est tout autre « Sortez ! Allez travailler ! N’exigez rien ! ». Les employeurs bénéficient d’une totale impunité dans le non respect des règles de droit conçues pour la protection de la santé et de la vie des travailleurs. Pour preuve, un inspecteur du travail, Anthony Smith, est suspendu pour avoir « osé » exercer sa mission de contrôle en entreprise.
La démarche courageuse du syndicat CGT Renault Sandouville, qui a subi de violentes attaques abondamment relayées part les médias, prend tout son sens dans ce contexte d’une épidémie non maîtrisée, en accordant la priorité absolue à la défense de la santé des travailleurs/euses. Dans cette situation de danger grave et imminent pour les travailleurs/euses et leur entourage, en présence de la contagion, saisir le juge des référés s’est imposé aux syndicalistes CGT Renault Sandouville comme la seule voie possible pour obliger les dirigeants de Renault au respect du droit des travailleurs/euses à ne pas être mis en danger, au travail comme à l’extérieur.
L’ordonnance des référés [2], qui d’ailleurs fait suite à d’autres décisions judiciaires du même type concernant d’autres entreprises, et pas des moindres, notamment La Poste, Amazon et Carrefour [3], porte sur 4 points essentiels à la prévention :
1. L’infraction première est le fait que « l’évaluation des risques est insuffisante ». Elle ne prend en compte ni « les risques biologiques », ni « les risques psycho-sociaux » et ne garantit pas « une maîtrise satisfaisante des risques spécifiques à cette situation exceptionnelle », en référence aux principes généraux de prévention. L’ordonnance précise que l’évaluation des risques doit être « faite par unité de travail » et « doit être adaptée à la situation particulière de chaque usine » (p13-14).
2. Concernant la consultation du Comité social et économique (CSE) d’établissement, selon l’ordonnance, citant l’article R4323-97 du code du travail : « L’employeur détermine, après consultation du CSE, les conditions dans lesquelles les équipements de protection individuelle sont mis à disposition et utilisés, notamment celles concernant la durée de leur port. Il prend en compte la gravité du risque, la fréquence de l’exposition au risque, les caractéristiques du poste de travail de chaque travailleur, et les performances des équipements de protection individuelle en cause » (p15). Il ne s’agit nullement de formalisme mais de la démarche qui consiste à donner toute leur importance au travail réel et au travail syndical nécessaire pour le faire prendre en compte dans le cadre des stratégies de prévention. Par exemple, le port du masque. Nous le savons les masques FFP2 ou FFP3 sont les seuls véritablement protecteurs quand ils doivent être portés sur la durée d’un poste. Cependant, la contrainte respiratoire est telle, que le salarié doit s’arrêter après une heure de travail et faire une pause [4], ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Puis un autre masque doit être mis à disposition du salarié. Ceci fait partie de prévention des risques.
3. Selon l’ordonnance, une formation à la sécurité doit « impérativement être dispensée aux salariés pour leur apprendre à travailler sans prendre le risque d’être contaminé ». Il s’agit d’une « formation pratique et appropriée à chaque poste de travail […], conforme à la réglementation générale incluant les équipements de protection individuelle » (p16). Renault est « condamnée à soumettre préalablement les programmes de formation au CSE pour consultation » (p16).
4. Enfin la présence sur le site de Renault Sandouville de nombreux travailleurs extérieurs, salariés d’entreprises sous-traitantes, a conduit le tribunal à statuer également sur l’application des règles du code du travail concernant l’intervention d’une entreprise extérieure au sein d’une entreprise d’accueil, en particulier ce qui aurait dû figurer dans les plans de prévention établis entre Renault et chacune des entreprises sous-traitantes, et des protocoles de sécurité. En leur absence, l’ordonnance fait obligation à Renault de « modifier tous les plans de prévention ainsi que les protocoles de sécurité applicables sur le site de Sandouville afin d’y intégrer notamment le risque lié au COVID 19 et les mesures de prévention devant être prises pour y faire face, après les inspections préalables communes avec le ou les chefs d’entreprises extérieures, et après information des membres du CSE pour que l’un d’entre eux soit désigné pour y participer. » (p18) Il suffit d’évoquer le nettoyage et la gestion des déchets, deux fonctions systématiquement sous-traitées, pour mesurer l’importance de cette démarche qui vise à prévenir les risques associés à la contamination COVID 19, sachant que par contact cutané avec des surfaces, outils, déchets contaminés, les salariés de Renault et travailleurs sous-traitants peuvent eux-mêmes subir la contamination.
Depuis le début de l’épidémie, a contrario des principes généraux de prévention au travail qui font prévaloir la prévention collective, seule la prévention individuelle est retenue et, comme ici, en mode dégradé. Celle-ci permet à l’employeur de faire des économies et de reporter la responsabilité de la prévention sur les travailleurs qui sont en réalité les victimes.
Concernant le COVID 19, une autre stratégie sanitaire générale était pourtant possible, qui aurait dû intervenir dès le tout début de l’épidémie et pas seulement maintenant [5]. Fondée sur une démarche de « dépistage-suivi » digne de ce nom, elle aurait permis d’interrompre beaucoup plus tôt les chaînes de transmission du virus en population générale. Un des points noirs (parmi les autres !) de la stratégie choisie par le gouvernement est le fait de ne pas avoir rendu possible l’accès au test viral pour tous les travailleurs/euses contraints d’aller travailler dans des lieux collectifs, les laissant dans l’incertitude absolue de ce qui les menace.
La vie, la santé, la dignité ne se négocient pas. Nous, signataires de cet appel, appelons à la mobilisation citoyenne, syndicale, associative, politique, pour :
• La mise en application stricte, dans toute situation de travail, des règles du code du travail, telles que rappelées dans l’ordonnance de référé concernant Renault Sandouville, et dans celles prises à l’encontre de Carrefour, La poste et Amazon.
• Le rétablissement complet de la responsabilité pénale des employeurs privés comme publics ;
• Le renforcement des pouvoirs des représentants du personnel et de l’inspection du travail ;
• Le droit effectif des travailleurs et travailleuses à utiliser leur droit de retrait en cas de danger grave et imminent ;
• L’accès au dépistage gratuit par test, généralisé à l’ensemble de la population, doit être organisé par les pouvoirs publics. Dans l’attente, sur demande du salarié, ou à l’initiative du médecin du travail, celui-ci prescrit le test de dépistage, dans le respect du secret médical. Le résultat n’est communiqué qu’au salarié. Le médecin du travail conseille le salarié sur le maintien au travail ou la nécessité d’un arrêt de travail et met en place les mesures appropriées individuelles et collectives de suivi et de prévention ;
• La reconnaissance automatique en accident du travail ou en maladie professionnelle des travailleurs victimes du COVID-19, par suite d’une contamination professionnelle en temps d’épidémie.
Pour signer l’appel : « COVID 19, Non à la mise en danger » http://chng.it/qLy42dHMQ9
Signataires :
Verzeletti Céline, Syndicaliste CGT
Beynel Eric, Porte-Parole Union Syndicale Solidaire
Teste Benoit, Secrétaire Général FSU
Boeldieu Julien, Secrétaire général SNTEFP (inspection du travail)
Le Corre Gérald, Inspecteur du travail, responsable Santé Travail UD CGT 76
Thébaud-Mony Annie, Sociologue - Association Henri Pézerat
Audoux William, Sécrétaire CGT Renault Cléon
Florent Grimaldi, Secrétaire de la CGT Renault Lardy
Talbot Baptiste, Militant CGT
Martin Benoit, Syndicaliste CGT Paris
Lepine Emmanuel, Secrétaire général FNIC-CGT
Lagha Amar, Secrétaire général Fédération CGT Commerce et Services
Mateu Olivier, Secrétaire général UD CGT des Bouches-du-Rhône
Maneval Yann, Secrétaire de l’UD CGT des Bouches-du-Rhône
Cordat Philippe, Secrétaire général Comité régional CGT Centre Val de Loire
Martineau Sebastien, Secrétaire général UD CGT du Cher
Delaune Josiane, Secrétaire générale du l’UD CGT de l’Indre
Gaeta Florie, membre CGT du CESER Centre Val de Loire
Chapelle Sylvain, Secrétaire UL CGT Harfleur-Sandouville
Fadda André, Syndicaliste, CGT INTERIM
Huez Dominique, Médecin du travail retraité, CGT
Seitz Gilles, Médecin du travail retraité, CGT
Louail Régis, CGT Renault Cléon
Saunier Philippe, CGT Chimie
Barnier Louis-Marie, Sociologue du travail, Syndicaliste CGT Roissy
Brody Patrick, Syndicaliste CGT
Cukier Alexis, CGT FERC Sup, Ateliers Travail et Démocratie
Filliat Bernard, Ca d’INDECOSA-CGT
Gelot didier, Syndicaliste CGT
Lesage Jean-Yves, CGT Blog communistes libertaires
Tommasini Michel, Secrétaire UL CGT Epinal
Bouché Bernard, Union Syndicale Solidaire
Sinigaglia Yves, Ancien inspecteur du travail Sud Travail
Quirante Gael, Secrétaire Sud poste 92
Cozic Yves, Union Locale Solidaires le Havre
Fouquer Jean-Marie, Union syndical solidaires Le Havre
Mahieux Christian, Cahier les Utopiques, Union syndicale solidaire
Allix Denis, Délégué syndical Sud Orange
Boury François, Sud Education86
Galepides Nicolas, Secrétaire Générale Fédération Sud PTT
Abdessamad Pascale, Bureau Fédéral Sud PTT
Demougin Eric, Enseignant syndicaliste FSU
Rols Dominique, Inspecteur du travail SNUTEF FSU
Meriaux Pierre, Inspecteur du travail SNUTEF FSU
Roumier Théo, Syndicaliste et libertaire
Adam Etienne, Syndicaliste Caen
Dupeyroux Virginie, Association Henri Pézerat
Farbiaz Patrick, Pour une écologie Populaire et sociale
Mony Patrick, AFVS
Pezerat Pierre, Association Henri Pézerat
Roudaire Josette, Association Henri Pézerat
Sultan Philippe, Fondation Copernic
Talec Francis, Association Henri Pézerat antenne des irradiés des armes nucléaires
Valera Yannick, Association-Réaction 19
Voide Gérard, Collectif des riverains du CMMP Association Henri Pézerat
Voide Nicole, Ban Asbestos France et Association Henri Pézerat
Bagayoko Bally, Maire Adjoint Saint-Denis
Bayou Julien, Secrétaire National EELV
Besancenot Olivier, NPA
Bruneau Alban, Maire de Gonfreville-l’Orcher, PCF
Coulombel Alain, Porte parole EELV
Dharréville Pierre, Député Bouches-du Rhone PCF
Duverger Marie Hélène, NPA 76
Houdouin Gilles, Conseiller régional Normandie
Huet Vincent, Maire adjoint Saint Denis
Lecoq Jean-Paul, Député le Havre PCF
Melenchon Jean-luc, Président du groupe France Insoumise
Mérieux Roland, Membre équipe d’animation nationale d’Ensemble
Panot Mathilde, Vice-présidente groupe France Insoumise
Poupin Christine, Porte parole NPA
Poutou Philippe, Porte parole NPA
Sitel Francis, Ensemble
Vassalo Patrick, Conseiller municipal Saint Denis
Zarka Pierre, Association des Communistes Unitaires/Ensemble
Bantigny Ludivine, Historienne
Baron Pierre, Sociologue du travail
Berbra Karim, Avocat
Béroud Sophie, Politiste
Bouquin Stephen, Sociologue, Revue Les Mondes du Travail
Casamarta Jacques, Inseme a Manca
Chaouat Gérard
Chevalier Mireille, Médecin du travail,
Chaulet Anne
Coutrot Thomas, Economiste
De Cock Laurence, Historienne, enseignante
Dubreil Patrick, Médecin généraliste
Dufresne Anne, GRESEA
Epsztajn Didier, Blog : Entre les lignes entre les mots
Eydoux Anne, Economiste Association des économiste atterrés,
Flacher David, Economiste,
Girard Pierre
Husson Michel, Economiste
Jean Alexandra, Expert CHSCT/CSE,
Lecercle Jean Pierre
Le Moal Patrick, Inspecteur du travail retraité
Mariette Audrey, Enseignante-chercheuse, Univeristé Paris-8
Mordillat Gérard, Romancier, cinéaste
Moret Noël, Asso-Solidaires
Morin François, Economiste
Muller Séverin, Sociologue du travail
Penissat Etienne, Chercheur CNRS
Reggui Selma, Sociologue intervenante en santé au travail
Richez Yves, Directeur d’Hôpital
Rquena Claudine, Agent Hospitalier
Sanchis Daniel, Expert CHSCT et CE retraité
Silberstein Patrick, Médecin et éditeur
Spire Nicolas, Sociologue du travail
Sterdyniak Henri, Economiste
Tron de Bouchony, Médecin Biologiste
Yon Karel, Sociologue
Notes
[2]L’ordonnance dans son intégralité est sur le site de l’association Henri Pézerat : https://www.asso-henri-pezerat.org/wp-content/uploads/2020/05/DECISION-RENAULT-AN.pdf
[3]Doctrine, De Lille à Nanterre en passant par Versailles, les points cardinaux du doit à la sécurité en temps d’épidémie, Le Droit ouvrier– Mai 2020, n°862
[4]Recommandation INRS : http://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ED%20146(p4°