L’inquiétude est devenue réalité. En Corée du Sud, où le Covid-19 semblait avoir été maîtrisé, un nouveau foyer de contamination est apparu dans des boîtes de nuit situées dans le quartier d’Itaewon à Séoul [quartier animé et cosmopolite qui hébergeait jusqu’à une date récente une importante base militaire américaine]. Depuis la découverte du premier cas [6 mai dernier], le nombre de contaminés s’accroît par effet boule de neige (54 le 10 mai, dont 50 dans la région de Séoul). L’affaire est délicate car, en plus du danger de propagation nationale, elle comporte plusieurs éléments explosifs : soupçon de négligence des autorités vis-à-vis de ces établissements à haut risque, difficultés de traçage et droits fondamentaux des minorités sexuelles.

Le calme et le sang-froid sont plus que jamais nécessaires pour éviter toute dérive de la presse. Il faut se rappeler la contamination massive partie de l’Église Sincheonji à Daegu en février dernier : des fidèles avaient été contaminés pendant les offices, contaminant à leur tour leurs proches. Le point commun avec le cas d’Itaewon est qu’il s’agit de groupes qui rechignent à se montrer au grand jour. En effet, l’habitude qu’avaient les adeptes de l’Église Sincheonji, considérée comme une secte, de cacher leur croyance avait rendu difficile leur traçage car certains niaient leurs liens avec cette communauté religieuse même après que leur contamination avait été confirmée.

La situation risque d’être similaire pour les clients des clubs d’Itaewon incriminés. Beaucoup d’entre eux restent injoignables au téléphone. Bien que beaucoup plus tolérante que par le passé, la société coréenne n’est pas complètement débarrassée de préjugés à l’endroit de l’homosexualité, ce qui fait craindre la propagation de propos et d’actes hostiles, tout comme dans le cas de l’Église Sincheonji, y compris dans la presse.

Les autorités sanitaires ont eu du mal à maîtriser le virus lors de la contamination massive de la secte car elles ne connaissaient pas bien la nature de son fonctionnement hautement collectif. Pour ce qui concerne les minorités sexuelles, elles disposent de meilleurs renseignements grâce à l’intérêt suscité depuis les années 1980 par la vague du virus du SIDA. C’est ce qui fait espérer qu’elles sauront déployer des stratégies pour refréner le Covid-19.

Respecter vie privée et droits fondamentaux

Il faut considérer aussi bien les fidèles de Sincheonji que les homosexuels comme des victimes, au lieu de les accuser. Le coming out n’est toujours pas une chose facile en Corée. L’essentiel à retenir n’est pas le fait que c’étaient des boîtes de nuit fréquentées par des homosexuels, mais tout simplement des boîtes de nuit, à savoir un environnement où il est difficile de respecter la distanciation sociale et où une seule personne sans masque peut contaminer rapidement plusieurs autres. Les autorités sanitaires doivent se mobiliser pour traquer le virus en se renseignant au maximum sur les contacts des personnes atteintes, mais tout en veillant à ne pas révéler leur vie privée et à respecter leurs droits fondamentaux.

La société coréenne peut sortir grandie de cette épreuve. La crise peut devenir une chance pour elle si elle arrive à la fois à refréner le virus et à éveiller la conscience sur la nécessité de protéger les minorités sexuelles. Attraper deux lièvres à la fois nécessite bien sûr la collaboration de la presse et des citoyens.

An Chong Chu

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