Quelle est la situation sanitaire dans le pays ?
Au 24 avril, il y avait 10 708 cas confirmés d’infection par le Covid-19 et 240 décès. Parmi les cas, 8501 personnes ont été complètement guéries et ne sont plus en quarantaine et 1 967 sont toujours en traitement. 579 920 tests ont été effectués. Environ 45 000 personnes sont en quarantaine parce qu’elles ont été potentiellement exposées ou sont venues de l’étranger.
Le Covid-19 a commencé à se propager rapidement vers la mi-février, a atteint un pic à 909 nouveaux cas le 29 février, puis a commencé à décliner. Il y a eu moins de 10 nouveaux cas par jour au cours des derniers jours.
Les premières éruptions massives de clusters ont eu lieu au sein de la secte religieuse Sincheongi, se propageant rapidement dans la région de Daegu-Gyeongbuk. À cette époque, les hôpitaux publics de la région étaient débordés, sans suffisamment d’espace pour accueillir les patients. Il y a eu des cas de personnes qui n’ont pas pu être hospitalisées faute de chambre et se sont retrouvées agonisant chez elles. Il y a également eu des cas, à Daegu-Gyeongbuk et dans tout le pays, de flambées épidémiques dans des établissements de santé, en particulier dans des établissements de soins infirmiers. Dans ces cas, une quarantaine a été imposée.
À Daegu en particulier et dans d’autres hôpitaux également, les EPI (équipement de protection individuelle) ont été insuffisants, ce qui a entraîné une concurrence entre les hôpitaux. Le KPTU et nos branches syndicales ont travaillé dur pour s’assurer que tous les travailleurs et toutes travailleuses, en particulier celles et ceux ayant des emplois non statutaires disposent d’EPI et des autres mesures de santé et de sécurité dont ils ont besoin
Quelles dispositions ont été prises pour les travailleurs et travailleuses ?
Le gouvernement a publié plusieurs directives sur la santé et la sécurité, notamment en ce qui concerne la fourniture d’EPI et la recommandation de congés payés pour les personnes en quarantaine ou infectées, de travail à domicile lorsque cela est possible, ou avec des horaires de travail flexibles pour celles qui ont des soins. Mais il y a de nombreux cas où les travailleurs et travailleuses n’ont pas été rémunérés et ont dû utiliser des vacances ou accepter des congés non rémunérés.
Aujourd’hui, l’emploi et la crise économique sont les premières préoccupations. Le gouvernement a mis en œuvre des mesures d’aide aux entreprises qui sont obligées de fermer ou de mettre le personnel en congé sans solde : à travers des indemnités de fermeture ou de congé (70% du salaire moyen). Selon la taille et le secteur dans lequel elles se trouvent, les entreprises peuvent demander un soutien (par le biais de la caisse de l’assurance-emploi) jusqu’à 90% de l’indemnité de fermeture/congé jusqu’au 15 septembre, si elles conservent un emploi et ne licencient pas.
D’autres programmes régionaux ont été mis en place pour soutenir les auto-entrepreneurs et les indépendants.
Mais ces politiques posent de nombreux problèmes. Si les entreprises ne demandent pas un financement et choisissent les licenciements, il est difficile de s’y opposer. De nombreuses petites entreprises sous-traitantes ne disposent pas des fonds nécessaires pour payer les 10% supplémentaires des indemnités et ont choisi de licencier.
Quelles sont les conséquences pour les travailleurs et travailleuses ? Pour la population la plus pauvre en général (chômeurs et chômeuses, sans-abri, secteur informel, etc.) ?
La population en recherche d’emploi a, officiellement, diminué tout comme l’économie tout entière qui a reculé. Cela signifie que de nombreuses personnes ayant perdu leur emploi ont renoncé à chercher du travail.
Les propriétaires de petites entreprises indépendantes et autres auto-entrepreneurs ou indépendants ou encore les travailleurs et travailleuses de plates-formes sont particulièrement touché.es, car il leur est plus difficile d’accéder à l’assistance et ils ne sont pas organisé.es.
Bien sûr, ce sont ces groupes et toutes les personnes en emploi atypiques qui étaient également les plus exclus des mesures de santé et de toute protection.
Les effets de la crise sanitaire sur les sans-abris ne sont pas documentés ou publiés. C’est une préoccupation, en particulier en cas de deuxième propagation du virus.
Quelle est la résistance organisée par les mouvements sociaux et syndicaux ?
Le KPTU et notre centrale nationale, la KCTU et les autres affiliés du KCTU, ont répondu en premier à la crise sanitaire. Pour le KPTU, il était prioritaire de trouver où les salarié.es précaires et atypiques étaient exclu.es des mesures de sécurité – par exemple dans les soins informels aux patients, les maisons de soins infirmiers et les soins à domicile, ou encore les travailleurs et travailleuses du nettoyage, en sous-traitance dans les transports publics – et de préconiser leur inclusion. Nous avons également fait de gros efforts pour déterminer les angles morts de la politique santé ou dans les politiques de soutien du gouvernement et pousser celui-ci à apporter des améliorations. Nous le faisons au mieux de nos capacités pour les travailleuses et travailleurs précaires et atypiques, membres ou non de notre syndicat, mais il est parfois difficile ne serait-ce que de les localiser pour évaluer leurs besoins.
Le secteur aérien a été très durement touché à l’échelle mondiale et nous avons déployé beaucoup d’efforts pour que la région de l’aéroport d’Icheon (région de Yongjeong) soit désignée zone de crise d’emploi, afin que tous les travailleurs et travailleuses, quel que soit leur secteur, puissent recevoir un soutien. Nous avons également fait pression pour que l’assistance d’escale et les sous- traitants soient inclus dans les mesures spéciales de soutien qui ont été appliquées au transport aérien. Jusqu’à présent, nous avons réussi pour la seconde revendication, mais pas pour la première (élargissement de l’application de la notion de zone de crise de l’emploi).
Nous demandons également que des conditions soient imposées au sauvetage financier des compagnies aériennes (et d’autres grandes entreprises), notamment l’engagement de maintenir l’emploi, le non-paiement de dividendes, la limitation des salaires des dirigeants et le partage des bénéfices avec le public (le gouvernement prend une part dans les entreprises). Il semble que certaines de ces exigences seront satisfaites. Nous voulons également que l’aide financière soit conditionnée à ce que les entreprises donneuses d’ordres ne puissent pas résilier les contrats avec les entrepreneurs ou les sous-traitants ; mais jusqu’à présent, le gouvernement ne l’a pas mentionné.
Plus largement, nous demandons, avec la KCTU, un moratoire temporaire sur les licenciements, l’extension de l’emploi (même chose que l‘« assurance chômage ») à toutes les travailleuses et tous
les travailleurs, y compris les indépendant.es, l’investissement dans le secteur de la santé publique (infrastructures et effectifs) et création d’emplois dans le secteur public.
Existe-t-il des demandes de réappropriation collective, d’autogestion, de contrôle des travailleurs et travailleuses ?
KPTU a commencé à dire que le gouvernement devrait envisager la renationalisation des industries clés essentielles, mais nous n’avons pas concrétisé nos demandes dans ce domaine. Il existe des groupes (marxistes) de gauche au sein du mouvement ouvrier (y compris le mien), qui ont commencé à défendre l’idée de l’autogestion et du contrôle des travailleuses et travailleurs. Ces idées sont discutées dans certains espaces syndicaux, mais il n’y a pour l’instant aucune proposition concrète pour aller de l’avant. (De l’aide et de l’inspiration sur la façon de concrétiser ces idées et de les mettre en œuvre par des collègues d’autres pays seraient les bienvenues !)
La crise actuelle permet de poser publiquement à nouveau la question d’une rupture avec le capitalisme ; dans quelle perspective la pensez-vous ? Avec quelles forces populaires ?
Je pense que les gens de gauche sont partagés : doivent-ils se concentrer sur une analyse de la nature structurelle de la crise et sur une critique des mesures populistes (de gauche ou de droite), qui ne peuvent pas être des solutions et ne peuvent qu’aggraver la crise – par exemple le revenu de base universel ou les modèles de croissance néo-keynésiens - ou devons-nous plutôt essayer de privilégier des modèles non capitalistes ?
Je pense qu’il y a une crainte (doublée d’une analyse) que nous, en tant que classe ouvrière, n’ayons pas l’unité ou la capacité de lutter et d’obtenir quelque chose de radicalement différent. Comme personne ne peut proposer un nouveau modèle complet, il est effrayant et peut-être irresponsable de parler d’un système au-delà du capitalisme.
Personnellement, cependant, je pense que nous devons saisir l’opportunité de cette crise pour parler et réfléchir sérieusement à des alternatives audacieuses au capitalisme basées sur l’autogestion, une nouvelle compréhension de la valeur du travail (et de la ’’valeur en général ’’) et de contrôle de l’économie ; tout en étant bien entendu conscient des vastes défis que représentent l’énorme dette nationale et des entreprises, la précarité et le chômage accrus, globalement plus d’autoritarisme, moins de solidarité et plus de nationalisme.
En Corée du Sud, il est vrai que le mouvement syndical n’est pas suffisamment uni ou développé pour atteindre ces objectifs. D’un autre côté, le mouvement ouvrier continue d’être la force de masse la plus forte ; il a donc la responsabilité de jouer ce rôle et nous devons le faire avancer dans ce rôle. À cet égard, je crois que l’échange et la solidarité entre les syndicalistes et gens de gauche radicaux du monde entier sont désormais d’une importance vitale pour se donner des idées et des exemples concrets et élargir l’espace de débat, et aussi parce que de nombreux aspects de la crise actuelle - du manque de masques suffisants à une dette publique massive - ne peuvent être résolus qu’au niveau international.
Publié le 29 avril 2020.
Wol-san Liem, responsable des relations internationales
du Korean Public Service and Transport Workers’ Union (KPTU)
KPTU (https://www.kptu.net/english) est membre de la confédération KCTU (http://nodong.org)