_C’était merveilleux de voir tant de femmes à l’écran après des décennies d’omniprésence masculine dans le cinéma bangladais.” La critique bangladaise Sarah Nafisa Shahid ne boude pas son plaisir après avoir découvert, au dernier Festival international du film de Toronto, Made in Bangladesh, le nouveau long-métrage de sa compatriote Rubaiyat Hossain.
Le film, qui sort le 4 décembre en France, relate le combat d’ouvrières du textile qui, après le décès d’une des leurs lors d’un incendie sur leur lieu de travail, décident de se syndiquer. “Le film nous parle de la joie ordinaire d’être une femme, de l’amitié entre femmes et d’une forme de solidarité particulièrement pertinente à notre époque”, insiste Sarah Nafisa Shahid dans les colonnes du Daily Star, un quotidien publié à Dacca, la capitale du Bangladesh.
Une équipe féminine pour un film féministe
Fille du député et ancien ministre bangladais Syed Abul Hossain, formée aux États-Unis, la cinéaste Rubaiyat Hossain appartient à “un milieu privilégié”. Elle “est plus proche du monde occidental que du bidonville [de Dacca] dans lequel elle a choisi de planter sa caméra”, relève la journaliste. Mais, engagée dans son pays auprès de plusieurs ONG qui défendent les droits des femmes, la réalisatrice a réuni “un casting et une équipe de tournage presque entièrement féminins” pour délivrer un message féministe qui détonne par “sa franchise et sa fraîcheur” dans le cinéma bangladais actuel, poursuit Sarah Nafisa Shahid.
Clé de voûte de cette organisation : Daliya Akhter, l’ouvrière et syndicaliste dont le parcours a inspiré le film. Interrogée à Toronto après la projection de son film, Rubaiyat Hossain a ainsi déclaré :
Un film inspiré de catastrophes bien réelles
À l’écran, l’alter ego de Daliya Akhter s’appelle Shimu (interprétée par Rikita Shimu), c’est une opératrice de machine à coudre qui travaille pour la marque fictive Modern Apparel. Ébranlée par le décès accidentel de sa collègue Moyna, elle prend conscience au début du film que “sa vie ne vaut pas plus que les vêtements qu’elle fabrique”. Elle prend alors contact avec Nasima, une militante des droits des femmes qui va l’encourager à monter un syndicat dans son usine. Détail qui échappera peut-être au spectateur français : les murs du bureau de Nasima “sont recouverts d’affiches et de slogans révolutionnaires rendant hommage aux victimes de l’usine Tazreen et du Rana Plaza qui ont respectivement brûlé et disparu dans un effondrement”. La première catastrophe avait fait 113 morts en 2012, la seconde 1 135 morts en 2013, attirant l’attention de l’opinion mondiale sur les conditions de travail dans les usines textiles du Sud-Est asiatique.
“Le message central de Made in Bangladesh porte sur la nécessité pour ces ouvrières de créer des syndicats”, commente le Daily Star :
“Le film dépeint les obstacles physiques, émotionnels et sociaux que doit surmonter une femme lorsqu’elle demande à faire respecter ses droits.”
Un message simple et efficace
Comme le souligne Sarah Nafisa Shahid, le long-métrage sonne souvent juste, notamment lorsqu’il évoque les relations de plus en plus tendues entre Shimu et son mari (il n’apprécie pas de la voir prendre de l’assurance et des initiatives) ou le rapport déséquilibré qui unit Shimu et Nasima. La première, sans revenus alors que son usine a fermé provisoirement après le sinistre, obtient une aide financière de la seconde, issue d’un milieu favorisé, en échange d’informations qui permettront de rédiger un rapport sur les pratiques de Modern Apparel. “C’est le rappel d’une dure réalité : malgré la solidarité et la bienveillance, il reste des tensions de classe évidentes dans le Bangladesh d’aujourd’hui”, écrit la critique. Nasima va se faire de plus en plus discrète au fur et à mesure que les ouvrières vont subir des intimidations pour les empêcher de se syndiquer : “Quand la pression devient trop forte, les femmes des classes ouvrières ne peuvent plus compter que sur elles-mêmes.”
Certes, Sarah Nafisa Shahid regrette que l’intrigue soit par certains côtés un peu trop simpliste et manichéenne, faisant des personnages féminins des héroïnes opprimées. Mais, “sachant la rareté des films bangladais qui prennent la défense des droits des femmes, je peux comprendre l’intérêt de rester simple. C’est la seule façon de faire passer le message”, concède-t-elle :
“Tout le monde aime voir le bien triompher du mal. L’intérêt de ce genre d’histoires universelles est qu’elles introduisent de nouveaux sujets de conversation autour de la table à manger. De tels films ont ce pouvoir.””
Made in Bangladesh de Rubaiyat Hossain sort le 4 décembre en France, en partenariat avec Courrier international.
The Daily Star
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.