Face au coronavirus, le gouvernement français impulsé par le président Emmanuel Macron et directement dirigé par le premier ministre Edouard Philippe a été un tissu d’incompétences, de mensonges, d’hésitations tandis qu’a été mis en place un état d’exception sanitaire comprenant à la fois des mesures de lutte contre la pandémie et des dispositions attentatoires aux libertés et aux dispositions du Code du travail.
Trois éléments de contexte
Trois éléments de contexte sont importants pour comprendre la situation. Il y a d’abord une gestion budgétaire gouvernée par l’austérité qui perdure depuis de longues années, que soient au pouvoir la droite ou la « gauche ». La compression du budget de la santé a frappé durement les hôpitaux avec la fermeture ou le démantèlement des services, des réductions de personnel, et la suppression de nombreux lits. Depuis plus d’un an, le gouvernement restait sourd aux revendications des agents des EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) et des hôpitaux. Pourtant, il y a plusieurs mois, une banderole dans une manifestation de personnels de santé avertissait : « Vous comptez vos sous, demain vous compterez nos morts ». La question des masques médicaux illustre aussi la gestion gouvernementale. Alors qu’en 2009, selon un rapport du Sénat français, suite à la grippe H1N1, l’Etat détenait 723 millions de masques FFP2 (les plus efficaces) et un milliard de masques chirurgicaux, ce stock était passé début 2019 à 150 millions de masques chirurgicaux et aucun masques FFP2. Où étaient passés les masques ? Périmés, dispersés un peu partout, perdus…. En fait, l’hypothèse des néo-libéraux était que l’Etat n’avait pas besoin d’un stock stratégique : si une nouvelle épidémie se produisait, on en trouverait toujours et à bon marché en Chine.
Deuxième élément, les conséquences de la mondialisation capitaliste sur la production de médicaments. Depuis des années, on constatait des ruptures d’approvisionnement de divers médicaments, même très basiques. Plusieurs rapports (de l’Académie de pharmacie en 2013 et du Sénat en 2018) avaient alerté sur la dépendance des importations quant aux matières actives utilisées dans l’industrie pharmaceutique L’Etat français soucieux avant tout de jouer le jeu du marché et de ne contrarier en rien les entreprises avait assisté sans intervenir au dépérissement et à la fermeture de diverses unités de production : de la substance active du doliprane, de masques médicaux et de bonbonnes d’oxygène médicale. Les matériels et substances nécessaires aux tests ne sont quasiment plus produits en France.
Troisième élément : la nature du pouvoir sous Emmanuel Macron. Celui-ci avait obtenu au premier tour des présidentielles de 2017 les vois de 18% des inscrits et n’avait dû son élection surtout au rejet de Marine le Pen et à la crise des partis s’étant avant lui succédé au gouvernement : le Républicains (droite) et le PS. Macron s’était partagé entre la haute administration et la banque avant d’être nommé ministre par Hollande. Son rôle est surtout d’être le fondé de pouvoir du capital pour mettre fin à ce que celui-ci considère comme le « retard » français et, à cet effet, briser les résistances sociales. Pour ce faire, il a largement utilisé la police contre les quatre mouvements sociaux majeurs de sa présidence : contre l’« assouplissement » du Code du travail, « Gilets jaunes », contre la réforme de la SNCF (société publique de trains) et contre la réforme des retraites. Pour un tel personnage et son entourage de technocrates ou d’arrivistes (pour partie issus du PS), la santé est un coût et les malades (comme les chômeurs et les bénéficiaires de prestations sociales) des boulets pour le budget : ils sont donc peu préparés à gérer une crise sanitaire.
En fait, tout s’est passé comme dans une pièce de théâtre en 4 actes.
Les deux premiers actes de la tragédie
Dans un premier temps, au mois de janvier et début février, les autorités françaises sous-estiment complètement le problème : cela concerne les Chinois, les pays du sud-est asiatique, puis les Italiens. Les Chinois mangent du pangolin, les grands-parents italiens s’occupent souvent de leurs petits-enfants…. En France, « ce n’est pas pareil ». Les trois premiers cas officiellement recensés (le 24 janvier) ne sont donc pas considérés comme annonciateur d’une possible extension de l’épidémie au territoire français, d’autant qu’il s’agit de Français d’origine chinoise. Dans le même temps, des officiels et de nombreux médecins médiatiques minimisent la gravité de la maladie, par rapport à la grippe qui revient chaque année.
Le gouvernement français ne prépare donc rien ou à peu près pour faire face à une extension de l’épidémie en France. Et les mensonges commencent : la ministre de la santé Agnès Buzyn déclare le 26 janvier : « Nous avons des dizaines de millions de masques en stock en cas d’épidémie, ce sont des choses qui sont d’ores et déjà programmées. Si un jour nous devions proposer à telle ou telle population ou personne à risque de porter des masques, les autorités sanitaires distribueraient ces masques aux personnes qui en auront besoin. »
En février, l’Etat se rend compte progressivement d’un risque d’épidémie mais les mesures prises restent dérisoires (des commandes de masques loin de couvrir les besoins des personnels soignants évalués à 40 millions par semaine). Sans le dire explicitement (contrairement à la Grande-Bretagne), tout se passe comme s’il jouait la carte de l’immunité collective : laisser l’épidémie se propager tout en évitant que les hôpitaux soient submergés. Car il y a un problème : les suppressions de lits d’hôpitaux ont abouti à ce que la France ne dispose que de que 5000 lits de réanimation contre plus de 25 000 en Allemagne. L’autre paramètre est le souci de ne pas prendre des mesures susceptibles d’affaiblir une croissance économique déjà flageolante. Les déclarations rassurantes continuent du côté du pouvoir alors que les pénuries de masques et de gels hydroalcooliques sont de plus en plus patentes.
De toute façon, les principales préoccupations du gouvernement français à l’époque sont d’un autre ordre : casser le mouvement social contre la réforme des retraites et limiter l’échec prévisible de LREM (la République en marche, le parti d’Emmanuel Macron) aux élections municipales. Le 16 février 2020, la ministre de la Santé quitte son poste et est désignée comme tête de liste aux municipales à Paris. Pourtant, le gouvernement avait tous les moyens d’apprécier les risques de la situation [1].
Le 25 février, est enregistré le premier mort, français et sans lien avec le territoire chinois, et dans les jours suivants, le nombre de cas détectés augmentent. Le samedi 29 février, un conseil des ministres extraordinaires se réunit officiellement pour débattre du coronavirus ; en fait, il discute aussi de la réforme des retraites et des moyens d’accélérer son adoption par la majorité macroniste du Parlement. L’action du gouvernement vise à contrôler les différents foyers locaux de l’épidémie pour éviter la propagation sur tout le territoire. Bien que le nombre de cas et de morts augmente (et que des personnalités se fassent discrètement tester alors que les tests sont indisponibles y compris pour le personnel de santé), le 7 mars à Paris, le Président déclare qu’« il n’y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie ».
Troisième acte : « Nous sommes en guerre »
Ensuite, face à l’inquiétude qui se répand dans la population et au risque de saturation des hôpitaux en raison de l’augmentation du nombre de cas, le 12 mars, le discours change. Le 10 mars, l’accent est mis sur la nécessité des « gestes barrière » (ne pas serrer la main ou embrasser, etc.) et un « Conseil scientifique » est créé pour conseiller le Président . Le 12 mars, Emmanuel Macron annonce une série de mesures : tout le système scolaire est fermé, toutes les entreprises pourront reporter le paiement des cotisations et impôts, un mécanisme massif de chômage partiel est mis en place (les salaires sont pris en charge pat l’Etat, à environ 80%, et non par l’entreprise), le télétravail est encouragé. Le ministère de la santé demande la déprogrammation des interventions chirurgicales non urgentes. Les rassemblements de plus 100 personnes sont prohibés. Mais le premier tour des élections municipales est maintenu le 15 mars (ce qui entrainera un nombre non négligeable de contaminations).
Le 16 mars, dans une nouvelle intervention, Emmanuel Macron répète à plusieurs reprises « la France est en guerre » et annonce le début du confinement de la population (limitation des déplacements, etc.). L’objectif affirmé est de ralentir la propagation du virus. Le nombre de décès augmente et les hôpitaux sont submergés… et les informations tronquées ou mensongères continuent :
– Le nombre journalier de décès annoncé chaque soir n’inclut d’abord que les morts dans les hôpitaux ; plus tard sont ajoutés les décès en maisons de retraite mais les remontées de chiffres sont incomplètes ; enfin les décès au domicile ne sont toujours pas recensés ;
– Face aux pénuries de masques et de test, le gouvernement répète que ce n’est pas un problème car il est inutile de tester largement et que le port du masque est lui aussi inutile, voire contre-productif.
En fait, alors que seules les activités essentielles à la vie de la population devraient continuer, le gouvernement voudrait limiter les arrêts d’activité au minimum : ainsi le 19 mars, la ministre du Travail parle de « défaitisme »à propos du secteur du bâtiment qui a interrompu les chantiers. De grandes entreprises essaient de reprendre et en sont empêchées, totalement ou partiellement, par le refus des salariés. Les entreprises bénéficient d’aides importantes.
La « guerre » annoncée par Macron cohabite avec un souci de ne rien imposer aux entreprises dont aucune n’est réquisitionnée pour produire ce qui serait nécessaire pour lutter contre la pandémie. Si certaines se reconvertissent, c’est de leur propre initiative ou sur la base de contrats commerciaux avec l’Etat. L’incompétence de celui-ci se manifeste dans la gestion des commandes de masques en Chine et dans la commande de 10 000 respirateurs à des industriels français : environ 8500 se révéleront inadaptés aux soins des patients atteints du coronavirus.
Ceux qui subissent la « guerre », ce sont avant tout les catégories populaires. Les salariés précaires ou les autoentrepreneurs concernés ni par le chômage partiel, ni par les aides aux entreprises. Les salariés des hôpitaux et des maisons de retraite, les éboueurs, les employés des supermarchés, les salariés de la logistique, etc. souvent mal payés et auxquels Macron et ses ministres ne cessent de rendre hypocritement hommage pour leur dévouement sans leur concéder aucune augmentation de salaire, seulement une prime exceptionnelle alors que ces salariés sont doublement exposés au coronavirus : pendant leur travail et pendant le temps de transport nécessaire pour s’y rendre. Parmi eux, il y a une grande proportion de femmes. Selon un document du 2 avril du conseil scientifique, parmi les ouvriers, 35% travaillent hors du domicile, 60% se déclarent en arrêt de travail et 5% en télétravail, contre10% des cadres en travail hors du domicile, 24% en arrêt de travail, et 66% en télétravail. Enfin, les personnes occupant des logements trop petits et les habitants des quartiers populaires qui sont plus soumis aux contrôles policiers (et donc au risque de verbalisation et d’amendes pour non-respect du confinement) que les quartiers plus bourgeois. Il faut ajouter aux victimes plus particulières du confinement les personnes sans domicile fixe, les emprisonnés, les malades des hôpitaux psychiatriques, les demandeurs d’asile, etc.
Le 22 mars est adopté par un Parlement siégeant en formation très réduite et discutant à un rythme accéléré une loi instaurant l’état d’urgence sanitaire autorisant le gouvernement à gouverner par ordonnances. Son champ d’application est très large et inclut la possibilité, en principe pour une durée limitée de restriction des libertés et de suspension des règles du Code du travail (la durée du travail pourrait par exemple être fixée transitoirement à 60 heures par semaine). Au-delà de la lutte contre l’épidémie, il s’agit en fait d’une limitation des libertés d’action des syndicats et mouvements sociaux (on l’a vu le 1er mai) et de préparation des conditions de la reprise espérée de l’économie.
Quatrième acte : vers le déconfinement ?
Le 13 avril, Macron annonce que le déconfinement commencera le 11 mai et renvoie au gouvernement le soin d’élaborer un plan pour le concrétiser.
A partir de là, le désordre s’installe dans la communication du gouvernement et du Président. Rien n’est clair. Le déconfinement se fera différemment selon les régions. Des indications contradictoires sont données sur la réouverture du système scolaire. Les maires ne veulent pas que le gouvernement se décharge sur eux de ses responsabilités. Quant aux transports urbains, leur fréquentation sera probablement risquée. Toutes les activités économiques sont supposées redémarrer le 11 mai à l’exception des cafés, restaurants et cinémas.
Sur les tests et masques, le gouvernement a maintenant changé de doctrine : il faudra tester et porter des masques (avec obligation dans les transports). Mais des tests, il n’y en a pas assez en dépit des déclarations rassurantes. Quant aux masques, le gouvernement français a inventé une nouvelle catégorie : le masque « grand public » en tissu, lavable et à l’efficacité incertaine.
Fondamentalement, il s’agit, pour le gouvernement et le patronat de faire repartir l’économie sans rien changer de la logique qui a amplifié la catastrophe. Il est bien trop tôt pour écrire en France (et ailleurs) pour écrire la notice nécrologique du néolibéralisme comme tendent à le faire un certain nombre de textes et de manifestes parfois intéressants mais qui passent trop souvent d’un juste « ça ne peut pas durer » à un illusoire « ça ne durera pas ». Comme si néolibéralisme et capitalisme pouvaient d’eux-mêmes s’écrouler. L’avenir se jouera sur le terrain des affrontements sociaux. En tout cas, les dominants se préparent à défendre leur ordre. D’ailleurs, police et gendarmerie ont récemment passé des commandes de drones et de gaz lacrymogènes….
Henri Wilno