Le cataclysme annoncé et redouté ne s’est pas encore produit. Comme le soulignait le premier ministre Édouard Philippe lors de sa conférence de presse du dimanche 19 avril 2020, « l’évolution de l’épidémie est sous contrôle » dans les départements et les collectivités d’Outre-mer. « Par rapport à l’avancée du virus [en France hexagonale] les mesures [y] ont été prises très tôt afin de préserver les territoires, la circulation du virus est faible et le système hospitalier a tenu grâce à une solidarité nationale. »
Dans le détail, et tout en reconnaissant d’emblée « des caractéristiques propres à l’Outre-mer qui rendent la situation sanitaire très fragile », Édouard Philippe a précisé que « de 171 lits de réanimations avant la crise, nous sommes à 310 lits, ce qui est une évolution considérable. Des mesures plus dures ont été prises comme des couvre-feu ou encore des quatorzaines à l’arrivée sur les îles », a enfin ajouté le chef du gouvernement.
De quoi permettre une accalmie au moins dans les chiffres de contaminations et d’hospitalisations. Le nombre de décès, rapporté à la population ultramarine de 2,7 millions de personnes, est resté dans des proportions limitées : 24, selon les chiffres de l’Insee disponibles au 20 avril 2020.
Ces bons chiffres ne doivent pas oblitérer une réalité beaucoup plus inquiétante : les Outre-mer sont loin d’être égaux entre eux et la situation se dégrade rapidement dans l’océan Indien, sur l’île de Mayotte. Le nombre de nouveaux cas y est en augmentation rapide, preuve que le virus y circule et désormais la population craint « un différé » avec ce qui s’est passé en Europe.
« L’épidémie de dengue frappe dur, comme il n’y a pas beaucoup de tests, personne ne sait si les symptômes sont ceux de la maladie transmise par le moustique ou le Covid-19, s’alarme Alexandre, enseignant installé dans le centre de l’Île aux parfums, contacté par téléphone. Personnellement, j’ai été très malade il y a dix jours : j’ai appelé le Samu à plusieurs reprises mais ils m’ont toujours découragé de me faire tester. Ils m’ont dit que je prenais un risque à sortir, j’ai attendu que ça passe. » L’Insee a estimé la surmortalité sur l’île à 30 % par rapport à l’année dernière, sans pouvoir néanmoins attribuer cette hausse au nouveau coronavirus : l’épidémie de dengue pourrait également en être responsable.
Prendre un risque en sortant : nombreux sont les Mahorais à devoir s’y résoudre, pour des raisons évidentes de survie. Officiellement, le confinement est strict et, selon les autorités, « la doctrine est la même que partout ailleurs en France » sur ce département d’Outre-mer du canal du Mozambique. Sur le terrain, la réalité est effrayante.
« Oui, à Mayotte, il y a des problèmes liés à la faim », reconnaissait la ministre des Outre-mer Annick Girardin face aux députés réunis dans la mission d’information sur le Covid-19 de l’Assemblée nationale, jeudi 16 avril 2020. « L’aide alimentaire annoncée le 30 mars a commencé à être distribuée [par l’armée française et la Croix-Rouge – ndlr] le 3 avril et l’allocation de cantine scolaire a été versée directement aux familles », poursuivait la ministre avant d’appeler à une « vigilance pour Mayotte ».
Sur l’île, au-delà encore du problème de la faim et de la survie économique d’une très large part de la population qui subsiste grâce au secteur informel, un problème concentre l’attention : l’accès à l’eau. L’eau courante est très loin d’être généralisée dans les logements – plus de la moitié de l’habitat est constituée de cases en tôle – et l’approvisionnement en eau d’une large part des habitants s’effectue grâce à des fontaines publiques payantes nommées « bornes fontaines » qui fonctionnent grâce à des cartes magnétiques.
Avec le confinement, les habitants rencontrent des difficultés pour se déplacer d’un quartier à l’autre afin de se ravitailler en eau. Le ravitaillement et les fournitures donnent lieu à des trafics et à une gestion chaotique de cette ressource. Le gouvernement français a estimé à 150 le nombre de « bornes fontaines » nécessaires pour un ravitaillement correct. Une dizaine seulement ont été mises en place en urgence. Ailleurs, dans le reste du réseau d’adduction de l’île, les coupures sont fréquentes et l’approvisionnement incertain alors que la saison sèche se profile.
Dans ces conditions, « la réouverture des écoles le 11 mai serait une pure folie, constate Alexandre, enseignant dans un collège du centre de l’île. Le seul avantage, c’est que les enfants pourraient avoir leur collation et elle représente bien souvent le seul repas de leur journée. Autrement, il faut bien avoir conscience que les effectifs sont délirants à Mayotte. Les conditions sanitaires dans les établissements scolaires sont absolument dégueulasses, et le respect des gestes barrières une chimère ».
Même si elle est exacerbée dans le 101e département français, cette situation n’est pas unique dans l’Outre-mer français. En Guadeloupe, depuis des années, les écoles sont fermées de façon épisodique à cause des difficultés d’approvisionnement en eau. « C’est affreux : certaines personnes restent sans eau pendant des semaines, des mois, et la situation ne s’est certainement pas améliorée avec le Covid-19, s’émeut Ismar Oguenin, président du Comité de l’eau de Nord Basse-Terre, adhérent au collectif syndical Liyannaj kont pwofitasyon (LKP). Pour bien comprendre le problème en Guadeloupe, il faut savoir que nous n’avons pas de problème de pénurie d’eau, il y en a beaucoup. Simplement, le réseau présente tellement de fuites que nous produisons beaucoup plus que nous consommons. Le rendement du réseau n’est que de 38 %, ce qui fait que 62 % de l’eau produite et traitée est perdue. Je ne vois pas comment les gestes barrières et la situation sanitaire en général pourraient s’améliorer dans ces conditions. »
Dans le reste de l’Outre-mer, la situation s’améliore doucement et une lueur d’espoir est entrevue à La Réunion où pratiquement aucun nouveau cas de Covid-19 n’est signalé depuis cinq jours. Après avoir envisagé de « déconfiner » avant la métropole, l’île patiente finalement jusqu’au 11 mai.
L’Océanie et les deux collectivités ultramarines que sont la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie ont quant à elles déjà assoupli les règles du confinement et estiment que leur stratégie d’autarcie a fonctionné. Les deux archipels en sont déjà à l’étape d’après et réfléchissent à la façon d’éviter une potentielle « deuxième vague ». Pour cette raison, la réouverture de leurs frontières et de leurs aéroports fait l’objet d’âpres discussions.
Julien Sartre