Votre production de médicaments est prévue d’être délocalisée voire arrêtée, peux-tu nous expliquer les causes ?
Frédéric Gibert : Le site pharmaceutique est issu du groupe Rhône-Poulenc puis Aventis, qui l’a cédé en 2004 au groupe grec Famar (détenu par la famille Marinopoulos, il fut sévèrement touché par la crise grecque). Quatre banques ont mis la main sur les titres Famar en 2017, peu après que Marinopoulos ait fait remonter environ 30 millions d’euros de Famar, dans des conditions douteuses.
Ce pillage du groupe a plongé Famar dans de graves difficultés de trésorerie, empêchant les sites comme celui de Saint-Genis-Laval d’acheter les matières premières et donc de produire, malgré un carnet de commandes bien rempli.
Les banques grecques ont confié la gouvernance au fonds d’investissement Pillarstone, avec pour objectif à terme de vendre le groupe. Le déblocage de trésorerie s’est fait au compte-gouttes, prolongeant la période de difficultés financières, de livraison intermittente des clients et de paiement erratique des fournisseurs. Ces revirements ont enclenché une spirale de baisse d’activité, avec pour effet une détérioration des résultats.
Pillarstone, filiale de KKR, un des plus importants fonds d’investissements américains, est devenu l’actionnaire du groupe Famar.
Très concrètement, sur le site, les investissements ont été largement réduits, en matière de sécurité et d’infrastructure permettant de répondre à la législation en vigueur. Les accords collectifs ont été dénoncés et nos conditions de travail se sont dégradées. Le prix de vente d’une boite de médicament a été proposé largement en dessous du marché, en espérant une compensation par des volumes de vente qui ne sont jamais arrivés. KKR et Pillarstone se sont alors désengagé prétextant que la production était devenue trop cher et que le site n’était pas vendable.
Et les conséquences ?
En terme de santé publique, la pénurie des médicaments est en constante progression depuis 2008 et le rapport présenté au sénat tire la sonnette d’alarme. [1] Plus de 500 références étaient en rupture de stock début 2019, dont de nombreux produits distribués en officine, de classes thérapeutiques enregistrées sur notre site.
Les mutations de l’industrie du médicament ont entraîné une fragilité croissante des chaînes de production (difficultés d’approvisionnement des matières premières, forte concentration des productions de principes actifs en Asie, démantèlement ou externalisation de l’outil de production européen....).
La recherche d’une baisse des coûts par les laboratoires pharmaceutiques a conduit à des mises en production auprès des façonniers et une recherche des pays à bas coût de main-d’œuvre pour la fourniture de principes actifs. Le but consistant à maintenir le maximum de marge au sein du laboratoire pharmaceutique et de n’en laisser qu’une toute petite fraction aux façonniers, insuffisante pour les maintenir en conformité vis-à-vis de règles sanitaires, La fragilité économique et industrielle de certains sous-traitants va logiquement multiplier les ruptures sur le marché du médicament.
Il est urgent de recréer les conditions d’une production pharmaceutique de proximité. Dans ce contexte où les pénuries de médicaments impactent significativement la santé des patients, nous souhaitons faire quelques propositions qui pourraient répondre en partie aux carences avérées de notre système de santé, mais également garantir un maintien, voire un développement de l’activité sur le site de Saint-Genis-Laval :
– Effectuer un recensement et un maintien de tous les derniers lieux de fabrication des Médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM)
– Mettre en place une protection particulière,afin que la production des MITM ne puisse pas être arrêtée, par exemple via une obligation de service public,
– Constituer un fonds de garantie alimenté par une cotisation des laboratoires pharmaceutiques, dont la stratégie d’externalisation a contribué à la situation actuelle.
– Redémarrer la fabrication des MITM actuellement importés, faire de même pour leurs principes actifs
– Constituer des stocks minimum de MITM, indépendamment des choix commerciaux des laboratoires pharmaceutiques, qui sont prêts à abandonner des MITM pas suffisamment rentables.
Vous vous battez depuis 2 ans pour empêcher la fermeture. Peux-tu récapituler la façon dont l’usine a été cassée, votre lutte et l’état d’esprit des salariéEs aujourd’hui ?
En 2017, un projet consistait à rationaliser les activités avec un plan d’investissements de plus de 20 millions d’euros. Ce projet est remis en cause en 2018 suite à la prise de contrôle de Famar par le fonds d’investissement (Pillarstone) et à l’annonce d’une réduction de moitié de l’activité du site dès 2020. Depuis, la direction a missionné deux sociétés de conseils en ré-industrialisation, une opération désastreuse en termes d’emplois et de santé publique est en cours.
En 2019, nous décidons d’alerter les pouvoirs publics. Nous n’avons eu aucun retour. En mai 2019, le groupe décide de positionner le site en cessation de paiement. Nous avons mené des manifestations avec les salariés début juillet auprès de la mairie et d’un client (Merck), pour essayer de sensibiliser les différents acteurs politiques, industriels mais il y a eu très peu d’écho. Nous avons été ignorés, tant par les pouvoirs publics que par les partis, et les salariés commençaient à se faire à l’idée d’une fermeture de l’usine.
Il a fallu attendre la pandémie du Covid-19 pour que les médias s’intéressent à notre situation, car nous fabriquons un produit sous le nom de nivaquine, dont le principe actif est à base de chloroquine. Cette situation a permis de redonner espoir aux salariés.
Vous êtes enfin écoutés mais, plutôt qu’une énième « reprise » comme le propose le Conseil régional, la nationalisation est-elle possible et comment vous soutenir pour l’obtenir ?
Oui, la nationalisation est possible et elle doit être mise en œuvre, quand l’activité peut répondre aux besoins de la société. Notre usine compte 12 médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. Elle fabrique un éventail de produits sous différentes formes, concernant des classes thérapeutiques multiples.
Les dernières interventions du ministre de la Santé sur les situations critiques liées aux pénuries de médicaments et à la pandémie du Covid-19 devraient permettre de reconsidérer l’avenir.
Famar Lyon est l’unique usine enregistrée pour délivrer le marché français en nivaquine. Les premiers essais thérapeutiques utilisant la molécule (chloroquine) contre le Covid-19 font apparaître des résultats encourageants.
Le site de Saint-Genis-Laval est à disposition pour répondre aux besoins de milliers de patients en souffrance, et ainsi répondre aux intérêts de santé publique, d’indépendance et de sécurité sanitaire du pays.
Pour nous soutenir, il faut faire pression auprès du gouvernement, mais aussi de l’industrie pharmaceutique. Il faut repenser notre système de santé et tant qu’il sera basé sur l’économie, le capital, nous nous retrouverons dans des situations critiques que nous subissons tous en ce moment.
Pétition en ligne :
https://nationalisationfamar.wesign.it/fr