Le 1er février [2007] paraissait dans Politis un « appel aux libertaires » à voter pour José Bové, candidat à la présidence de la république [Voir ci-dessous].
Rédigé par Michel Onfray et Yannis Youlountas « en tant que libertaires », ce texte expliquait pourquoi il fallait soutenir leur candidat. D’une part parce qu’il était sincère, courageux et dévoué – ce que nous ne lui dénions pas, et la répression dont il est victime en témoigne – d’autre part parce que « sa parole porte celle des mouvements sociaux » – ce qui est erroné, puisque jusqu’à preuve du contraire ces derniers ne lui ont rien demandé, ni à lui ni à aucun autre candidat.
Syndicalistes et/ou militants des mouvements sociaux, par ailleurs communistes libertaires, nous avons été en quelque sorte doublement sollicités par cet « appel », dont la vacuité politique est, à notre sens, symptomatique de l’illusion que constitue l’aventure électorale de José Bové.
Car que nous dit ce texte ? La moitié est une apologie de la personnalité du champion, « tout sauf un produit politique stéréotypé », « élevé au lait de Bakounine », qui « persiste à oser l’illégalité quand elle est légitime ». Le reste est un assemblage de vieilles lunes sur les « électrons libres » qui veulent s’« alterorganiser », ou de poussives considérations existentielles sur la valeur du vote et de l’abstentionnisme – pour notre part nous nous pensons que là n’est pas l’essentiel et nous refusons d’opposer, notamment dans les mouvements sociaux, ceux qui votent et ceux qui ne votent pas.
Mais dans ce texte rien, rigoureusement rien n’est dit sur la possible utilité politique d’une telle démarche. À aucun moment les rédacteurs de cet « appel aux libertaires » ne posent la seule question qui peut intéresser les libertaires : dans quelle mesure une candidature présidentielle peut aider à développer les luttes et les mouvements sociaux ? Pour notre part nous pensons que la candidature de José Bové est une fausse bonne idée. Qu’il fasse 2%, 10%, devienne secrétaire d’État ou ministre, ou que se crée autour de lui un « nouveau parti antilibéral à la gauche du PS », sa logique est de conduire les mouvements sociaux sur un terrain institutionnel qui leur est étranger, et où ils sont toujours battus.
Une fois encore, on jette de la poudre aux yeux en agitant l’idée absurde que l’on va gagner dans les institutions ce que l’on n’a pas réussi à gagner dans les luttes. Tout ce qu’on va réussir à prouver, c’est que le tribun fameux qu’a été José Bové pendant trente ans sur le terrain des luttes sociales et syndicales, peut devenir un inoffensif myrmidon dans le jeu politique institutionnel. Et, dans la foulée, minorer le poids des mouvements sociaux si on réussit, par une entourloupe médiatique, à le faire passer pour leur porte-voix. Sans hésiter, nous préférions le José Bové qui, il y a sept ans, qualifiait de « débile » l’intention qu’on lui prêtait alors de se présenter à la présidentielle, expliquant que « pour peser, il faut se situer à côté du système politicien » [1].
Au bout du compte, l’aventure électorale de José Bové est le révélateur, en creux, d’une carence fondamentale des mouvements sociaux : s’ils ne portent pas, par eux-mêmes, leur propre projet de société, ils laissent à d’autres la possibilité de jouer les intermédiaires. L’enjeu est pourtant de taille : que les pratiques extra-institutionnelles de cette « gauche de la rue » (grèves, blocages, actions radicales, assemblées générales…) s’articulent à un projet de transformation sociale identifiable. Si la « gauche de la rue » reste muette sur la question, elle engendrera épisodiquement, à son corps défendant, des épiphénomènes tels que cette cette candidature Bové. Plus systématiquement, elle se contentera d’être la spectatrice désabusée d’une gauche gouvernementale qui, comme en France en 1981 et 1997, comme avec Lula au Brésil, la conduira à l’impasse.
Note
[1] José Bové, Paul Ariès, Christian Terras, La Révolte d’un paysan, éd. Golias, 2000.
Peut-on être libertaire et soutenir la candidature de José Bové ?
Appel aux libertaires, par Michel Onfray et Yannis Youlountas.
Ce premier février 2007, un événement politique incite au questionnement parmi les absentionnistes, et notamment les libertaies : la candidature collective de José Bové à l’élection présidentielle. Pourquoi ? D’abord, parce que José Bové est tout sauf un produit politique stéréotypé. Sa parole porte celle des mouvements sociaux et de nombreuses luttes communes : sans-papiers, TCE, retraites, privatisations, CPE, brevetabilité du vivant, asservissement des paysans aux semanciers, répression d’Oaxaca, expulsions d’enfants scolarisés... luttes dans lesquelles nous avons agi ensemble, au-delà de nos différences : libertaires et non-libertaires.
Ensuite, parce que José Bové n’a rien d’un tribun volubile depuis sa tour d’ivoire. Ses actes vont de pair avec ses paroles, et son courage politique a fait sa réputation. Élevé au lait de Bakounine avant de rencontrer Jacques Ellul, ce syndicaliste paysan persiste à oser l’illégalité quand elle est légitime et la désobéissance civique quand la volonté populaire et l’intérêt général sont ignorés par les pouvoirs publics. À cette forme de résistance contemporaine s’ajoute lr principe de la non-violence. Et sa campagne en prison rappelerait celle d’un certain Louis-Auguste Blanqui. Enfin, parce que José Bové ne limite pas son combat à l’échelle d’un pays. Mieux encore - et cela en totale opposition avec les discours politiques convenus -, l’intérêt national ne saurait pour lui primer sur la réalité quotidienne de nos sœurs et frères humains d’autres régions du monde. Cette position universaliste est la manifestation d’un véritable humanisme : celui du refus de privilégier une communauté politique par rapport à une autre.
La candidature de José Bové n’est pas seulement collective au sein de l’Alternative unitaire, mais porte en elle un rassemblement plus large, du même genre que celui qui nous unit dans les luttes depuis plusieurs années. On y trouve notamment les « électrons libres » : sans-parti qui, loin d’être inorganisés, sont plutôt « alterorganisés » et sont en réalité les plus nombreux. Ils ont manifesté à travers la pétition Unis avec Bové leur vigilance à l’égard des appareils politiques qui bloquaient les collectifs unitaires.
La candidature de José Bové n’est pas celle d’un converti à l’ambition suprême, mais d’un homme déterminé, avec beaucoup d’autres, à défier jusque dans les urnes les pouvoirs politico-financiers qui tyrannisent l’humanité tout entière et la planète qui l’héberge. La campagne qui s’annonce n’interrompra pas les luttes pour les urnes, bien au contraire. Elle sera une occasion de plus de manifester notre refus de transformer le monde en marchandise et la vie en esclavage.
Ce qui nous rapproche de José Bové est donc beaucoup plus fort que ce qui pourrait éventuellement nous éloigner. C’est pourquoi, en tant que libertaires, nous avons initié et soutenu l’appel populaire qui a favorisé sa désignation par les collectifs unitaires antilibéraux ce 21 janvier. Beaucoup d’autres libertaires ont fait de même. Ils sont nombreux parmis les 30 coordinateurs qui ont choisi spontanément de lancer cet appel et qui animent aujourd’hui le site unisavecbove.org, la liste de diffusion des 30 000 signataires et les nombreuses initiatives autogérées autour de sa candidature.
S’il est assez étonnant, au premier abord, de songer que des libertaires puissnt désirer agir en ce sens, cela n’a plus rien d’étonnant quand on examine l’urgence sociale et écologique ainsi que la preuve par les actes qu’apporte régulièrement José Bové dans les luttes.
À circonstances exceptionnelles, intervention exceptionnelle. Il est des moments dans l’histoire lors desquels les événements nous incitent à agir, non sans concessions, pour faire face à des enjeux immédiats au moyen de rares opportunités. Au vu de l’état du monde et de la société française, et au su de ce vers quoi nous nous dirigeons, la question se pose à tous les libertaires, notamment à ceux qui revendiquent certaines périodes d’engagement analogues dans l’histoire. L’heure est-elle à résister jusque dans les urnes avec nos compagnons de luttes ?
Michel Onfray et Yannis Youlountas