Il va devenir de plus en plus difficile d’exercer le métier de journaliste en Inde. Saisie par le gouvernement Modi d’une demande de censure des médias sur tous les sujets touchant à la pandémie de Covid-19, la Cour suprême a exigé des intéressés, mardi 31 mars, qu’ils “se réfèrent exclusivement à la version officielle de la situation”, de façon à “éviter la diffusion d’inexactitudes” susceptibles de provoquer “une panique à grande échelle”, annonce The Hindu.
Les hauts magistrats ont “confirmé le droit à la liberté d’expression”, mais dans les circonstances actuelles, ont-ils déclaré, mieux vaut que le gouvernement “publie dorénavant un bulletin de santé du pays quotidiennement”, document que les médias devront ensuite “relayer”. Pour justifier sa décision pour le moins alambiquée, la Cour suprême a invoqué “le sens des responsabilités” et “l’intérêt de la justice”.
“Reportages biaisés ou inexacts”
Selon le ministère de l’Intérieur, à l’origine de cette reprise en main des journaux, des radios et des télévisions, mais aussi des réseaux sociaux, il s’agit de “mettre fin aux reportages biaisés ou inexacts” qui sont notamment “le fait des sites d’information”. Provoquer la panique au sein de la population est “un délit puni par le code pénal”, a-t-il aussi rappelé.
Ne pas autoriser la publication ou la diffusion d’informations sans que les médias aient d’abord “vérifié la véritable position factuelle”, ainsi que l’exige désormais la Cour suprême, “revient à obliger les médias à répéter tout ce que dit le gouvernement”, selon le site d’informations Scroll. Ce raisonnement pose un gros problème, car il permet au pouvoir politique de “masquer la vraie raison qui a conduit l’Inde à paniquer au cours des deux dernières semaines”.
Trois vagues de stress
En fait, une première vague de stress a déferlé sur le pays avant même que le Premier ministre n’annonce le 19 mars un confinement expérimental pour le dimanche 22 mars, “simplement parce que Narendra Modi a la réputation d’être politiquement imprévisible”.
Il y a eu une deuxième vague de panique encore plus forte après que le chef du gouvernement a décrété le 24 mars un confinement national d’une durée de vingt-et-un jours, “car celui-ci n’a pas expliqué clairement aux gens comment ils pourraient avoir accès aux denrées alimentaires et aux médicaments durant cette période”.
Troisième vague enfin, “qui montre que ce ne sont pas les médias qui font peur aux Indiens, mais l’absence de communication de la part du gouvernement” : juste après l’instauration du confinement, des millions de migrants de l’intérieur, dépourvus soudainement d’emploi et de toute source de revenus, se sont jetés sur les routes pour fuir les grandes métropoles.
Un argument étrange
Si la Cour suprême n’a pas voulu instaurer de censure en tant que telle, elle a cependant “donné satisfaction au gouvernement Modi” dans son désir de museler les journalistes, estime le site The Wire. “En utilisant un argument étrange”, à savoir que l’exode en cours des travailleurs migrants aurait été provoqué par “la rumeur que le confinement allait durer plus de trois mois”.
Or personne n’a jamais dit cela, pas même le ministère de l’Intérieur dans sa saisine de la Cour, qui se trouve maintenant soupçonnée d’être plus royaliste que le roi.
Pour défier le nouveau coronavirus, Narendra Modi en appelle au pouvoir des bougies
Narendra Modi a déclenché un nouveau tollé dans son pays, vendredi 3 avril. Dans une vidéo diffusée en début de matinée, le Premier ministre indien, qui était très attendu sur l’état de la pandémie par une population confinée de 1,3 milliard d’habitants, s’est contenté d’inviter ses compatriotes à combattre “les ténèbres” du coronavirus, rapporte l’Indian Express.
Dimanche 5 avril à 21 heures, a-t-il dit, “je veux neuf minutes de votre temps. Éteignez toutes les lumières à la maison. Tenez-vous au balcon ou sur le pas de votre porte avec une bougie, la lampe d’un téléphone portable, une torche ou une lampe à huile.”
Situation dramatique dans les quartiers pauvres
Inspirée de Diwali, la fête des lumières au cours de laquelle les gens placent des bougies aux fenêtres tous les ans à la fin du mois d’octobre, l’idée du dirigeant nationaliste hindou est de produire de la lumière “dans toutes les directions” pour défier la pandémie et montrer “la force” du peuple indien.
Narendra Modi a aussi affirmé que l’Inde était en ce moment un modèle de confinement. “De nombreux pays ont décidé de faire comme nous”, a-t-il déclaré, alors que la mise en confinement de la population date seulement du 25 mars. Une manière d’occulter que la situation est dramatique dans les quartiers pauvres. Et de tenter de faire oublier l’exode, le week-end dernier, de centaines de milliers de migrants de l’intérieur affamés. “Il aurait mieux fait d’expliquer comment il compte faire redémarrer l’économie après le confinement”, a dénoncé l’opposition.
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Guillaume Delacroix
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