L’évaluation des effets environnementaux de l’agriculture et de l’alimentation fait l’objet de nombreuses études. Elle est au cœur de multiples débats dans un contexte où beaucoup de consommateurs veulent faire des achats éthiques et respectueux de l’environnement. Mais en ce qui concerne notre alimentation – domaine vital et pour lequel les consommateurs ont la possibilité de voter avec leur porte-monnaie –, les informations confuses et contradictoires abondent.
On nous a affirmé que l’agriculture biologique, en réalité, n’est pas bonne pour le climat, car ses rendements sont inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle, et qu’elle utilise donc plus de terres pour compenser cela. Un article scientifique récent (L. G. Smith, G. J. Kirk, P. J. Jones, A. G. Williams, « The greenhouse gas impacts of converting food production in England and Wales to organic methods », Nature, Comm. 1-10 2019) a rapporté que si un pays passait à l’agriculture biologique, cela augmenterait considérablement ses émissions de dioxyde de carbone et cette affirmation a été largement disséminée dans les médias scientifiques et généraux.
« Les champs conduits en agriculture biologique supportent des niveaux de biodiversité environ 30 % plus élevés que les champs conduits en conventionnel »
Mais ce raisonnement est trop simpliste et ne tient pas compte d’aspects importants concernant la relation entre l’alimentation, l’agriculture et l’environnement. Dans un article à paraître dans la revue scientifique Nature Sustainability, nous avons analysé de nombreuses études sur les impacts environnementaux de différents modes de production agricole et avons constaté que trop souvent, les caractéristiques bénéfiques de l’agriculture biologique y sont négligées.
La biodiversité, par exemple, est d’une importance vitale pour la santé et la résilience des écosystèmes. Cependant, elle est en déclin dans le monde, l’agriculture conventionnelle s’est avérée l’une des principales causes de tendances négatives telles que le déclin des insectes et des oiseaux. Des études antérieures ont déjà montré que les champs conduits en agriculture biologique supportent des niveaux de biodiversité environ 30 % plus élevés que les champs conduits en agriculture conventionnelle.
Entre 1990 et 2015, l’utilisation des pesticides dans le monde a augmenté de plus de 70 %, et les résidus de pesticides dans le sol, dans l’eau et dans les aliments peuvent être nocifs pour la santé humaine et les écosystèmes terrestres et aquatiques, et causer une perte de biodiversité. L’agriculture biologique interdit l’utilisation de pesticides de synthèse. Mais peu d’études comparatives tiennent compte de ces effets.
Des évaluations réductrices
Par ailleurs, la dégradation des terres et la réduction de la qualité des sols résultant d’une gestion non durable des agroécosystèmes constituent un problème rarement considéré. Les avantages des pratiques agricoles biologiques, telles que des rotations mobilisant une plus grande diversité de cultures et l’utilisation d’engrais organiques, sont paradoxalement souvent négligés. Dans notre analyse des études sur cette question, nous constatons que ces facteurs sont souvent minimisés, voire non pris en compte.
La méthode la plus courante pour évaluer les impacts environnementaux de l’agriculture et de l’alimentation est appelée analyse du cycle de vie (ACV). L’ACV était à l’origine pensée pour l’évaluation des impacts environnementaux de la production industrielle en termes de volume de produit. Dans cette perspective, les pratiques agricoles intensives sont bien sûr plus efficaces et offrent de meilleurs rendements – c’est ce pour quoi elles ont été conçues. Mais nous pensons que considérer l’agriculture sous cet angle est réducteur et ne parvient pas à saisir le rôle plus large de l’agriculture pour la société et la nature.
Un facteur qui est également très difficile à saisir dans ce type d’études est l’impact des changements et des tendances sociales. Considérons, par exemple, la demande croissante des consommateurs pour la viande biologique : traditionnellement, les études faisant des calculs dans ce domaine peuvent simplement supposer que la consommation globale de viande restera la même, et qu’il faudra donc plus de surfaces agricoles, ce qui accentuera la déforestation. Mais les consommateurs qui achèteront de la viande biologique pour des raisons environnementales et éthiques seront probablement aussi moins portés sur des produits d’origine animale – il est donc très difficile de connaître les conséquences réelles de ces choix et d’en évaluer les impacts environnementaux.
Nous pensons que la recherche dans ce domaine n’est pas encore suffisamment complète et a une perspective trop étroite. Notre analyse des études actuelles montre comment la méthode d’analyse n’évalue pas correctement les systèmes complexes tels que l’agriculture biologique. Nous ne pouvons pas utiliser l’ACV comme mesure unique et universelle pour comparer les impacts environnementaux de l’agriculture biologique et de l’agriculture conventionnelle. Il faut l’améliorer et la compléter avec d’autres méthodes d’évaluation environnementale pour obtenir une image plus équilibrée.
Hayo van der Werf est ingénieur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) ;
Christel Cederberg est professeure à l’Université de technologie Chalmers, à Göteborg, en Suède.