Pour expliquer son geste, l’assassin a écrit un « manifeste » halluciné dans lequel il s’en prend, entre autres, au « mauvais comportement de certains groupes de peuples, en l’occurrence les Turcs, les Marocains, les Libanais et les Kurdes ». Autant dire que l’attentat est signé.
La main de l’extrême droite
Cet attentat survient cinq jours après l’arrestation, par les autorités allemandes, d’un commando d’extrême droite de douze personnes qui préparaient des attentats contre des mosquées, et quatre mois après l’attentat contre une synagogue et un restaurant turc à Halle. Soit la confirmation du développement d’un terrorisme d’extrême droite en Allemagne qui, quel que soit le profil de ses auteurs (« solitaire » ou groupe organisé), s’inscrit dans une montée en puissance des groupes politiques fascistes, racistes et xénophobes.
Les obsessions que le retrouve chez les auteurs et les organisateurs d’attentats sont les mêmes que celles de l’extrême droite : « grand remplacement », défense de la « civilisation européenne », islamophobie. Obsessions qui ne concernent pas que l’extrême droite allemande, puisqu’on les retrouve chez la plupart des courants européens de cette famille politique, voire au-delà (États-Unis, Nouvelle-Zélande, Australie…), qui fournissent les armes idéologiques et la caution politique à ceux qui passent à l’acte.
Larmes de crocodile
Notre colère est donc dirigée contre cette extrême droite raciste, antisémite, islamophobe qui, quand bien même elle verserait des larmes de crocodile sur les morts de Hanau, est co-responsable de la tuerie. Mais elle est aussi dirigée contre l’ensemble des responsables et partis politiques, de droite, du centre ou de « gauche », qui contribuent à l’extension du racisme en menant des politiques stigmatisantes, discriminatoires, anti-migrantEs. Difficile de prendre au sérieux les déclarations émues de dirigeants européens qui laissent mourir, chaque année, des milliers de migrantEs en Méditerranée, au nom de la « défense de l’Europe ».
Difficile aussi, en ce qui concerne la France, de prendre au sérieux « l’immense tristesse » d’Emmanuel Macron suite à l’attentat de Hanau alors que, hasard du calendrier, le président de la république vient tout juste de proclamer la mise en œuvre d’une « offensive républicaine » face au « séparatisme islamiste », jetant une fois de plus la suspicion sur des millions de musulmanEs – réels ou supposés –, les désignant comme des ennemis de l’intérieur, liés à des ennemis de l’extérieur, vivant dans des quartiers qu’il s’agirait de « reconquérir ».
Et l’on n’a pas oublié le discours d’octobre dernier sur les « signaux faibles », au cours duquel Macron avait affirmé la nécessité de « faire bloc » contre le « terrorisme islamiste », et vanté une « société de vigilance » dans laquelle chacunE est invité à repérer « les relâchements, les déviations, ces petits gestes qui signalent un éloignement avec les lois et les valeurs de la République ». En d’autres termes, une société de la suspicion contre les musulmanEs et de la délation généralisée, au nom, bien évidemment, de la « lutte contre le terrorisme », en surfant sur l’émotion suscitée par l’assassinat de quatre policiers à la préfecture de Paris.
« Les conséquences de l’ouverture massive des frontières »
C’est dans ce climat délétère qu’avait eu lieu, le 28 octobre, un attentat contre la mosquée de Bayonne, perpétré par un ex-candidat du Front national. Autant le dire, sans verser dans le catastrophisme : ce qui vient de se passer en Allemagne n’est pas lié à l’histoire de ce pays, et pourrait tout à fait arriver en France. Confirmation, s’il en était besoin, avec les propos tenus par Rachida Dati au lendemain de la tuerie de Hanau : « Madame Merkel n’a pas mesuré les conséquences de l’ouverture massive des frontières ». Autrement dit, l’assassin est tout excusé, car le racisme, c’est la faute des étrangers… Même son de cloche chez Éric Ciotti (« Angela Merkel et l’Allemagne ont menacés [sic] directement l’Europe de façon suicidaire en ouvrant les frontières de l’immigration massive en 2015 ») ou sur divers plateaux de télévision où plusieurs intervenants ont cru bon de gloser sur le « problème de l’immigration » en Allemagne.
Rien de bien nouveau, malheureusement, sous le soleil. En février 2019, Le Point s’inquiétait ainsi du fait qu’il y avait en France « 18 % de prénoms arabo-musulmans parmi les nouveau-nés », faisant sa « Une » sur « le grand bouleversement », sans que cela choque grand-monde. Éric Zemmour a pu tranquillement écrire en avril 2016 qu’en France, « venant de banlieue, au terme d’un long périple depuis le fin-fond de l’Afrique, un peuple arabo-musulman s’est substitué aux anciens habitants » sans cesser d’être un invité multimédias présenté comme simple « polémiste ». Alain Finkielkraut, quant à lui, a pu déclarer en 2017 que « Renaud Camus dénonce à juste titre le remplacisme global » sans que cela ne l’empêche de devenir académicien et d’être toujours célébré comme un « intellectuel »…
Le racisme tue, et tous ceux qui, par leurs discours et/ou leurs politiques concrètes, entretiennent la stigmatisation et les discriminations, sont complices, à des degrés certes divers, des assassins. L’attentat de Hanau rappelle à ceux qui l’auraient oublié que la lutte antiraciste est l’une des urgences de l’heure, qui passe par un combat intransigeant contre l’extrême droite et la droite extrême, mais aussi contre toutes les politiques racistes et islamophobes, d’où qu’elles viennent. Le 21 mars prochain sera l’occasion de le dire haut et fort, à l’occasion de la marche des solidarités, pour la liberté de circulation et d’installation, pour la régularisation des sans-papiers, pour l’égalité des droits, contre le racisme d’État.
Julien Salingue