A Rome, un conservatoire interdit de cours « les étudiants orientaux (Chinois, Japonais, Coréens, etc.) », jusqu’à ce qu’ils passent une visite médicale.
A Sydney, les passants laissent mourir un homme qui fait une crise cardiaque sur un trottoir de Chinatown.
A Mexico, Uber désactive le compte de 240 clients qui ont voyagé dans un VTC ayant transporté un touriste chinois enrhumé.
Deux mois après l’émergence d’un nouveau coronavirus en Chine, avec officiellement plus de 17 400 cas et 362 morts, dont le premier à l’extérieur du pays dimanche, la xénophobie se répand plus vite que l’infection pulmonaire.
Pestiférés entre les pestiférés, les 11 millions d’habitants de Wuhan.
Depuis le 23 janvier, la capitale de la province du Hubei, grand centre universitaire et industriel, est coupée du monde. Après qu’un marché de la ville où étaient vendus des animaux sauvages a été désigné comme probable source de la contamination de l’homme par l’animal, la ville et ses habitants sont devenus le symbole même de la maladie, et leurs habitudes alimentaires pointées du doigt. « Une stigmatisation s’opère à l’intérieur même de la ville », explique la sociologue Simeng Wang, chercheuse au CNRS et originaire de Wuhan. « Des habitants ont voulu construire des barrières autour d’une résidence de 20 000 habitants où plusieurs cas de coronavirus ont été diagnostiqués. »
Banderoles
S’ils essaient de se déplacer dans le Hubei, les Wuhanais butent sur des check-points et des barricades érigés et gardés par des volontaires. Dans les villages, des banderoles leur rappellent qu’ils ne sont pas les bienvenus : « Ceux qui ramènent la maladie sont des gens sans foi ni loi » ; « cette famille héberge des gens qui reviennent de Wuhan, ne vous approchez pas »…
Selon le maire de Wuhan, 5 millions de personnes ont quitté la ville avant la quarantaine. Certains ont fui dans les premières heures après l’annonce, mais la plupart étaient déjà partis dans leur famille ou à l’étranger pour le nouvel an lunaire.
Et la discrimination ne s’arrête pas aux frontières de la province. « Tous les natifs du Hubei sont désormais considérés comme des virus dans les autres régions, ils se font dénoncer à la police ou refouler par les hôtels, c’est écœurant », se désole auprès de Libé une Shanghaïenne bloquée dans le Hubei où elle visitait sa famille.
Par ondes concentriques, le rejet des Chinois en général s’étend dans toute l’Asie - soit un habitant de la planète sur cinq.
En Indonésie, des habitants de Padang ont manifesté devant un hôtel contre la présence de touristes chinois. Et dans le reste du monde, il suffit parfois d’avoir les yeux bridés pour être regardé de travers. « J’ai voulu prendre un taxi avec une amie, raconte Xixi Chen, Parisienne d’origine chinoise. Coup sur coup, deux chauffeurs se sont arrêtés et nous ont dit sur un ton moqueur : « Oh non, coronavirus ! » »
Dans certaines écoles, raconte le Parisien, les enfants aux traits asiatiques se font railler. Plus largement, toute personne ayant voyagé en Asie récemment se trouve stigmatisée. Bien qu’aucun n’ait été contaminé par ce que certains médias appellent à tort « le virus chinois », les 200 Français rapatriés de Wuhan la semaine dernière sont considérés comme indésirables par certains habitants de Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône) où ils ont été placés en quarantaine.
Pression
La méfiance est nourrie par le fait que les autorités de Pékin ont caché l’ampleur de l’épidémie dans les premières semaines.
Fin décembre, huit médecins qui alertaient sur la dangerosité de ce virus proche du Sras (800 morts en 2003) ont été arrêtés pour avoir « semé des rumeurs ». Les premières mesures de prévention n’ont été décrétées que le 20 janvier alors que 400 millions de Chinois avaient déjà pris la route des vacances, et les autorités passent sous silence le manque de personnel et d’équipement des hôpitaux.
« La stigmatisation est exacerbée parce que, d’une part, le régime autoritaire chinois contrôle l’information sur la santé. D’autre part, à cause de la densité démographique urbaine très importante, avec un foyer d’épidémie qui compte 11 millions de personnes », précise Simeng Wang. « Les réseaux sociaux sont à double tranchant. Ils contrebalancent les informations du gouvernement chinois, et les victimes de discrimination peuvent y faire part des injustices qu’ils subissent. Mais ils contribuent aussi à amplifier la peur. »
Depuis que l’OMS a décrété une urgence de santé publique internationale, jeudi, nombreux sont les pays qui, sous pression de leur opinion publique, mettent en place des mesures pour empêcher l’épidémie de se répandre sur leur territoire.
Les Etats-Unis ont interdit l’entrée de tous les non-résidents arrivant de Chine et demandé aux Américains de quitter le pays. Après avoir confiné 70 millions de ses propres citoyens, Pékin a accusé lundi Washington de « créer et semer la panique », et de « montrer un très mauvais exemple ».