La Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) initiée par le Président de la République le 25 avril dernier à l’issue du Grand Débat National réunit actuellement 150 citoyennes et citoyens tirés au sort. Même si nous avions salué à l’époque le fait qu’Emmanuel Macron se soit engagé à faire en sorte que « ce qui sortira de cette convention […] [soit] soumis sans filtre soit au vote du parlement soit à référendum soit à application réglementaire directe »[1], nous avions également notifié la vigilance qui serait la nôtre concernant la rigueur appliquée à la procédure mise en place. Autrement dit, sans toutefois faire preuve de naïveté, nous avions « laissé sa chance au produit ».
Avant de détailler ce que nous taxerons d’insuffisances procédurales, nous réaffirmons ici notre confiance dans le tirage au sort et la capacité des citoyennes et des citoyens ainsi choisis à émettre des recommandations ou à prendre des décisions sur un sujet donné, aussi ardu ou controversé soit-il. Aussi profitons nous de cette tribune pour apporter notre soutien inconditionnel aux « 150 » et les invitons à avoir des exigences à la hauteur des enjeux en faisant fi des carcans imposés comme d’autres l’ont proposé[2].
Insuffisances procédurales écrivions-nous. Nous en mentionnerons au moins quatre.
Premier écueil de la Convention Citoyenne pour le Climat – Un effort de représentativité a été effectué lors du tirage au sort mais une condition a été oubliée. Selon nous, les personnes sélectionnées devraient être dépourvues d’intérêts ou d’opinions déjà formées sur le thème en débat. Les personnes travaillant dans ces domaines, les porteurs d’intérêts privés sur les questions énergétiques, les militants investis dans la cause climatique, pour ne citer que quelques exemples, ne devraient pouvoir participer à une procédure de ce type que s’ils sont sollicités en tant qu’experts par le comité de pilotage ou par le panel et non en faire partie de ce jury d’où l’intérêt de la formation contradictoire doublée d’une formation choisie par les panélistes.
Deuxième écueil et non des moindres – Les « 150 » n’ont, semble-t-il, reçu aucune formation préalable avant d’être jeté dans l’arène. Les travaux de l’association Sciences Citoyennes, avec l’aide de juristes, chercheurs et universitaires, travaux qui ont conduit à l’élaboration, en 2007, d’une procédure participative rigoureuse, les Conventions de Citoyens[3], ont montré la nécessité de produire une formation contradictoire pour les membres d’un tel panel. Cela pour éviter notamment que la domination de certaines expertises puisse orienter la décision des panélistes mais aussi pour favoriser le caractère « émancipateur » de la participation à un tel processus[4].
Troisième écueil – De fait, cette procédure ne comporte pas de comité de pilotage, structure plurielle regroupant des acteurs connus pour promouvoir des positions variées et chargés d’établir par consensus le programme de formation. La CCC a alors été gérée par un « comité de gouvernance » dont la composition ne reflète pas toute la diversité des positions expertes s’exprimant dans la société. Alors qu’un comité de pilotage n’intervient pas dans les débats du panel, la fonction de ce comité de gouvernance semble prépondérante et susceptible d’influencer les orientations des panélistes.
Quatrième écueil – L’anonymat des « 150 » : comment garantir le fait que la procédure se déroule sans influence extérieure quand ils ont accès aux médias, répondent à des interviews à visage découvert alors que ladite procédure n’a pas encore atteint son terme ? L’anonymat est une protection des citoyennes et des citoyens contre, par exemple, le harcèlement de lobbyistes désireux de les influencer. Si l’on veut que la population française accorde sa confiance à de telles procédures, il ne faut en aucun cas ouvrir la porte à des procès d’intention en particulier dans une période où lobbyisme et complotisme font leurs choux gras.
D’autres insuffisances sont, selon nous, à déplorer. L’effectif trop élevé du panel est susceptible de provoquer des problèmes de gestion du temps de parole et de limiter l’expression des citoyennes et des citoyens. Enfin, la nature même de la procédure ne permet pas d’aborder tous les thèmes qui le devraient[5] mais il semblerait, et nous nous en félicitons, que les « 150 » ne l’entendent pas de cette oreille. En effet, la CCC présente le sujet global du « climat » mais restreint les éventuelles recommandations en demandant aux « 150 » de « définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale[6] ». Peut-être aurait-il fallu mettre en place plusieurs CCC pour tenter d’approfondir les différents axes de travail d’un sujet aussi vaste que le climat et ensuite enclencher des changements systémiques profonds en vue d’une véritable transition écologique et sociale.
Après des années de pratiques de démocratie participative plus ou moins satisfaisantes, nous savons à quel point les conditions de participation sont cruciales pour bénéficier des apports constructifs de la population. Comment emporter l’adhésion massive des Françaises et des Français si la moindre méfiance subsiste sur la procédure et les propositions auxquelles elle aura donné lieu ? Sciences Citoyennes est bien consciente qu’un simple dispositif ne réglera pas à lui tout seul les nombreux défis sociaux et environnementaux auxquels nous devons faire face. Dans un contexte d’urgence climatique, il est vain de penser l’action en matière d’atténuation du changement climatique sans remettre en cause le système économique qui est à l’origine de la catastrophe (économie (néo-)libérale choyée par nos gouvernements successifs). La démocratie que Sciences Citoyennes souhaite voir advenir ne peut se construire sur les inégalités sociales systématisées et l’idéologie productiviste, climaticide et néo-libérale. C’est dans ce sens que Sciences Citoyennes réfléchit à la place des sciences dans une société sobre, libérée des impératifs dogmatiques de croissance économique.
La démocratie mérite mieux qu’une version jupitérienne des « panem et circenses[7] ».
Refusons la manipulation du pouvoir, exigeons la démocratie continue[8].
Edgar Blaustein, Dominique Cellier, Fabien Piasecki et Jacques Testart (association Sciences Citoyennes[9]).
Notes
[1] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/04/25/conference-de-presse-grand-debat-national
[2] https://www.terrestres.org/2019/11/22/convention-citoyenne-pour-le-climat-appel-a-debordement/
[3] https://sciencescitoyennes.org/convention-de-citoyens/
[4] Jacques Testart, L’humanitude au pouvoir – Comment les citoyens peuvent décider du bien commun, Éditions du Seuil, 2015.
[5] https://www.terrestres.org/2019/11/22/convention-citoyenne-pour-le-climat-appel-a-debordement/
[6] https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/
[7] Locution latine signifiant « du pain et des jeux ».
[8] Voir la présentation de Dominique Rousseau lors de la conférence Conventions de citoyens, prenons la démocratie au sérieux au CESE le 14 octobre 2019, https://youtu.be/Bq8Su5wJJtc
[9] https://sciencescitoyennes.org