Reporterre — Dans une série de tweets, dimanche 12 janvier, vous avez émis de nombreuses critiques à l’encontre de la convention citoyenne pour le climat. Pourquoi vous a-t-il paru nécessaire de prendre position ?
Arnaud Gossement - Je voudrais d’abord préciser plusieurs choses. Je critique le cadre que constitue la convention citoyenne pour le climat (CCC) et non la sincérité ou l’investissement des personnes qui y travaillent, que cela soit les 150 citoyens ou les membres du comité de gouvernance. J’ai une analyse de juriste et non de militant politique ou d’opposant à Emmanuel Macron.
Je constate simplement que cette nouvelle institution est une régression par rapport au droit existant. Elle ne respecte pas le « principe de participation du public », pourtant inscrit dans la Constitution, via l’article 7 de la Charte de l’environnement [1]. En réalité, la convention citoyenne pour le climat n’a aucune existence juridique. Aucun juge ne peut être saisi. Ses membres ont moins de droits que les participants à une enquête publique sur un poulailler industriel !
Ses organisateurs disent que ce n’est pas grave, que la convention s’inscrit avant tout dans un cadre « informel » et « expérimental ». Je trouve cet argument fallacieux. La convention citoyenne n’est pas seulement une expérimentation. En proposant des mesures législatives, elle va produire de la norme, modifier le droit. Or, on ne peut pas avoir comme projet de faire progresser le droit de l’environnement en le violant ou en le tenant à l’écart ! Si on laisse faire, demain, l’État pourra s’affranchir des règles et du droit en prétextant que le cadre de ces innovations est juste informel. C’est très grave.
J’ai aussi été choqué par l’unanimisme des articles de presse qui insistent sur le risque pris par Emmanuel Macron. Il y a une forme de personnification des enjeux. La question n’est pas de savoir si le chef de l’État a tort ou raison mais si cette convention constitue oui ou non un progrès pour la démocratie environnementale.
En quoi, le principe de participation du public n’est-il pas respecté ?
Depuis des années, ce principe a été appliqué par des juges et consacré par de nombreux textes tant au niveau national qu’international avec notamment la Convention d’Aarhus en 1998 [2].
Je m’étonne qu’au sein de la CCC, aucun de ces critères ne soit respecté. Le premier critère exige, normalement, de ne pas limiter le nombre de personnes qui ont le droit de s’exprimer. Or là, on le réduit à 150. On m’objectera que tous les autres pourront s’exprimer par internet mais c’est une fausse réponse car le principe de participation exige que toutes les personnes qui le souhaitent puissent s’exprimer au même niveau. Dans n’importe quelle enquête publique, tous les citoyens doivent avoir accès, de la même manière, au registre du commissaire-enquêteur pour formuler leurs observations.
Cette consultation est donc exclusive. Mais pire, elle écarte les citoyens pour un motif qui relève du mythe : le tirage au sort. En réalité, les 150 citoyens ont été sélectionnés par un institut de sondage Harris Interactive [le même que pour le « grand débat »]. La méthode de sélection reste opaque et n’a pas été débattue largement. Pourquoi 150 et pas 50, 175 ou 2.000 citoyens ? Sur quels fondements ? Ils disent qu’ils ont repris les critères de représentativité de l’Insee [Institut national de la statistique et des études économiques] mais lesquels ? Tous ? Certains ? Comment ont-ils été appliqués ? Et surtout pourquoi recourir à un institut de sondage plutôt qu’à une organisation ouverte, pluraliste et transparente où on aurait débattu de la méthode ?
Il y a un manque d’information sur le sujet. C’est un hold-up méthodologique qui permet d’entretenir les illusions du tirage au sort : on croit bêtement que les personnes ont été choisies par hasard sur les 60 millions d’habitants. Mais c’est faux. Et je ne suis pas le seul à m’en émouvoir. Jacques Testart et l’association Sciences citoyennes ont aussi émis des critiques [3]. Sans débat sur la méthode de sélection des citoyens, cette « innovation démocratique » commence en réalité par un déni de démocratie.
Origine régionale des membres de la convention.
Les autres critères de participation sont-ils également mis à mal ?
Oui, pour assurer la participation du public, il est nécessaire d’avoir un garant du débat. Cela vaut pour tous les débats en France : les enquêtes publiques avec les commissaires-enquêteurs mais aussi à l’échelle nationale avec la Commission nationale du débat public. Depuis 2008, cette institution est chargée d’être le régulateur de la participation mais elle est de plus en plus marginalisée. L’année dernière, elle avait déjà été écartée du « grand débat national » [4]. Aujourd’hui, elle est exclue de la convention.
Au sein de la convention, on retrouve bien un comité de gouvernance et des garants mais leurs attributions ne sont pas fixées dans des textes. Leur rôle et leur responsabilité ne sont précisés nulle part. Ils n’ont pas de garantie juridique ou légale. Ils peuvent simplement interpeller le chef de l’État dans les médias, comme le fait Cyril Dion. Mais c’est extrêmement fragile. La célébrité des garants est une arme limitée. Elle n’est pas non plus le gage d’une compétence. Il faut être très présomptueux pour penser qu’un écologiste même très connu serait capable de faire plier l’État par sa seule force de frappe médiatique. Il me paraît plus prudent de faire reposer le statut de garant sur des bases juridiques bien définies.
D’autant plus que le choix de certains garants peut prêter à débat. « Reporterre » a révélé qu’une membre du comité de gouvernance était « une professionnelle de la pollution » [5]….
Oui, imaginons qu’un garant, à un moment donné, fasse mal son travail ou que son action soit entachée d’un conflit d’intérêts. Quelle est alors la sanction ? Qu’est-ce qui se passe ? Qui contrôle ? Pour l’instant, personne. On ne peut pas travailler de cette façon. Si la convention échoue et que l’État veut faire porter la responsabilité sur les garants, comment vont-ils pouvoir se défendre ? Et si le gouvernement ne respecte pas sa parole, quels seront les recours possibles ? Il n’y en a tout simplement pas.
Vous affirmez que la convention ne donne pas aux citoyens une véritable « information environnementale » comme il est prévu dans les textes de loi, c’est-à-dire ?
Une information environnementale de qualité est un préalable à la participation du public. Or, les documents et la formation donnés aux citoyens dans le cadre de la Convention ne correspondent pas aux critères définis par le droit. Quand vous participez à une enquête publique, vous devez normalement avoir un dossier en mairie qui réponde à une série de préconisations inscrites dans le Code de l’environnement. Tout cela est archi détaillé et le juge est très tatillon sur l’ensemble des informations, page par page, que vous trouverez dans un dossier d’enquête publique.
Or, ici, il n’en est rien. Quand on compare les exigences pour les dossiers d’enquêtes publiques avec ceux de la convention citoyenne, il y a de quoi pleurer. Sur le site de la convention, on retrouve dans les documents distribués aux citoyens des chiffres lénifiants, des sous-estimations grossières et aussi très clairement des points qui pourraient être débattus.
Il faudrait pouvoir discuter de l’objectivité et de la qualité de l’information donnée. Qu’il y ait plus de transparence. L’audition d’experts ne peut être considérée comme une information environnementale au sens du droit. L’expert à la tribune émet d’abord un point de vue. L’information environnementale doit, au contraire, être rédigée de façon pluraliste avec un comité de lecture pluriel.
Dans les débats ou enquêtes publiques, il est également obligatoire de procéder à des synthèses des observations du public. Il n’est écrit nulle part que la convention citoyenne le fera. Normalement, l’État devrait aussi indiquer par avance comment il va suivre ou non toutes les recommandations émises par les participants et motiver son choix. C’est inscrit dans une loi de 2012 [6], qui portait sur les décisions réglementaires du ministère de l’Écologie. J’ai l’impression que l’ensemble de ces éléments juridiques ne sont pas pris en compte. La convention citoyenne, finalement c’est comme si vous jouiez au Monopoly et que l’État, qui est un des joueurs, vous donnait à la fin de la partie les règles du jeu.
Voulez-vous dire que tout dépend de la volonté présidentielle ?
Oui, toute l’architecture de cette convention, toute sa crédibilité repose sur la confiance dans la parole d’Emmanuel Macron. C’est profondément monarchique. Un débat public ne devrait pas avoir pour alpha et oméga un seul homme, fut-il président de la République. Lors du Grenelle de l’Environnement, en 2007, les ONG avaient exigé que l’État ne soit qu’un collège parmi d’autres, au sein de la négociation. Nous vivons une forme de régression par rapport au Grenelle. Maintenant, celui qui convoque, définit la méthode, au moment où il le souhaite, avec qui il le souhaite et avec la sortie qu’il souhaite, c’est un seul homme, c’est Emmanuel Macron.
Lors de son audition, au cours de la quatrième session [7], le président de la République a dit à deux reprises qu’il pourrait ne pas être d’accord avec les propositions des citoyens et ne pas les retenir. Selon moi, c’est une violation du principe de participation, la règle du jeu a changé par rapport au début du projet. C’est ce qui arrive quand tout repose sur une promesse et non un contrat écrit, avec des droits, des devoirs.
LCP
@LCP
- @EmmanuelMacron incite les participants à la @Conv_Citoyenne à fournir directement des textes de loi ou des propositions précises pour qu’ils soient délivrés sans filtre « ou au Parlement ou au peuple français », s’engage-t-il.#climat #ConventionCitoyenne
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7:30 PM - Jan 10, 2020
Lorsque les propositions sont d’ordre législatif, il est prévu de les transmettre « sans filtre » au Parlement, pourquoi cela n’a-t-il, selon vous, « aucun sens » ?
Ce n’est pas la première fois que l’on nous fait cette promesse. Nicolas Sarkozy avec le Grenelle de l’environnement nous l’avait déjà dit. On a vu le résultat. En 2010, la deuxième loi Grenelle ne ressemblait en rien à une transcription de la négociation. Beaucoup de dispositions étaient contraires à ce que l’on avait défini. A l’époque, j’étais porte-parole de France Nature Environnement. Je m’en souviens bien. Fort de ce précédent, il faudrait faire attention.
Ensuite, d’un point de vue juridique, il ne peut y avoir de reprise sans filtre, c’est impossible. D’abord parce que 80 % de ce qu’on appelle la loi, c’est-à-dire notre Code de l’environnement, est élaboré non pas en France mais à Bruxelles. C’est étonnant, on a complètement oublié de dire aux citoyens qu’on vit en Europe ! Emmanuel Macron à lui seul ne peut pas imposer à l’Union européenne de reprendre les propositions des 150 citoyens ! Par ailleurs, il ne peut pas non plus imposer la loi au Parlement. Les députés et les sénateurs pourront toujours être en désaccord avec des dispositions et voter des amendements contraires aux recommandations. Dernier problème, il faudrait que les citoyens arrivent à rédiger en trois mois un projet de loi ficelé. Honnêtement, c’est très compliqué. Vu le niveau de généralité des recommandations et des objectifs, j’en doute.
Emmanuel Macron propose aussi un référendum [8]. Qu’en pensez-vous ?
Le président de la République a mis beaucoup de conditions. Personnellement, je peine à croire que la convention débouche sur un référendum. D’ailleurs, est-ce une bonne idée ? Le référendum est un outil plébiscitaire mis en place par le général de Gaulle pour créer un débat sur une personne. Le risque est de voir l’enjeu climatique pollué par un référendum pour ou contre Macron. Peut-on d’ailleurs répondre par oui ou par non sur des sujets aussi complexes que ceux de l’environnement et du climat ? Le problème aujourd’hui est-il le vote d’un énième projet de loi ou d’un référendum, ou n’est-ce pas plutôt le moment de passer aux actes ?
Au même moment, cet automne, plusieurs lois sur l’environnement ont d’ailleurs été étudiées…
Oui, on peut se demander si le gouvernement est réellement dans l’attente des recommandations des citoyens vu qu’il vote au même moment des lois sur l’environnement. La loi Énergie climat, la loi de finances, la loi sur les mobilités, la loi Économie circulaire… Le périmètre est le même que celui affecté aux citoyens. Que va-t-il rester aux citoyens, dans le champ de la loi, qui n’a pas déjà été discuté au Parlement pendant ce quinquennat ?
De manière générale, comment va la démocratie environnementale en France ?
Mal. Face à ce constat, il y a deux types de réponses : soit jeter le bébé avec l’eau du bain, soit améliorer les outils existants. La convention citoyenne, c’est clairement la première réponse : « Vu que l’enquête publique ou le débat public ne fonctionnent pas, laissons la place aux innovations quitte à s’affranchir du droit. »
Depuis des années, l’État a affaibli les instruments de la démocratie environnementale. Il a pratiqué une forme d’euthanasie. Il y a de moins en moins d’enquêtes publiques, on retire son obligation, on l’organise aux mauvais endroits, on court-circuite le débat. Je trouve cela dangereux de vouloir justifier l’existence de la convention citoyenne en disant que de toute manière, les autres instruments ne marchent pas. Ce n’est pas parce que le droit de l’environnement ne nous donne pas satisfaction que l’on doit sortir du Code de l’environnement.
Propos recueillis par Gaspard d’Allens