En nommant Eugène Camara comme Premier ministre, Lansana Conté, dictateur de Guinée, a décidé de faire fi des accords signés après la grève générale entre les syndicats, le patronat et le gouvernement guinéen qui prévoyaient que le « Premier ministre doit être un haut cadre civil, compétent, intègre et qui n’a été, ni de près ni de loin, impliqué dans des malversations » (lire Rouge n° 2192). Si Camara est plus intègre que la moyenne, il est surtout connu pour être un fidèle de Conté, membre des différents gouvernements depuis 1997. Cette nomination ne peut donc, d’aucune façon, conduire le changement tant attendu et elle est perçue comme une trahison par la population.
Au pouvoir depuis 1984, Lansana Conté, vieux dictateur malade, s’appuie sur un cercle restreint de fidèles pillant effrontément le pays et sur une armée bénéficiant d’importants avantages matériels. Les officiers sont divisés entre les « anciens » fidèles aux dictateurs et les « jeunes » qui pourraient saisir l’occasion de la crise pour faire un coup d’État. Dans ce pays, dirigé par une élite corrompue et livré aux multinationales de l’aluminium - le pays est le deuxième producteur mondial de bauxite -, la grande majorité de la population vit dans la misère.
En 2004, Cellou Dalein Diallo, alors Premier ministre, avait tenté une lutte timide contre la corruption, le conduisant à inculper et emprisonner Mamadou Sylla et Fodé Soumah, qui faisaient partie du cercle des fidèles. Lansana Conté a limogé le Premier ministre et s’est rendu personnellement à la prison pour les libérer, ce qui déclencha la grève générale.
Le vieux dictateur a donc préféré la fuite en avant plutôt que de risquer qu’un Premier ministre s’attaque à nouveau à la corruption mais, cette fois-ci, avec un peuple mobilisé derrière lui. Il mise sur une répression féroce, où l’arbitraire se déchaîne dans les quartiers populaires des villes, où morts et blessés par balles se comptent par dizaines, où les arrestations d’opposants sont massives. La répression des manifestations a déjà fait au moins 110 morts. Le but est de faire taire le peuple, de le plonger dans la peur, le désespoir et la fatalité. Dans cette optique, la dictature n’hésite pas à faire entrer dans le pays des mercenaires du Liberia ou à tenter de provoquer des divisions ethniques.
Rien n’indique que Lansana Conté réussira, car il expose son armée à une pression sociale qui peut faire voler en éclat son unité. De plus, la lutte actuelle ne cède pas aux sirènes des divisions ethniques du fait de sa maturité politique issue des mobilisations passées. Les syndicats exigent maintenant le départ de Lansana Conté. La seule faiblesse de ce mouvement, qui pose la question du pouvoir, est l’absence d’une alternative politique crédible.
Cette lutte ne pourra se renforcer que si la population de Guinée voit que partout la solidarité s’organise. Nous devons exiger l’arrêt de toute collaboration et de tout soutien aux forces répressives, en particulier de la France. Il faut rappeler que les bérets rouges de la garde présidentielle, qui tirent sur la population pacifique, sont les plus acharnés contre les syndicalistes et se sont distingués par le saccage de la Bourse du travail, ont été formés par la France dans les années 2001-2002.
Il faut exiger que les avoirs de la clique dirigeante, fruit du pillage du pays, soient gelés. Il faut exiger que l’Agence française pour le développement verse des fonds non aux autorités gouvernementales mais aux organisations de la société civile. Il faut développer le jumelage des syndicats français et guinéens. Il faut enfin envoyer, auprès de l’ambassade de Guinée, des messages et des motions de protestation et de solidarité.